Marie-Laure Portal Cabanel

Docteure en histoire de l’art et archéologie. Ancienne membre de l’École française d’archéologie à Athènes. Consultante scientifique et éditoriale.
marie.laure.portal chez gmail.com

Les concepts médiationnistes appliqués à la production technique. Développements et conséquences épistémologiques

Résumé / Abstract

L’exploitation de la théorie de la médiation permet d’analyser de manière très pertinente les productions de toutes sortes – notamment ici les secteurs du textile, de la teinture, de l’élevage, du tatouage, de la dorure et de l’agriculture –, en particulier grâce aux concepts ergologiques et ergotropiques qui donnent une assise ferme aux systèmes techniques. Ainsi, l’analyse se trouve placée hors du champ chronologique de la confection ou historique du progrès et distincte de la « chaîne opératoire » qui se voit scientifiquement invalidée. Le vivant comme le geste (la manipulation technique) trouvent toute leur place dans cette analyse systémique des productions.

Mots-clés
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Mes travaux de recherche menés au sujet de l’élevage et la production textile comme de la teinture, de la dorure et, enfin, du traitement corporel m’ont permis d’expérimenter l’efficacité concrète des concepts techniques de la théorie de la médiation, parfois d’en préciser certains. C’est ce que détaille le présent article.

1 Polytropie et synergie, deux concepts ergologiques

Grâce à la polytropie et à la synergie qui lui sont inhérentes, la technique permet toujours plus et de façons toujours différentes [1].

La théorie de la médiation de Jean Gagnepain pose la mise en relation des moyens et des fins par la médiation de l’instance qui induit deux ordres distincts, le réel (avec les moyens et les fins) et le structural (avec les procédés). Les concepts en miroir de polytropie et de synergie se déduisent de cette structure.

Comme point de départ à ces notions, nous repartirons des concepts de polytropie et de synergie présentés par Philippe Bruneau et Pierre-Yves Balut (Bruneau et Balut, 1997) avant de les élargir et de les exemplifier.

Tout d’abord, ils posent (proposition n° 51) qu’au plan du langage, la distinction de la manière de dire et de la chose à dire induit d’une part de la polysémie, d’autre part de la synonymie. La polysémie recouvrant l’identité structurale dans la diversité réelle, tandis que, inversement, la synonymie consiste en une diversité structurale pour une identité réelle. Analogiquement, au plan de la société, plusieurs sujets physiquement distincts constituent la même personne sociale et, symétriquement, un seul individu occupe plusieurs statuts et rôles sociaux.

Au plan de l’art, les auteurs d’Artistique et archéologie (proposition n° 71) développent ensuite qu’une même fin peut s’analyser en tâches téléologiquement différentes, servies par des dispositifs variés : la synergie est l’analogue ergologique de la synonymie (écrire avec un crayon et un papier, une craie et une ardoise, un traitement de texte). Inversement, plusieurs fins peuvent être servies par le même dispositif : la polytropie est l’analogue ergologique de la polysémie (l’agencement du clavier et du marteau se retrouve dans la machine à écrire et dans le piano).

Enfin, Ph. Bruneau et P.-Y. Balut (proposition n° 79) expliquent que, du fait de la non-coïncidence de l’instance et de la performance, une même catégorie industrielle s’accommode d’une grande variété de procédés techniques ; de ce fait, les produits sont apparentés de deux manières : techniquement (selon les façons de faire) et industriellement (selon les choses à faire). Ces deux types de liaison entre les produits fondent, dans le découpage professionnel des champs, la classification en secteurs techniques (les arts du feu, liés à un procédé spécifique) et en secteurs industriels (l’image, dans la variété des manières de s’y prendre techniquement, en végétaux, en argile, en pierre, en peinture, en tissu, etc.).

Curieusement, ces définitions ont concerné essentiellement le jeu des fins et du fabriqué. Or on devait soupçonner des mécanismes similaires entre les moyens et le fabriquant. De fait, par rapport à Artistique et archéologie, mes travaux développés sur la production textile ont conduit à étendre ces concepts du côté des moyens.

En effet, puisque l’instance est un mécanisme « négateur » contredit par le réinvestissement performantiel en situation, il ne saurait y avoir collusion entre le mécanisme structural qu’est l’instance, tant fabriqué que fabriquant, et la réalité de la performance, tant fins que moyens. Une conséquence importante de la médiatisation instancielle tient dans l’inadéquation structurale d’un procédé à une fin comme à un moyen, c’est-à-dire qu’aucune manière de faire ne correspond jamais parfaitement à un moyen ou à une fin, dans la mesure où moyen et fin sont analysés par l’outil et ne sortent donc pas indemnes de cette formalisation structurale. De fait, il y a toujours plusieurs procédés pour répondre à une fin (ainsi, l’emploi de la taille ou du moulage pour faire une image), de même que plusieurs moyens peuvent être alternativement mis en œuvre pour une même manière de faire (par exemple, des pigments de différents minéraux utilisés pour peindre). Inversement, un seul procédé sert potentiellement plusieurs fins (la maçonnerie permet ainsi à la fois dynamiquement de faire des fondations et schématiquement de séparer les pièces) et un unique moyen peut être utilisé pour plusieurs procédés (par exemple, l’argile peut être travaillée au tour ou par façonnage).

Une précision s’impose dans le choix de la terminologie. Il s’avère cohérent de réserver la polytropie pour les cas où le même structural correspond à plusieurs réels (un procédé sert plusieurs finalités ou plusieurs moyens alternent pour un procédé), et la synergie aux cas où plusieurs systèmes structuraux s’accommodent d’un même réel (plusieurs procédés alternent pour une finalité ou un moyen sert plusieurs procédés), ce que synthétisent les schémas ci-après.

Reprenons chacune de ces quatre catégories analytiques pour les illustrer.

Pour la polytropie des fins (cas 1 : un unique procédé sert plusieurs fins), l’outre sert dynamiquement pour maintenir une boisson fraîche, soutenir un pont, faire une bouée, fabriquer un soufflet pour forgeron, et schématiquement comme resserre en tant que sac de voyage. Analogiquement, le fléau sert polytropiquement pour l’agriculture ou pour battre la terre destinée aux poteries.

Concernant la polytropie des moyens (cas 2 : plusieurs moyens pour un même procédé), on peut l’illustrer par le secteur textile. Comme adjuvant au bain de dégraissage textile, s’emploient, au choix, du suint, des cendres, de l’urine ou de la saponaire. Contrairement à la soie, se filent identiquement les fibres courtes que sont les laines d’ovin, de bison [2], de chameau [3], de chèvre [4], de cerf [5], de lièvre ou de lapin [6], de lama et de vigogne [7], et certaines fibres végétales : les filaments des producteurs énumérés constituent divers moyens d’un unique fabriquant (la fibre courte). C’est encore par la polytropie des moyens que s’explique l’utilisation de fibres synthétiques nouvelles tout en conservant des procédés de tissage traditionnels. En effet, du point de vue mécanique, les fils synthétiques constituent de nouvelles matières qui s’opposent à ceux en matières dites traditionnelles (soie, laine et coton). Mais à cette variété mécanique correspond une homogénéité mécanologique, donc un cas de polytropie, puisque tous ces moyens (dits synthétiques ou traditionnels) alternent comme étant le même fabriquant du tissage : ce sont les mêmes identités (telles la résistance ou la souplesse) et les mêmes unités (comme la longueur) qui sont exploitées dans les différents fils pour former l’entrecroisement d’une étoffe.

Si on examine à présent la synergie de la fin (cas 3 : plusieurs procédés pour une unique fin) : le filage au rouet et le filage au fuseau entrent en synergie l’un avec l’autre pour fabriquer l’entremêlement. Analogiquement, couvrir les ovins, les parquer, contrôler les dimensions des râteliers sont des procédés qui alternent ou se composent pour éviter que la toison des ovins soit mêlée de brindilles ; l’éclosion des vers s’obtient par l’application sur le sein ou sur le ventre de la séricicultrice, l’éclosoir, l’enfouissement dans du fumier, les chambres chauffées ou des corbeilles placées sur le fourneau ; la récupération de la toison des moutons se fait par les forces, l’arrachage, l’épilation, ou l’ingestion de végétaux dépilatoires ; le décoconnage, la récolte de la laine et le ramassage du coton sont eux-mêmes des modes synergiques de récupération des fibres textiles. Quant à la couleur du fil, elle s’obtient par une eau de boisson tinctoriale, par la sélection des animaux, par le triage des fibres ou par la teinture. Enfin, pour la pièce, le motif résulte du type de tissage effectué ou s’applique sur le fond préalablement tissé.

Si on change de secteur pour prendre l’exemple du traitement du corps, le tatouage offre de beaux exemples de synergie dans le système technique (cas 3). En effet, pour tatouer, outre que la peau est analysée comme fabriquant, la pénétration de la couleur dans la chair se fait par piqûre ou par incision : avec des pointes d’alène, des esquilles d’os, de silex, des arêtes de poisson, des aiguilles végétales, des dents d’animaux, des poinçons, des éclats de bois, du fil de fer, des clous, des lames de rasoir, des morceaux de verre, des pointes de couteaux, des plumes, des épines de figues de barbarie, des aiguilles à coudre ou des dermographes électriques (dispositif mécanique multipliant les injections d’encre dans la peau) [8]. Les Polynésiens recourent à un peigne fait d’os, d’écailles ou de dents animales. Les déportés de la Seconde Guerre mondiale témoignent quant à eux de différentes manières de tatouer : un feutre à encre de Chine taillé en biseau pour piquer, un système de plaques où les chiffres étaient faits d’aiguilles, de l’encre appliquée au pinceau, un instrument ressemblant à un gros stylo d’une dizaine de centimètres doté d’un réservoir et d’une épingle remplaçant la plume, une machine avec un bras de levier [9]. Outre les caractères de la peau et les modes de pénétration de la couleur, il faut encore tenir compte des ingrédients utilisés pour colorer le dessin ou l’inscription : autrefois les détenus recouraient au mâchefer, aux morceaux de houille ou de charbon de bois, à la suie ou au noir de fumée recueilli en grattant des marmites dans les cuisines, à des éclats de briques ou de tuile broyées, à l’ardoise pilée, et même parfois au chocolat en poudre [10]. Tous ces procédés alternent pour la production de noir à tatouer.

Enfin, terminons par la synergie du moyen (cas 4 : un même moyen sert dans plusieurs procédés), la laine peut être travaillée par de multiples procédés dans le secteur textile : aux cardes, au peigne ou à l’arçon ; le filage au fuseau et au peson, ou au rouet. Cette même fibre sert à la fois au filage et à la fabrication de feutre. Il s’agit de synergie « mécanique », puisque le même moyen réel (la laine, l’eau, le suint) constitue le fabriquant de plusieurs utilités recherchées ou est travaillé selon diverses manières.

Comme l’outillage, les constructions sont également à étudier en fonction de ce qu’elles produisent. Le bâti ne constitue pas uniquement du logement schématique ; il sert aussi, ergotropiquement, à fabriquer certaines qualités et quantités aux fibres. La technique architecturale est machine à produire. D’où l’intérêt d’un examen systématique des modalités bâties utilisées lors de l’élevage des ovins et de l’éducation des vers à soie, et d’une étude des constructions abritant le moulinage du fil de soie. En effet, bergerie, magnanerie et moulinage ne forment pas de simples enveloppes architecturales. Ces équipements construits participent du système de production au même titre que n’importe quel outillage étudié précédemment.

Ainsi, les bergeries offrent plusieurs destinations, comme l’explique un auteur de manuel Roret sur les constructions rustiques : la première est de pouvoir loger sainement les bêtes à laine pendant l’hivernage jusqu’à ce que la saison de paquer arrive ; la seconde de fabriquer du fumier servant d’engrais pour les terres humides ; la troisième de servir de hangar et de remise pendant la saison de pacage [11]. Sous la première destination, il faut entendre les meilleures dispositions pour loger les bêtes afin d’en obtenir les meilleures matières (viande ou laine). Nous verrons ici ce qui concerne la laine. Donner aux fibres des caractéristiques précises ne consiste pas uniquement à fabriquer « directement » le bien-être de l’animal en s’adaptant au mieux à sa physiologie grâce à un certain nombre de procédés techniques, mais aussi, « indirectement », si l’on peut dire, à lutter, grâce à une batterie d’équipements, contre tout ce qui peut aller à l’encontre des caractères recherchés. Les éleveurs tentent de combattre dans ce but la malpropreté, l’humidité et les prédateurs.

Les magnaneries quant à elles possèdent plusieurs dispositifs fabriquants pour créer des conditions atmosphériques utiles à la production textile : dispositifs de ventilation régulée, de modulation de l’éclairage et d’hygrothermie (d’environ 80 à 85 % d’humidité au premier âge des vers à soie, elle passe à 65-70 % au troisième, et entre 20 et 25 °C).

Comme la bergerie et la magnanerie, le moulinage, loin de ne faire qu’abriter passivement une production, en l’occurrence la torsion de la soie, fabrique une atmosphère adaptée à ce travail, ce qui contribue à sa non-cassure, donc participe du fabriquant pour assurer la solidité du fil ; prenons l’exemple du mécanicien Vaucanson, qui comprend parfaitement le rôle du bâtiment quand il écrit : « l’expérience a montré que l’air sec et brûlant rend la soie cassante, et l’empêche de résister aux efforts des moulins » [12] ; il faut donc « faire choix d’un local avantageux » (Ibid., p. 157). Il affirme encore, parlant de la qualité de ses moulins, qu’« ils n’ont opéré un si grand effet, que parce qu’ils ont été placés dans un lieu avantageux, dans des bâtiments favorablement disposés […] » (Ibid., p. 168). Les différents traits architecturaux utiles constituent des segments du fabriquant d’une hygrométrie favorable au travail de la fibre de soie : l’épaisseur et l’étanchéité des murs, la salle voûtée où se déroule le moulinage, la superposition des étages sur cette salle de travail, le sas (pour éviter les variations de température), la petitesse des fenêtres (pour éclairer en modifiant au minimum l’atmosphère de la salle de moulinage) et la disposition semi-enterrée (pour l’inertie thermique). Tout forme système et l’outillage de production, finalement, comprend en association les uns avec les autres, les ustensiles mobiles et les dispositions architecturales adaptées à la production textile.

La dominance de l’histoire dans les sciences humaines rend pour le moment difficile la reconnaissance de l’approche médiationniste, qui ne se fonde pas sur le présupposé d’une suprématie chronologique ou sociale. Pourtant, les concepts de polytropie et synergie donnent une prise beaucoup plus précise et efficace dans l’étude des cas. En particulier, ils autorisent des comparaisons pertinentes sur tel ou tel point de l’analyse, car fondées sur des rapprochements structuraux. Ainsi la cohérence d’un corpus constitué sur cette base n’a plus de raison de s’appuyer sur les critères de la cohérence chronologique, géographique ou stratique, ou bien sur de la pure ressemblance formelle.

2 L’ergotropie et la confection

La polytropie et la synergie sont des concepts indissociables d’une étude ergotropique. Elles permettent en particulier de comprendre le système technique formé par une production, ce qui contraste avec l’approche floue de la « confection ».

2.1 L’ergotropie : un système technique en « blocs opératoires »

L’étude d’une production consiste à déconstruire ce qui tient de l’ergotropie, c’est-à-dire du système technique en jeu, indépendamment de la dynamique (procédés permettant de produire avec moins de peine, plus vite, en plus grande quantité). Il s’agit, dans l’ergotropie, de tenir compte de l’investissement de toute la technique, non « directement » pour servir, mais « intermédiairement » pour produire qualités ou segments utiles, indépendamment de toute chronologie de la production. Ainsi, la sélection d’espèces ovines aux belles fibres limitées en jarres (poils raides impropres au filage), la qualité de la nourriture des ovins, la dispense de souillures sur la toison, la tonte sans casser les fibres, le peignage pour les rendre parallèles, leur filage homogène et avec une forte torsion vont dans le même sens de l’obtention de la solidité du fil.

Dans l’ergotropie, polytropie et synergie permettent la constitution du « système » technique : tout se tient en matière de production, comme on peut l’illustrer par les effets contraires des fabriquants sur les traits fabriqués du fil. Ainsi, pour poursuivre les exemples textiles, plus la soie produite est élastique, moins elle sera résistante, et inversement. Indépendamment de l’observation des oppositions ou compositions des caractères entre eux, il est notable que certaines variations dans le fabriquant font s’associer ou s’opposer (suivant les variations en cause) différentes utilités dans le fabriqué. Ainsi, quand le nombre de fibres de soie filées ensemble est grand, épaisseur et solidité vont de pair.

De ce fait, à la façon d’une formule mathématique, on peut définir le système technique comme toutes les polytropies et synergies partielles dans lesquelles entrent les éléments d’une production. Le bloc opératoire [13] n’est que la partie de ces polytropies et synergies qui servent une production déterminée (par exemple le textile). Ainsi, l’élevage des moutons forme un système technique produisant polytropiquement des matériaux pour de multiples usages (laine, viande, lait, excréments, suint), mais on peut déterminer un bloc opératoire textile en ne retenant que les éléments utiles à la production d’une fibre aux qualités voulues. Ainsi, dans l’étude du bloc opératoire de la production textile, il faut retenir, dans les pratiques d’élevage, celles qui favorisent la qualité ou le volume de fibres produites (croisement des espèces à laine, choix de l’alimentation, type de tonte, entretien des bergeries pour éviter les souillures de la laine…), tandis que d’autres concernent la production de lait ou de viande.

2.2 Confection et « chaîne opératoire »

Les études techniques ont l’habitude de présenter la production sous l’appellation de « chaîne opératoire », qui mêle des éléments de narration (récit chronologique en « phases » de ce qui se déroule réellement), d’économie, de jugement, et d’autres relevant de ce que nous appelons la « confection », c’est-à-dire l’organisation sociale d’une production. La « chaîne opératoire » ne constitue donc pas une analyse technique mais une sociologie de la production que nous appelons la « confection ». De fait, la confection concerne la répartition sociale de la production, c’est-à-dire l’éclatement d’une production entre plusieurs lieux (par exemple l’utilisation de tissus français dans des productions vestimentaires ottomanes au XVIIIe siècle), l’échelonnement d’une production dans le temps, l’organisation professionnelle ou domestique de la production.

Prenons l’exemple du traitement du corps pour illustrer cette question de la confection. Elle comprend d’une part les corporations (atelier) et d’autre part les métiers (ouvroir) liés au traitement corporel : esthéticien ; manucure ; coiffeur ; diététicien ; chirurgien ; médecin ; kinésithérapeute ; dentiste, etc. Il faut noter que la pratique du traitement corporel n’est pas forcément assumée par des professionnels : par exemple, les premiers tours de bandelettes autour des pieds des petites Chinoises étaient confiés à une femme âgée dont l’existence a été heureuse et prospère. De même, chez les Matis d’Amazonie, « les ornements ont une origine sociologique bien déterminée : chacun doit provenir d’une catégorie de parents spécifique, et de nulle autre. Chaque ornement représente en quelque sorte un morceau du socius, et le message de leur accumulation est clairement celui de la complémentarité. Devenir une personne requiert l’intervention de plusieurs parents relevant de catégories distinctes. C’est dans l’opposition entre les ornements de pourtour de bouche et les tatouages que se reflète le plus clairement la nécessité de diversifier les intervenants dans la fabrication composite d’un être. En effet, sous peine de mort, il faut impérativement se faire percer le visage par son père ─ ou, le cas échéant, par son frère aîné ─, tandis que le tatouage ressort des attributions des oncles maternels ou, le cas échéant, des cousins croisés aînés. [...] C’est donc véritablement le rapport au monde qu’expriment les ornements matis. Il faut avoir des parents pour être paré et vice-versa » [14]. Parfois, c’est la possession de l’outillage qui établit le métier, comme chez les Bwaba (Burkina Faso) : c’est une femme d’expérience, appartenant à un lignage forgeron détenteur de l’essentiel du pouvoir religieux, qui se charge de scarifier les membres d’une ou de plusieurs communautés villageoises ; l’estime qu’on lui porte tient, outre à son aptitude à disposer nettement et harmonieusement les signes, au fait qu’elle soit propriétaire à vie des instruments scarificateurs répartis en lots de quatre lames rectangulaires [15].

Une étude historique de la confection devra donc tenir compte des variations des répartitions de tâches entre les corporations et de l’extension des rôles assumés par chaque métier : par exemple, dans l’Antiquité, contrairement à aujourd’hui, l’art du dentiste était exercé par tous les médecins, tout comme les autres parties de la chirurgie [16]. De même, certains métiers ont disparu comme les spécialistes antiques de la castration pour faire des eunuques (le castrator latin ou le τομεύς grec) [17].

Enfin, l’étude de la confection en matière de traitement inclut celle de l’apprentissage du métier : internat en médecine, formations professionnelles, etc. L’apprentissage n’est pas forcément institutionnalisé en enseignement : la formation se fait « sur le tas » par des observations, des expérimentations et des lectures. Ainsi, les tatoueurs et les pierceurs se forment en autodidactes ; ils apprennent seuls par l’observation et la pratique s’ils sont embauchés un moment comme aides ou apprentis par ceux qui sont déjà installés, ou bien ils apprennent en proposant gratuitement leurs services à des proches [18].

3 L’innovation

L’approche médiationniste de la technique, déconstruisant l’ergotropie par la polytropie et la synergie, donne une prise intéressante pour reconsidérer l’histoire des techniques et la question de l’innovation.

Selon Fr. Russo, l’étude d’une création se partage en trois phases : « [...] 1) l’avant de l’invention, ses antécédents, son approche ; 2) l’invention proprement dite ; 3) l’après de l’invention qui est constitué non pas exclusivement, mais principalement du progrès de ses performances » [19]. Il ajoute plus loin que « l’histoire exacte d’une invention exige un inventaire complet de ses composantes [dont chacune] [...] doit être caractérisée avec le plus grand soin », par exemple pour l’imprimerie « [...] les caractères mobiles d’abord en bois, puis métalliques ; l’encre ; la presse ; la réalisation d’une disposition régulière des caractères » (Ibid., p. 180-181). Cette approche se réduit à la description de réalités matérielles et à un point de vue chronologique. Ce qui est en jeu dans le changement technique, c’est le bénéfice qui en est retiré, qui peut être d’ordre ergologique (les caractères en métal de l’imprimerie impriment des lettres plus nettes que celles en bois), d’ordre économique (ils s’usent moins vite donc sont remplacés moins souvent), d’ordre sociologique (la presse diminue le labeur de l’imprimeur). Ce sont toutes ces distinctions qui sont à analyser précisément dans une invention et ses « perfectionnements ».

En conséquence, polytropie et synergie permettent le rapprochement de secteurs a priori éloignés du point de vue de la confection, du jugement, etc. Les divisions chronologiques habituelles éclatent au profit de rapprochements sur un point du système technique. Ainsi, les innovations sont à reconsidérer du point de vue technique. Toutes les avancées sociales en termes de pénibilité du travail par exemple, ou en termes de rentabilité concernent une autre histoire, l’histoire sociale des travailleurs ou l’histoire économique. L’histoire des techniques quant à elle doit se pencher sur le potentiel ergotropique d’une production, amenant l’homme à produire ce qui se trouvait inscrit en germe dans le système mais n’était pas encore performantiellement exploité. La question de l’histoire des techniques préoccupe les chercheurs depuis le XIXe siècle au moins. Pour sortir de l’ornière de la chronologie, la théorie de la médiation permet de prendre la question de façon plus systématique afin de mesurer précisément sur quoi portent les changements d’art.

La distinction entre les inventions mécaniques, téléotiques et mécanologiques/téléologiques ne s’attache pas à un ancrage chrono-géographique. Elle permet le rapprochement ergologique d’inventions d’époques ou d’origine géographique pourtant éloignées. En effet, une innovation sur un de ces trois points n’est pas nécessairement contemporaine de celle qui porte sur une autre partie du système technique ; un procédé inventé à une époque a pu être exploité pour une fin innovante des siècles plus tard : par exemple, « le clavier à marteau a servi dans le piano à fin musicale bien avant de servir à dactylographier à fin d’écriture » [20]. De même, certains s’accordent à penser que la vannerie a existé avant le tissage : « le tissage précéda probablement le filage puisque les premières cultures, sans aucun doute, entrelaçaient avec les doigts de longues tiges fibreuses (essentiellement tressage de l’osier) avant d’apprendre à transformer les fibres courtes en fil continu » [21]. On peut encore discuter de l’antériorité d’un procédé par rapport à l’autre selon une vision linéaire allant du soi-disant simple (vannage) au plus élaboré (tissage), mais, dans le principe, on peut admettre que le procédé d’entrecroisement a pu être inventé pour la vannerie avant d’être exploité postérieurement pour le tissage. De même, les cartes perforées employées dans la commande des métiers à tisser pour la réalisation des façonnés (tissus non unis comportant des motifs) dérivent du système des picots des horloges et des boîtes à musique et ont servi ultérieurement dans les premières machines à calculer [22]. Du fait de la polytropie de l’outil, une invention en une situation historique donnée, en fonction d’une motivation particulière dans un secteur précis, contient en germe toutes les exploitations ultérieures du système technique qu’elle met en œuvre, aussi bien dans le même secteur que dans d’autres : citons à nouveau l’usage de la poudre, attesté au XVe siècle, mais dont on ne maîtrise les capacités explosives grâce à la cartouche que deux siècles plus tard seulement. Pour prendre un exemple dans un tout autre champ, la métallurgie a beaucoup progressé dans une perspective guerrière ; du point de vue ergotropique, la métallurgie possède un spectre polytropique beaucoup plus large que le seul secteur militaire en vue duquel on l’a fait initialement progresser, rendant possible son exploitation par exemple dans le secteur agricole. De même, l’invention du système bielle-manivelle, datée du début du XVe siècle, a été exploitée très tôt dans le rouet à pédale et beaucoup plus tard dans la machine à vapeur (Ibid., p. 116-117).

La dynamique et le moteur apparaissent souvent comme une innovation technique et en cela demandent examen plus particulier. En effet, les déconstructions du modèle permettent de nuancer cette opinion : comme tout appareillage de l’ouvraison, la dynamique comme le moteur peuvent servir la finalité ergotropique en produisant les caractères du produit. Prenons l’exemple du moteur dans le moulin à eau : ce moteur hydraulique participe de la fabrication des caractères des produits textiles s’il concourt à fabriquer l’homogénéité du fil, c’est-à-dire s’il intègre un outillage de régulation du débit d’eau (vannes, béals) et, en prévision des pannes d’une machine à mouliner, s’il comporte des équipements de répartition des forces entre tous les moulins restants afin de limiter une trop forte variation d’apport énergétique, nuisible à la constance de la torsion. Sinon, il sert essentiellement à la facilitation du travail par exemple ou à la productivité économique, non strictement à la production technique d’une qualité ou d’un segment. Cela conduit à nuancer les effets d’une innovation : la dynamique et spécialement le moteur intéressent l’histoire ergotropique du textile lorsqu’ils font partie du fabriquant des caractères recherchés (comme la régularité parfaite de la torsion du fil avec des moulins motorisés) et non lorsqu’ils ne font que fournir de la force pour produire plus vite ou facilement.

De fait, si les modifications de manœuvre paraissent si importantes, c’est qu’elles sont de grande portée sociale, par la dispense de labeur qu’elles assurent à l’ouvrier. Par exemple, pour carder la laine, la manœuvre consiste à faire agir l’une sur l’autre en sens opposé les deux parties de la carde, afin d’entraîner les fibres en des directions inverses, ce qui les mélange intimement. La manipulation n’est pas aisée : certaines cardes se composent de deux planches à crocs dont on manipule chaque manche d’une main, simultanément et en sens contraire. Si on se sert du poids du corps ou de celui d’un autre ustensile pour maintenir la carde inférieure immobile, la pénibilité du travail diminue car cela évite d’avoir à l’actionner, et le rendement augmente car une main se trouve libérée pour alimenter en continu les cardes en flocons de laine (économie de la manipulation), sans pour autant que se modifient les qualités ergologiques.

Dessin de cardes mobiles et immobiles, tiré de d’Alembert et Diderot, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (1751-1780), volume de planches, « Draperie », pl. II

D’autres équipements constituent des formes de la manipulation outillée comme la manivelle et la pédale du dévidoir à cocon, en tant qu’elles équipent dynamiquement le dévidoir pour alléger la peine de l’ouvrier.

Dessin de dévidoir à soie, tiré de d’Alembert et Diderot, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (1751-1780), volume de planches

La diminution de l’effort à fournir par l’ouvrier peut elle-même être source d’une diminution de main-d’œuvre qu’éventuellement on juge moralement répréhensible du fait de l’apparition du chômage. La mutation technique peut ainsi être fondamentale à un plan sans l’être à un autre : le dévidoir fabrique ici sensiblement le même fil de soie quel que soit son mode d’actionnement, mais sa motorisation modifie l’organisation du travail.

Éternel dilemme de l’œuf et de la poule : il est parfois impossible de déterminer si l’accroissement de dispense de labeur est un effet de l’innovation ou une motivation l’ayant provoquée. En tout état de cause, Aristote s’était déjà avisé de la portée sociale du robot : « si le ciseau et la bobine s’activaient de leur propre initiative, l’esclavage deviendrait impossible » [23] ; contrairement au philosophe antique, Marc Bloch conçoit les changements techniques comme des conséquences de mutations sociales : l’innovation a toujours visé, selon lui, « à épargner le travail humain ou, ce qui revient à peu près au même, à lui assurer un meilleur rendement. Pourquoi ? Parce qu’il y avait moins d’hommes peut-être. Mais surtout parce que le maître avait moins d’esclaves » [24].

L’histoire des avancées en matière de dynamique doit donc distinguer celles qui apportent techniquement des qualités ou quantités supplémentaires au produit ergotropique (comme une homogénéité toujours accrue du fil) et celles qui ne font que diminuer le labeur, ce qui revient à écrire une histoire sociale mesurant la diminution de la pénibilité d’une profession. De ce fait, il faut nuancer la distinction établie entre les inventions et ce qu’on considère comme de simples perfectionnements d’équipements : les « perfectionnements » des anciens moulins par adjonction d’une énergie constante sont de l’ordre de l’invention technique d’un nouveau fabriquant d’une machine innovante, alors que l’« invention » du rouet ne permet pas grand-chose de plus du point de vue technique, mais diminue profondément le labeur de l’ouvrier. De même, l’utilisation de l’eau et de la vapeur pour actionner les métiers n’a pas entraîné en Europe de modification des techniques de base du tissage dans la première moitié du XIXe siècle [25]. On a donc tout à gagner à ne pas globaliser les inventions, entre autres celles des moteurs en les situant systématiquement dans le « progrès » technique sans préciser sur quoi porte le changement : l’art, la société ou l’économie. De même, on gagne à comprendre le système technique propre.

Comme on l’aperçoit au travers de ces quelques exemples, la polytropie et la synergie offrent une prise sur la création, l’innovation (différente du progrès qui est la valorisation du changement) et permettent en conséquence de reconsidérer les problématiques, les concepts, les préoccupations de l’archéologie industrielle, de l’ethnologie (de l’artisanat, des confections familiales) et de l’histoire des techniques qui doivent être réévaluées en fonction des points d’évolution à chaque plan de rationalité (perte sur un point, gain sur un autre). La prise en considération des systèmes techniques revalorise la technique, l’autonomise indépendamment de toute chronologie, organisation sociale de la production, système de valeurs.

4 Le geste, une production ergotropique manipulatoire

L’analyse du système technique serait incomplète si on en restreignait l’étude aux seuls éléments matériels d’une production. Certes, comme historiens de l’art, comme archéologues, comme historiens des techniques, nos habitudes de professionnels des choses (spécialistes des tableaux, des marbres, de l’architecture, etc.) nous conduisent à assimiler la technique et la matérialité. D’où le développement des savoir-faire de classement et d’inventaire, d’une part, et, d’autre part, le développement des technologies d’analyse des matières (pour trouver la datation du bois de construction, pour déterminer les alliages de métaux, pour distinguer les traces d’outillage, etc.). Ces procédures professionnelles permettent d’approfondir la relève documentaire (dater, attribuer, localiser l’origine d’une matière, etc.), mais ne constituent pas une approche scientifique de l’objet d’étude qu’est l’ars, c’est-à-dire sa déconstruction structurelle.

En s’éloignant de ces considérations professionnelles, l’approche médiationniste nous avertit que la chose fabriquée comprend tout à la fois des éléments techniquement pertinents et des caractères inévacuables de la matière. Elle nous conduit à aller plus loin dans l’analyse car, si la technique se retrouve dans la détermination de la pertinence des matériaux, elle se niche conjointement dans la manipulation fabriquante, autrement dit dans le geste comme motricité « raisonnée ». L’importance du geste apparaît dans certaines cultures comme au Japon avec les « Trésors vivants », garants d’un savoir-faire centenaire révéré. Dans le domaine des sciences humaines, pratiquement tout reste à faire pour analyser le geste fabriquant.

Prenons quelques exemples pour illustrer ce propos. Lorsque le mouton est tondu, l’objectif n’est pas seulement de récupérer une matière par quelque moyen que ce soit. Cette matière est analysée en matériaux suivant la production à laquelle on la destine (isolation d’habitation, remplissage de matelas, production de fil, etc.). Pour isoler thermiquement ou servir de couche, une récupération « grossière » suffit. En revanche, pour la filer, la manière de récupérer la laine sur le dos du mouton est tout aussi importante que les qualités apportées au poil lors de l’élevage. Il s’agit en effet de ne pas casser le poil par des manipulations maladroites car il se file d’autant mieux qu’il conserve un maximum de sa longueur. L’usage des forces comme des produits dépilatoires s’avère donc bien adapté à un usage textile de la laine.

Concernant le filage, la manœuvre de la fileuse est aussi importante que l’outillage qu’elle emploie. Tout autant fabriquant que des éléments inclus dans l’objet utilisé, le geste est essentiel à la fabrication de la longueur car, si l’ouvrière lance trop fort son fuseau, le fil risque de casser, donc d’interrompre la visée de continuité du filage. Par ce procédé, le fil obtenu est relativement fin, au contraire du procédé « drougha », pour lequel la révolution du fuseau se fait dans la main de la fileuse, ce qui permet d’obtenir un fil plus épais. Manœuvrer, ce n’est donc pas seulement avoir une gesticulation de production de force, mais aussi une manipulation adéquate, c’est-à-dire une manœuvre ergologiquement efficace en vue de la fin productive visée suivant une force et une direction pertinentes.

Comme pour le cardage ou le filage au fuseau, le doigté de la fileuse est essentiel au cours du dévidage pour produire l’homogénéité du fil. En effet, au fur et à mesure que le cocon se dévide, la fibre voit son diamètre s’amenuiser ; l’ouvrière, sentant tactilement cette diminution, raccroche une nouvelle fibre au moment adéquat, afin de maintenir aussi identique que possible le diamètre du brin.

Pour le tatouage, le geste s’avère tout aussi essentiel. Ainsi, les Polynésiens frappent leur peigne à petits coups à l’aide d’un maillet sur la peau après avoir trempé le peigne dans une dilution de suie, tandis qu’en Birmanie le tatoueur tend la peau, et, d’une certaine hauteur, laisse tomber une aiguille préalablement trempée dans du colorant. Les Esquimaux et les Indiens du nord de la Colombie britannique quant à eux tatouent au fil : cela consiste à passer dans le chas d’une aiguille un fil enduit de noir de fumée ; l’aiguille chemine dans la peau et, en ressortant, elle entraîne le fil qui se décharge ainsi de son colorant, lequel apparaît par transparence en bleu foncé [26].

Dans la pratique de la dorure, la minutie du geste apparaît, une fois encore, essentielle à la réussite de la production. Ainsi, l’« assiette » en dorure se pose sur les parties qu’on prévoit de rendre brillantes en les brunissant, donc elle ne se met pas sur toute la surface apprêtée mais, en général, seulement sur les reliefs. Le geste fabrique la pose efficace de l’assiette : il convient de tenir le pinceau le plus parallèle possible par rapport au support, par le dessus, entre le pouce et l’index, et de poser l’assiette d’un trait, sans reprise, pour obtenir l’application la plus homogène possible. La première couche est légère pour l’accroche (grâce à l’action de la colle, ingrédient de l’assiette) et les deux suivantes sont plus concentrées (« l’assiette forte »).

L’analyse de la manipulation peut se diviser en une étude de la direction (c’est-à-dire, d’un enchaînement de gestes), et de la force imprimée à la manipulation.

Ainsi, concernant la direction, le dévidage de la soie est droit (on tire les fibres) puis circulaire (on les enroule sur l’asple) ; le filage est circulaire (les fibres sont enroulées l’une sur l’autre) dans un sens (filage « en S ») ou dans l’autre (filage « en Z ») pour pouvoir filer des fils retors plus solides ; dans le tissage, la trame suit un mouvement sinusoïdal (à répétition plus ou moins rapprochée selon l’armure choisie), etc. Cette « direction » prend le nom de « coup de main » en cuisine ou en art, qu’on n’acquiert jamais par l’application à la lettre d’une recette de cuisine ou en suivant rigoureusement les conseils d’un professeur de peinture, mais qui vient par l’expérience et la répétition, l’échec et le recommencement, d’où l’utilité de l’apprentissage comme acquisition du geste pertinent. Après la direction, la force : pour le filage, si celle imprimée au fuseau ne produit pas une vitesse de rotation suffisante, la torsion s’avère trop faible ; de plus, si cette force n’est pas constante, le fil est irrégulier (donc plus fragile quelle que soit la fibre ; moins réfléchissant dans le cas de la soie, etc.).

Dans les présentations de la chaîne opératoire, il est souvent question de « séquence » mais, comme déjà dit plus haut, avec un mélange d’éléments tenant de la narration (un récit qui se déroule dans le temps), de la confection (un éclatement social de la production) et de l’ergotropie (le système technique). L’analyse de la manipulation telle que définie par une direction et une force peut plus efficacement définir la « séquence » comme une unité manipulatoire nécessaire à la production.

Comme constitutif de la technique, le geste n’échappe pas à la synergie et à la polytropie qui la définissent. Le filage peut par exemple se faire synergiquement par plusieurs types de gestes : au fuseau, il s’agit d’un geste de rotation par les doigts soutenu par le poids de la fusaïole, tandis que le filage au rouet nécessite une rotation manuelle de la manivelle ou un battement de la pédale qui entraîne le fuseau.

5 Le vivant, un cas non particulier dans la production

Outre l’attention indispensable au geste dans l’étude technique, il faut nécessairement y intégrer le vivant. En effet, du point de vue technique, le vivant n’a en la matière pas de spécificité justifiant sa mise à part ou sa non-prise en compte. Certes, son caractère animé peut causer quelques désagréments dans la production, mais il possède également de grands avantages pour une production qui peut être orientée durant la croissance de l’être vivant pris alors comme matière.

Dans le domaine du textile, soie et laine sont majoritairement présentées comme des « matières premières ». Pourtant, elles n’ont plus rien d’originellement naturel, ne serait-ce que par les croisements anciens et nombreux des vers ou des ovins pour leur exploitation textile [27] : ainsi, le Bombyx Mori ne pourrait pas exister à l’état naturel tant il a été domestiqué, puisque la chrysalide naît sans tube digestif, son existence ayant été orientée dès l’abord vers la seule reproduction de l’espèce (elle meurt peu de temps après la ponte).

5.1 L’élevage des moutons et des vers à soie, une production textile

Les recherches sur le textile se concentrent le plus souvent sur le travail effectué à partir de la récupération des fibres, comme l’annonce par exemple Fr. Russo : « la production textile se présente sous le mode d’une chaîne d’opérations : 1. préparation des fibres pour leur filature ; 2. filature ; 3. tissage ; 4. traitements divers destinés à donner au tissu les qualités que l’on en attend » [28]. Dans la présentation de Fr. Russo, il n’est pas tenu compte de ce qui se passe avant la récolte des fibres textiles, comme si l’artisanat du textile à proprement parler débutait à partir de celle-ci, ainsi que le suggère l’appellation « matière première » pour désigner les fibres avant leur filage. Cette dénomination « matière première » est tout à fait démonstrative de la façon dont les fibres sont considérées : comme des matières brutes destinées à être transformées au cours de la production pour devenir, in fine, un tissu ou un vêtement.

Mais, si on ne sélectionne pas la bonne espèce de mouton ou si on ne fournit pas au ver les conditions adéquates à son développement, toute la chaîne de production s’en trouve affectée par la mauvaise qualité des fibres obtenues. La fabrication de la laine dans la toison ou celle de la soie dans le cocon ne présentent pas de statut ergologique différent de n’importe quelle production ; la différence avec les autres productions est d’ordre social, puisqu’elles supposent une organisation des métiers adaptés à des animaux. Comme nous nous plaçons ici du point de vue technique et non pas social, notre position consiste à considérer la laine et la soie comme des matériaux fabriqués bien en amont de leur récupération, puisque les soins prodigués par l’homme à l’animal préservent certaines qualités de la fibre ou lui en apportent d’autres qu’elle n’aurait pas sans son intervention : déjà lorsqu’elle croît sur le mouton d’un élevage avec une série de pratiques et d’équipements particuliers, on peut dire que la laine ne relève pas de la zoologie, puisqu’elle est déjà expressément fabriquée, qu’elle se distingue donc de la toison d’une bête à laine sauvage, et, de même, les qualités de la soie sont déterminées par la manière d’agir du sériciculteur entre le moment où le ver éclot et la formation du cocon.

Certains éléments bâtis participent eux aussi de la production, ainsi des bâtiments utilisés pour le séchage des matériaux de construction et aménagés en conséquence pour une ventilation optimale ; ceux de nos jours servant au séchage des châtaignes ; les caves à vin ou à fromage aux caractéristiques hygrothermiques spécifiques ; les serres pour maintenir une température adaptée aux plantes et sans choc thermique ; les celliers qui conservent frais les aliments et participent donc de leur entretien…. Des procédés différents, alimentaires pour les moutons et vers à soie, ou « vestimentaires » pour les ovins, produisent des qualités spécifiques aux fibres.

5.1.1 Pratiques alimentaires

En complément des aménagements architecturaux, l’alimentation a elle aussi des effets sur les fibres produites par les vers et les moutons. Certains auteurs font des remarques générales sur la beauté des laines obtenues grâce à un souci constant pour l’alimentation, notamment en ce qui concerne son abondance, « nécessaire aux moutons [...] à la production du suint qui est particulière à ces animaux, et qui contribue beaucoup à la bonne qualité de la laine » [29]. L’alimentation nous intéresse ici en tant que modalité technique donnant aux fibres certaines qualités (couleur, abondance, solidité). Différents facteurs sont à prendre en compte dans ces questions alimentaires : les types d’aliments eux-mêmes ; la quantité, le rythme et le moment de la prise alimentaire ; enfin le type de terrains sur lesquels paissent les animaux.

Concernant les types d’aliments, Louis Daubenton déclarait que les fourrages secs étaient moins recommandés que les herbes fraîches car ils « nuisent à l’accroissement et aux bonnes qualités de la laine » [30]. L’alimentation contribuait selon lui à la longueur de la laine quand la nourriture était constituée de pâturages entretenus par l’humidité des brouillards et situés plutôt en plaine [31]. La quantité ingérée joue également sur l’abondance de la toison, donc sur la masse de fibres récoltées. On note déjà ce point chez Diodore, pour qui l’abondance alimentaire permettait une double tonte [32], ou encore, pour changer de domaine historique, chez O. de Serres qui précise qu’il se trouvait « des herbages causer aux bestes qui en sont entretenues, deux ou trois fois plus de laine que d’autres » [33]. L’alimentation contribuerait également à la finesse de la laine [34], L. Daubenton allant même jusqu’à dire que les laines les plus fines se trouveraient dans des lieux élevés [35].

Concernant les vers à soie, les feuilles de mûrier constituent leur alimentation presque exclusive. Si les feuilles de mûrier sont réputées les seules à nourrir les vers de façon satisfaisante, c’est parce qu’elles permettent d’obtenir de lui le meilleur développement, donc, in fine, une excellente qualité de fibre. Une fois recueillies, les feuilles ne doivent pas être données trop humides aux vers, sous peine d’irriter leur intestin, donc d’influer « de manière fâcheuse sur la production de soie » [36], tout en conservant un certain degré d’humidité, ce qui pousse à effectuer la cueillette la veille de la prise alimentaire [37]. Les feuilles sont hachées, avec un ustensile appelé en Grèce baleta, avant d’être données aux chenilles.

Un autre effet de l’alimentation, similaire à celui sur la laine, est l’influence de la nourriture sur la couleur de la soie. Par exemple, un changement dans l’alimentation de la chenille Eria ou Arrindi rend cette soie sauvage brune, de blanche qu’elle est habituellement (Ibid., p. 452) ; une nourriture spéciale permet d’obtenir des teintes rouges, oranges ou vertes (Ibid., p. 436). Il a été prouvé expérimentalement que c’est le sang de l’insecte qui pigmente la soie : « en administrant aux vers des aliments teints artificiellement, on parvient donc à colorer le liquide soyeux : nourris de feuilles de mûriers teintes à la garance, les vers à soie filent des cocons jaunes ; les aliments teints à l’indigo donnent une soie jaune verdâtre ; teints d’un mélange de garance et d’indigo, une soie d’un vert franc ; teints de cochenille, une soie orange [...] » (Ibid., p. 438-439). Contrairement à l’idée reçue, il est intéressant de relever que la couleur peut donc s’obtenir pour la soie bien avant la teinture proprement dite.

5.1.2 Pratiques « vestimentaires » pour les ovins

On retrouve des modes de production fibreuse pour les ovins au moyen de techniques d’abri vestimentaire : il existait en effet dans l’Antiquité deux procédés, s’apparentant à des vêtements pour ovins, qui servaient à obtenir des fibres certains caractères. Le premier consiste en des chapes de peaux dont on recouvrait l’animal, ainsi que l’attestent Strabon [38] ou Varron [39]. Le second réside dans des sortes de couvertures en laine. On trouve mention de cet emploi par les anciens juifs [40] ou encore chez Pline [41]. Le plus souvent, les animaux étaient en permanence recouverts de ces vêtements, depuis leur naissance, pour en tirer tous les bénéfices, ainsi que le confirme R. Forbes à propos des éleveurs juifs [42]. On cherchait à fabriquer, par le vêtement, certains des caractères de la laine, comme la souplesse dont parlait Strabon [43] et la mollesse dont Pline [44] faisait état. La toison obtenue était aussi réputée plus fine [45]. Les vêtements dont étaient couverts les ovins contribuaient principalement à fabriquer de l’effet visuel et tactile : il était fabriqué un fil plus blanc [46] et plus doux [47], peut-être du fait de la transpiration et du suint constamment maintenus sur la toison grâce à ces couvertures.

5.1.3 Pratiques traitantes

Les techniques traitantes luttent contre tous les éléments dommageables aux fibres et elles cherchent parallèlement à améliorer les espèces.

La lutte contre les maladies ou les parasites néfastes (aux fibres), qui risquent de gâter la toison n’apporte pas en soi des qualités à la fibre, mais lui évite d’être atteinte par des éléments qui en interdiraient la production escomptée : les techniques de traitement agissent de manière préventive ou curative sur la bête. L. Daubenton prétendait quant à lui que la vapeur de soufre faisait périr les chenilles teignes et que l’odeur du camphre et de l’esprit de térébenthine protégeait la laine contre les teignes [48].

La reproduction et l’amélioration des races pour obtenir une qualité de laine supérieure visent quant à elles à l’élimination des jarres dans la toison des descendants d’animaux croisés : en effet, la composition et la forme de ces fibres à aspect crayeux les rendent difficiles à teindre et leur élasticité ainsi que leur résistance à la rupture sont très mauvaises. Les fibres gagnent en qualité grâce à la sélection des bêtes : dans l’Antiquité, Virgile préconisait de sélectionner des bêtes blanches aux toisons moelleuses [49]. À l’époque moderne, on recherchait des ovins à la laine abondante, même dans les parties qui en ont ordinairement le moins, telles le ventre, la queue, les oreilles et jusqu’autour des yeux [50]. Le même objectif d’abondance de la toison est recherché par la castration des agneaux et des agnelles pour rendre leur laine plus fournie [51].

5.2 La culture des plantes tinctoriales : l’exemple de la garance au Levant

Toute l’agriculture relève de l’ergotropie puisqu’on cherche à obtenir des caractères précis des plants. Dans le cas des plantes utilisées pour la teinture, la manière de cultiver (espacement, calendrier, pratiques agricoles) détermine les caractéristiques ultérieures des matériaux tinctoriaux.

Dans le commerce, on désigne au Levant la garance sous le nom d’alizari ou rizari [52]. Seules conviennent pour une belle teinture les plantes dont les racines sont « d’une grosseur médiocre, du diamètre d’un tuyau de plume, et dont la cassure offre une couleur vive, d’un jaune rougeâtre » [53]. Les multiples variétés de garance forment différentes matières du point de vue botanique, mais constituent un unique matériau du point de vue ergologique quand elles sont interchangeables pour leur propriété tinctoriale, c’est-à-dire quand on en obtient une même couleur.

L’alizari pousse partout en Grèce, mais un sol trop gras nourrirait une racine trop abondante en principe extractif, qui se corromprait rapidement et se dessécherait trop vite ; au contraire, avec un terrain trop maigre, la garance donnerait uniquement des brindilles dont la matière, dépourvue de suc, ne fournirait pratiquement pas de principe colorant (Ibid., p. 53). Finalement, les terrains peu compacts, assis sur un fond de glaise ou de sable lui réussissent très bien, ainsi que les sols humides et marécageux. A. Gaudry précise qu’il faut à ces plantes un fond de sable très fin, homogène, qui ne soit pas mélangé de cailloux et qu’elles se plaisent dans les terrains envahis par le sable de mer. Il est encore nécessaire que, sous ce fond de sable, les racines rencontrent de l’eau douce ; l’eau est impropre lorsqu’elle est stagnante et doit donc être courante [54]. Pour préparer le terrain, on le laboure uniment et on se sert de fumier, dont l’emploi est inconnu et inutile pour les cultures en général, notamment à Chypre, sauf justement pour les sols sablonneux réservés à la culture de la garance [55].

Pour que l’alizari fournisse le meilleur produit colorant, il faut le récolter après quatre ou cinq, voire six ans de soins. Les cultivateurs de France ont souvent le tort de l’arracher bien avant (seconde année), en sorte que la racine n’a pas encore acquis la grosseur convenable, ni toutes les qualités qui rendront optimal le principe tinctorial [56].

5.3 Le traitement du corps humain

Le corps (mort ou vif [57]) peut être analysé aussi en matériaux et engins. Comme engin, il est « amaigrissable »/« grossissable », « allongeable » (cou, jambes), combustible (funéraire), congelable (cryogénisation), déformable (crâne), etc. Ainsi, comme engin, on exploite par exemple la réactivité de la peau pour la scarification, puisque ce sont les chéloïdes, saillies boursouflées, qui constituent les motifs cutanés : après incision, on place sur la plaie ou dans la plaie une matière irritante qui empêchera une régénération tissulaire normale et provoquera ainsi une cicatrice exubérante dont le relief pourra dépasser un centimètre d’épaisseur [58]. Comme matériau, la chair est utilisée pour des caractères qui s’opposent : elle est « perforable », « découpable », « couturable », « absorbatrice » d’encre, élastique (stretching) et souple, claire ou foncée, fine ou épaisse, douce ou sèche, etc.

Cette exploitation de la chair comme matériau ou engin peut se faire dans l’immédiat ou dans la durée en utilisant ses capacités transformationnelles. Ainsi, Hérodote rapporte un cas d’utilisation de la repousse des cheveux après rasage du crâne [59] : le tyran de Milet, Histiée, dépêcha à Naxos, à l’intention de son chef de guerre Aristagoras, un envoyé dont il fit raser la tête avant d’y imprimer des caractères ; dès que la chevelure eût repoussé, il expédia l’émissaire à Aristagoras. De nos jours, le stretching exploite l’élasticité progressive de la peau pour agrandir les piercings en y plaçant des objets de plus en plus grands.

Comme n’importe quelle matière, la peau a ses limites en tant que fabriquant : ainsi, les tatouages sur peaux noires sont peu visibles tandis que, pour la scarification, les Noirs obtiennent de bons résultats car leur peau développe les cicatrices hypertrophiques recherchées, contrairement aux peaux blanches qui réagissent moins. De même, le corps comme moyen nécessite la prise en charge de ses caractères inévacuables quand leur effet est gênant, ainsi, de la pousse des cheveux/poils/ongles, des salissures du corps et des cheveux, de la peau disgracieuse. Pour éviter la repousse des cheveux sur le front, la femme médiévale étalait des substances comme du sang de chauve-souris ou de grenouille, du suc de ciguë ou de la cendre de chou mouillée dans du vinaigre. Inversement, celles qui ont le cheveu rare tentaient de le faire pousser en se frottant la tête avec une poudre faite d’ailes d’abeilles, de cantharide, de noix rôties et de cendres de hérisson [60]. Les produits de maquillage des cicatrices, des cernes ou des boutons, les opérations des varices, l’action sur la cellulite, le traitement des angiomes au laser ou des taches brunes par cryothérapie améliorent l’aspect de la peau.

Le traitement intègre également la notion d’entretien, qui consiste en une re-fabrication régulière pour maintenir les traits pertinents du matériau, mais la technique traitante peut être durable ou éphémère : ainsi le tatouage peut être définitif ou provisoire (henné), le maquillage permanent ou quotidien, le marquage perpétuel (au fer) ou éphémère : pour assurer l’identification des déportées ou celle provisoire des nouveau-nés, un médecin américain préconisa, au milieu du XXe siècle, de peindre le nom des enfants sur le dos ou la poitrine avec une solution de nitrate d’argent ; cette inscription devait disparaître après deux semaines [61].

L’exploration des secteurs du textile, de la teinture, du traitement corporel, de la dorure ont permis de mettre à l’épreuve la théorie pour l’analyse technique, mais aussi de préciser certains points grâce à la confrontation avec des cas. Ainsi la polytropie et la synergie ont été mieux appréhendées, de même que le système technique comme ensemble cohérent de « blocs opératoires » ou le geste. Le second bénéfice de ces études concerne les disciplines liées à la technique car la théorie de la médiation permet de proposer des inclusions ou exclusions dans certains champs disciplinaires comme l’archéologie industrielle, l’histoire des techniques, l’ethnologie de l’artisanat, l’histoire des confections, etc. : cette approche permet d’élargir à ce qu’on ne mettrait pas spontanément dedans comme certains procédés de construction, d’élevage, de traitement corporel ou d’alimentation ; elle incite aussi à ne pas tenir pas compte, pour l’étude technique, de ce qui ne concerne pas directement la production de qualités ou quantités (par exemple tout ce qui dans l’outillage facilite le labeur de l’ouvrier ou le rendement).

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VAUCANSON J., 1776, « Mémoire sur l’emplacement et la forme qu’il faut donner au bâtiment d’une fabrique d’organsin », Mémoires de l’Académie des Sciences, p. 156 sq.


Notes

[1Les exemples concernant le textile sont issus de mon mémoire de DEA et de ma thèse de doctorat, soutenue en 2002 à l’université de Paris IV-Sorbonne, intitulée La production textile (coton, laine, soie) en aire hellénophone moderne : analyse technique et historique. J’exploite également ici mon travail de membre de l’École française d’archéologie à Athènes : Les brocards occidentaux « pour le Levant » (XVIIIe-XIXe siècles) à partir du corpus grec (à paraître).

[2d’Alembert et Diderot, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (1751-1780), s. v. « Illinois ».

[3Ibid., s. v. « Pacos » ; Cousinery, Voyage dans la Macédoine contenant des recherches sur l’histoire, la géographie et les antiquités de ce pays, t. 1 (1831), p. 193 ; Forbes, Studies in ancient Technology, 4 (1964), p. 5.

[4Heuzey, Le mont Olympe et l’Acarnanie, exploration de ces deux régions, avec l’étude de leurs antiquités, de leurs populations anciennes et modernes, de leur géographie et de leur histoire (1860), p. 271 ; Perrot, Souvenirs d’un voyage en Asie Mineure (1864), p. 261 ; Forbes, op. cit., p. 5 ; Pouqueville, Voyage de la Grèce, 3 (1826), p. 273 ; Jullien et Lorentz, Nouveau manuel complet du filateur ou Description des méthodes anciennes et nouvelles pour la conversion en fils des cinq matières organiques, filamenteuses et textiles, savoir : le coton, le lin, le chanvre, la laine et la soie (1843), p. 271.

[5Forbes, op. cit., p. 2.

[6Ibid., p. 2 ; Autour du fil. L’encyclopédie des arts textiles, 12 (1990), p. 85 ; d’Alembert et Diderot, op. cit., s. v. « Lapin ».

[7d’Alembert et Diderot, op. cit., s.v. « Alpagne » et « Laines » ; Autour du fil. L’encyclopédie des arts textiles, 12 (1990), p. 85 ; Jullien et Lorentz, op. cit., p. 271.

[8Le Breton, Signes d’identité. Tatouages, piercings et autres marques corporelles (2002), p. 185.

[9Le Monde 2 (8 janvier 2005), p. 21.

[10Le Breton, op. cit., p. 52 ; Delarue et Girard, Tatouages du milieu (1999), p. 20 sq.

[11de Fontenay, Manuel pratique des constructions rustiques, ou Guide pour les habitants des campagnes et les ouvriers dans les constructions rurales (1836), p. 142.

[12Vaucanson, « Mémoire sur l’emplacement et la forme qu’il faut donner au bâtiment d’une fabrique d’organsin », Mémoires de l’Académie des Sciences (1776), p. 156-173, à la p. 158.

[13Balut, Théorie du vêtement (2013), proposition 21.

[14Erikson, La griffe des aïeux. Marquage du corps et démarquages ethniques chez les Matis d’Amazonie (1996), p. 257-258. Les Matis forment une population d’à peine une centaine de personnes, qui n’est entrée en contact régulier avec la société nationale qu’au début des années 1980.

[15Régis, « Le scarifié et le tatoué. Approche d’un système semi-symbolique », Actes sémiotiques VII, 64 (1985), p. 10.

[16Daremberg, Pottier et Saglio, Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines (1877-1919, réed. 1969), s.v. Chirurgia.

[17Juvénal, VI 37, 3.

[18Le Breton, op. cit., p. 181.

[19Russo, Introduction à l’histoire des techniques (1986), p. 173.

[20Bruneau, « Histoire des techniques, ergologie, archéologie », in Techniques et sociétés en Méditerranée, Mélanges M.-Cl. Amouretti (2001), p. 29-38, à la p. 33.

[21Harris, 5 000 ans de textiles (1993), p. 16. Aussi dans Forbes, Studies in ancient Technology, 4 (1964), p. 175.

[22Russo, op. cit., p. 191.

[23Forbes, Studies in ancient Technology, 4 (1964), p. 151, mais il ne donne pas les références à l’œuvre d’Aristote.

[24La citation de M. Bloch est tirée de Le Goff, La civilisation de l’Occident médiéval (1982), p. 195.

[25Cardon, Teintures précieuses de la Méditerranée. Pourpre, Kermès, Pastel, Exposition du musée des Beaux-Arts de Carcassonne 1999-2000 (1999), p. 19.

[26Caruchet, Tatouages et tatoués (1977), p. 145 et p. 150.

[27Sur la question des sélections et croisements d’espèces, voir les actes du colloque Zooarchaeology in Greece (2003). Par exemple, Leguilloux explique (p. 252) que la grande taille des brebis vivant dans un environnement aux ressources aussi limitées que Délos laisse penser que ces animaux ont été sélectionnés.

[28Russo, op. cit. (1986), p. 394.

[29M. le Marquis de G***, Mémoire de l’amélioration des bêtes à la laine, dans l’Isle de France suivi d’une instruction sur la manière de soigner les bêtes à laine, suivant les principes de M. d’Aubenton (1788), p. 9.

[30Daubenton, Extrait de l’instruction pour les bergers et les propriétaires de troupeaux (1822), p. 83.

[31Ibid., p. 21-22.

[32Diodore I, XXXV 6.

[33de Serres, Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs (1600). Édition consultée : Actes Sud, p. 477-478.

[34Bonnet, Manuel théorique et pratique des fabricans de draps, ou traité général de la fabrication des draps fins (1826), p. 24.

[35Daubenton, ibid.

[36Handschin, « Le ver à soie (Bombyx mori Linné) », Les Cahiers CIBA 13 (déc. 1947), p. 443.

[37Ibid. On pourra également consulter un autre article du même auteur, déc. 1947, à la p. 436.

[38Strabon IV 4, 3 et XII 3, 12.

[39Varron II 2, 18.

[40Forbes, op. cit., p. 9.

[41Pline VIII 189. Flaubert, Salammbô (1951), p. 728 de l’édition La Pléiade, s’est souvenu des mentions des Anciens concernant des vêtements d’ovins : « […] ils regardaient avec stupéfaction […] les brebis revêtues de peaux pour protéger leur laine […] ».

[42Forbes, ibid.

[43Strabon XII 3, 12.

[44Pline VIII 189.

[45Strabon IV 4, 3, et d’Alembert et Diderot, op. cit., s. v. « Mégare ».

[46Forbes, ibid.

[47Pline VIII, 189 ; voir le commentaire d’A. Ernout, p. 162 dans la coll. Budé.

[48Daubenton, 1822, p. 198-199.

[49Virgile III 386.

[50d’Alembert et Diderot, 1751-1780, s. v. « Bélier » ; Daubenton, op. cit.(1822), p. 58 et p. 122-123.

[51Catéchisme des bergers, ou extrait de l’instruction de Daubenton pour les bergers et les propriétaires de troupeaux (1810), p. 119 et p. 122.

[52Beaujour, Tableau du commerce de la Grèce, formé d’après une année moyenne, depuis 1787 jusqu’en 1797, 1 (1800), p. 237 ; au lieu du terme d’alizari, on rencontre parfois dans les textes celui de rizari. Ce serait la rubia sylvestris connue des Anciens : Pouqueville, Voyage de la Grèce, 4 (1826), p. 277. Sans donner de détail, d’autres voyageurs signalent l’usage de l’alizari pour la teinture en rouge : Boué, La Turquie d’Europe ou observations sur la géographie, la géologie, l’histoire naturelle, la statistique, les mœurs, les coutumes, l’archéologie, l’agriculture, l’industrie, le commerce, les gouvernements divers, le clergé, l’histoire et l’état politique de cet empire, 4 t. (1840), p. 104 et Rougon, Smyrne : situation commerciale et économique des pays compris dans la circonscription du consulat général de France (Vilayets d’Aïdin, de Konieh et des Iles) (1892), p. 250.

[53Chaptal, L’art de la teinture du coton en rouge (1807), p. 52-53.

[54Gaudry, op. cit., p. 164.

[55de Mas Latrie, L’île de Chypre. Sa situation présente et ses souvenirs du Moyen Âge (1879), p. 50.

[56Pouqueville, op. cit., p. 277 ; Beaujour, op. cit., 1 (1800), p. 240 et 269 ; Chaptal, L’art de la teinture du coton en rouge (1807), p. 53.

[57Chez les Maoris, les tatouages se font aussi bien sur les vivants que sur les morts : Caruchet, op. cit., p. 65.

[58Caruchet, ibid., p. 146.

[59Hérodote, Histoires V 35 (coll. Budé, trad. Legrand, 1989).

[60Paquet, Miroir, mon beau miroir. Une histoire de la beauté (1997), p. 39.

[61Caruchet, op. cit., p. 118. Ce procédé alterne avec le port des bracelets inscrits.


Pour citer l'article

Marie-Laure Portal Cabanel« Les concepts médiationnistes appliqués à la production technique. Développements et conséquences épistémologiques », in Tétralogiques, N°23, Le modèle médiationniste de la technique.

URL : https://tetralogiques.fr/spip.php?article99