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Christophe Jarry, Didier Le Gall, Philippe Allain, Jérémy Besnard

C. Jarry : Laboratoire de Psychologie des Pays de la Loire, Université d’Angers (EA 4638). christophe.jarry chez univ-angers.fr
D. Le Gall : Laboratoire de Psychologie des Pays de la Loire, Université d’Angers (EA 4638) ; Unité de Neuropsychologie, Département de Neurologie, Centre Hospitalier Universitaire d’Angers.
Ph. Allain : Laboratoire de Psychologie des Pays de la Loire, Université d’Angers (EA 4638) ; Unité de Neuropsychologie, Département de Neurologie, Centre Hospitalier Universitaire d’Angers.
J. Besnard : Laboratoire de Psychologie des Pays de la Loire, Université d’Angers (EA 4638).

Les phénomènes de dépendance à l’environnement : réflexions sur l’autonomie humaine à partir de la clinique neurologique

Résumé / Abstract

Dans cet article, nous proposons d’analyser la perte d’autonomie caractérisée par les phénomènes de dépendance à l’environnement observés chez certains patients neurologiques présentant des lésions des lobes frontaux. Des propositions théoriques issues de la neuropsychologie cognitive et de la théorie de la médiation sont développées et confrontées. La démarche offre l’occasion, au plan théorique, de questionner la détérioration possible du système de la personne suite à des lésions cérébrales et, au plan méthodologique, d’interroger notre manière d’examiner ces patients en confrontant les modèles théoriques aux observations cliniques.



Introduction

Dans le développement initial de la théorie de la médiation, Jean Gagnepain (1994, 1995) décrit les troubles du plan de la médiation sociale au niveau des pathologies psychiatriques de l’altérité que sont les psychoses et les perversions (voir également Brackelaire, 1995) sans origine neurologique identifiée ou avérée. Cependant, plusieurs travaux suggèrent que le système social de la Personne puisse également être perturbé suite à des lésions cérébrales affectant plus particulièrement les lobes frontaux et temporaux (voir Sabouraud, 1995 ; 2004 et Le Bot, 2010, pour une revue de synthèse).

Cet article propose un échange entre, d’une part, les questions qui se posent, en neuropsychologie humaine,au sujet des concepts de syndrome frontal, de fonctions exécutives et de théorie de l’esprit (TDE) et, d’autre part,les concepts médiationnistes relatifs à la dialectique ethnico-politique fondatrice de la Personne. Nous nous intéressons ici plus particulièrement à questionner l’hypothèse d’une altération possible de cette faculté culturelle en cas de pathologies neurologiques, en articulant notre réflexion autour des phénomènes de dépendance à l’environnement que nous avons observés chez plusieurs patients présentant des lésions des lobes frontaux. Nous développons ici, plus précisément, les définitions et caractéristiques sémiologiques de « l’adhérence comportementale » et de « l’adhérence cognitive ». Nous emploierons la terminologie de « dépendance à l’environnement » en référence à ces anomalies comportementales qui nous semblent pouvoir ressortir de troubles de l’autonomie humaine tels que proposés par Sabouraud (2004) en référence à : « des patients frontaux dont le comportement est déterminé par les circonstances et l’environnement relationnel. » (p. 45). Notons que ces perturbations se distinguent, par exemple, de la dépendance à l’examinateur entendue au sens de demandes d’aide de la part du malade, constatée par certains auteurs lors de la réalisation d’épreuves écologiques (e.g. Chevignard et al., 2000). Elles se différencient également d’autres troubles comportementaux de modifications de la relation au monde extérieur, comme le réflexe de préhension [1], l’échopraxie ou l’écholalie. Après une synthèse des concepts nécessaires à notre réflexion, nous présentons quatre patients manifestants des signes de dépendance à l’environnement et discutons la cause possible de ces symptômes. La discussion est aussi l’occasion de questionner épistémologiquement nos méthodes de recherche et d’évaluation des patients en neuropsychologie clinique.

1 La littérature neuropsychologique : adhérence comportementale et cognitive

1.1 Du syndrome frontal aux fonctions exécutives

Dans la littérature neuropsychologique, l’étude des troubles du comportement provoqués par l’atteinte des structures cérébrales antérieures commence avec la description inaugurale du cas Phineas Gage par le Dr Harlow (1868, cité par Stuss & Benson, 1986). Suite à des lésions frontales traumatiques accidentelles, le comportement et la personnalité du patient, connu pour être parfaitement adapté socialement et très responsable, sont considérablement modifiés allant jusqu’à une importante désinsertion sociale avec marginalisation, et ce malgré une bonne préservation de ses capacités intellectuelles générales (Damasio et al., 1994). De rares travaux ont par la suite rapporté des perturbations socio-comportementales sans troubles cognitifs associées à la symptomatologie frontale (Eslinger et Damasio, 1985 ; Shallice et Burgess, 1991 ; voir Burgess, 2000 pour une revue de huit cas).

De leur côté, les descriptions de Luria (1966) ont permis d’initier l’investigation des troubles induits par les lésions frontales sous l’angle des perturbations cognitives. Ainsi, Luria (1966) a eu une influence certaine en introduisant l’idée que le lobe frontal mettait en jeu différentes capacités cognitives, elles-mêmes sous-tendues par des structures anatomiques distinctes. Luria (1966) assignait notamment un rôle de contrôle et de régulation de l’activité volontaire aux parties antérieures du cortex cérébral. Sur la base de la terminologie « executive functions », proposée par Lezak (1982) pour regrouper les compétences décrites par Luria (1966), Baddeley et Wilson (1988) ont donc proposé le terme de « dysexecutive syndrome » lors de l’étude d’un patient présentant des troubles cognitifs en lien avec une pathologie frontale. Les vocables francophones de « fonctions exécutives » et de « syndrome dysexécutif » ont été employés en réponse (e.g. Pillon, Dubois, Lhermitte et Agid, 1986).

Les modélisations théoriques issues de la neuropsychologie cognitive ont ensuite conduit à l’élaboration d’épreuves psychométriques destinées à l’évaluation spécifique de ces processus exécutifs, aujourd’hui identifiés sous les termes d’initiation, de flexibilité mentale, d’inhibition des automatismes ou encore d’attention divisée (Azouvi et al., 2001). En conséquence, les travaux expérimentaux ont privilégié l’étude des liens supposés entre les troubles cognitifs de la symptomatologie frontale et les performances aux tâches dites « exécutives ». Ce faisant, l’étude du comportement a été délaissée au profit de celle des déficits cognitifs. Autrement dit, bien que les perturbations comportementales de la sémiologie frontale soient à l’origine de la conception actuelle du fonctionnement exécutif, peu de travaux se sont intéressés aux liens régissant les processus exécutifs et le comportement. Pourtant, à la suite de Lezak (1982), la plupart des auteurs postulent que les fonctions exécutives permettent aussi la régulation des comportements humains (e.g. Amieva, Phillips et Della Sala, 2003). Certains troubles du comportement consécutifs à une atteinte des lobes frontaux sont ainsi fréquemment expliqués, à notre avis par excès ou par défaut, par un déficit du fonctionnement exécutif. C’est le cas des phénomènes de dépendance à l’environnement.

1.2 Les phénomènes de dépendance à l’environnement : définitions

1.2.1 L’adhérence comportementale

C’est François Lhermitte (1981, 1982) qui le premier propose les termes de « comportement d’utilisation d’objets » (CUO) et de « comportement d’imitation » (CI) pour définir deux syndromes neurologiques particuliers de dépendance à l’environnement. La procédure d’investigation du CUO proposée par Lhermitte (1983) est relativement simple, mais originale. L’épreuve débute par la recherche du réflexe de préhension (Seyffarth et Denny-Brown, 1948). Puis, l’examinateur présente divers objets (e.g. un verre d’eau et une carafe, une boîte d’allumettes et une bougie) et les place ensuite simultanément dans les mains du sujet mais sans lui donner de consigne d’en faire quelque chose, de les utiliser, ni répondre aux questions éventuelles quant à l’attitude à adopter. Le CUO est décrit comme l’utilisation spontanée et efficace des objets de la part des patients alors qu’aucune consigne n’ait pu initier cette conduite (si ce n’est celle, implicite, de lui avoir mis les objets dans les mains). Parfois le programme gestuel se déroule normalement, sans précipitation ni « compulsion » apparentes (plusieurs allumettes viennent-elles à tomber de la boîte que le patient les range avant d’en allumer une). Parfois ces gestes peuvent être réalisés après un moment d’hésitation, durant lequel le sujet questionne l’examinateur sur les objectifs de la tâche, avant de se résoudre finalement à adopter l’attitude qu’il juge la plus appropriée (faire ou non).

Lhermitte (1983) s’appuie sur ces manifestations cliniques pour distinguer le CUO des actes moteurs réflexes, comme le réflexe de préhension ou de comportements plus complexes, comme ceux rapportés par Laplane et al. (1981) dans une étude de cas portant sur une patiente qui utilisait « de manière compulsive » les objets (tombée accidentellement au pied de son lit, elle en nettoie les barreaux à l’aide des draps). Pour Lhermitte (1983), les refus des patients d’utiliser certains objets (e.g. nécessaire de maquillage chez un sujet masculin) permettent d’envisager le CUO comme un comportement volontaire, conséquence d’une prise de décision, d’autant que, interrogés sur les raisons de leurs actions, la plupart des malades tentent de les justifier de manière plausible : « Vous m’avez donné des objets, c’était bien pour que je les prenne et m’en serve. » (Lhermitte, 1983, p. 251). Après ce premier examen, l’examinateur reproduit l’exercice, non sans avoir clarifié la situation en énonçant la consigne de ne plus utiliser. Selon Lhermitte (1983), celle-ci reste sans effet : alors même que la plupart des patients sont en mesure de la rappeler, ils sont dans l’incapacité d’inhiber leurs comportements. L’absence de CUO chez les sujets de contrôle ne présentant pas de lésions cérébrales (près de cent ont été évalués) démontre clairement le caractère pathologique du comportement chez les patients. En effet, Lhermitte (1983) précise que, malgré la stimulation, les sujets de contrôle n’utilisent jamais les objets, et ne formulent que rarement des commentaires. L’épreuve terminée, ils se montrent embarrassés pour justifier non pas leur comportement, mais celui de l’examinateur, supposant généralement un quelconque exercice d’évaluation de la sensibilité palmaire. Il est donc remarquable que, contrairement aux patients frontaux, les sujets de contrôle ne s’enquièrent que rarement de ce qu’ils doivent faire.

Sans qu’aucune consigne n’ait été donnée en ce sens, le CI se caractérise, comme son nom le laisse envisager, par l’imitation des gestes de l’examinateur. La procédure utilisée par Lhermitte (1984) comprend des gestes symboliques (salut militaire, signe de croix), non-symboliques (bras écartés vers le haut), mais également des sons ou des phrases (« Je préfère l’hiver à l’été »). Comme pour l’évaluation du CUO, l’examinateur se doit de rester impassible et de ne pas répondre aux questions éventuelles du patient quant à l’attitude à adopter. Il évite aussi de regarder le sujet dans les yeux pour minimiser tout signal qui puisse être interprété comme un encouragement à imiter. L’« ambiguïté » de cette situation, également reprochée à la méthodologie d’évaluation du CUO (e.g. Shallice et al., 1989 ; Brazzelli et al., 1994 ; Boccardi et al., 2002), est levée par la consigne explicite de ne plus imiter. Après un bref délai durant lequel l’attention du patient est détournée, d’autres gestes sont réalisés. Lhermitte (1984) rapporte la persistance du comportement d’imitation malgré un rappel correct des instructions pour la plupart des patients, qui tentent comme pour le CUO de justifier leur comportement (« Mais si vous avez fait ces gestes, c’était bien pour que je fasse les mêmes. — Je ne vous ai rien demandé. — Oh ! Cela me semblait évident. », Lhermitte, 1984). L’auteur souligne la particularité de ce trouble en le distinguant de l’échopraxie ou de l’écholalie, qui revêtent selon lui un caractère beaucoup plus compulsif et automatisé, comme il avait précédemment dissocié le CUO des comportements réflexes. Il rapporte avoir évalué plus de deux cents sujets de contrôle (âgés de 2 à plus de 80 ans), aucun n’a montré de CI, les réactions variant avec l’âge (les enfants se montrent plutôt indifférents, tandis que les adultes rapportent ensuite avoir cru être face à un « fou » ou à un « clown »).

1.2.2 L’adhérence cognitive

Luria et Tsvetkova (1967), précurseurs de l’investigation des troubles de la résolution de problèmes arithmétiques en neuropsychologie clinique, ont décrit plusieurs perturbations associées à la pathologie frontale. Outre les déficits de planification classiquement répertoriés lors de lésions des lobes frontaux, ils mettent en évidence une absence de contrôle des solutions, qu’ils définissent comme un déficit de régulation et de contrôle. Ils remarquent que plus la compréhension abstraite s’éloigne de la formulation des données du problème, plus les difficultés du patient sont évidentes. L’exemple suivant illustre ce point de vue. Pour le problème « Il y a 18 livres sur 2 étagères. Sur une étagère, il y a deux fois plus de livres que sur l’autre étagère. Combien y a-t-il de livres sur chaque étagère ? », le patient effectue les deux opérations suivantes : « 18 x 2 = 36 ; 36 + 18 = 54 ».

Par la suite, Guyard et al. (1992) et Le Gall et al. (1993a et b) ont rapproché le « déficit de régulation et de contrôle » mentionné par Luria et Tsvetkova (1967), de la notion d’adhérence aux données du problème. Les auteurs soulignent la difficulté des malades frontaux à se positionner à l’égard de l’intitulé de la consigne. Pour évaluer plus précisément cette hypothèse, ils proposent de confronter leurs malades à la résolution de problèmes « insolubles » (e.g. : « Dans un bateau, il y a 360 passagers. 100 tombent à l’eau. Quel est l’âge du capitaine ? ») et/ou d’arranger séquentiellement des actions de scripts en présence de distracteurs (e.g. : les actions du script « Changer une roue crevée » en présence de l’action « Demander l’addition »). La particularité de cette adhérence dite « cognitive », nous y reviendrons, réside dans l’impossibilité pour le malade de contester ou de récuser les propositions de l’examinateur, le contraignant à produire une réponse dont le caractère plausible satisfait l’objectif de normalisation de la réponse. Par exemple, pour le problème « Dans un lycée, il y a 2537 élèves et 10 surveillants. Quel est l’âge du proviseur ? », le patient propose : « 2357 ÷ 10 = 253,7. Non, c’est beaucoup trop ; 10 x 4 (pour les jambes et les bras) = 40 ; 2357 ÷ 40 = 63,4. Voilà, c’est bon ». Pour le script « Changer une roue crevée », le malade arrange correctement les propositions dans l’ordre chronologique (par exemple, « Sortir le cric » puis « Placer le cric » puis « Soulever la voiture »), mais intègre l’item « Demander l’addition » en expliquant  : « A la fin, je demande l’addition au mécanicien qui m’a aidé à changer la roue. ». En d’autres termes, c’est la représentation du résultat final qui constitue le guide de l’élaboration de la réponse. L’adhérence « cognitive » renvoie donc à l’incapacité pour les malades de s’opposer aux propositions de l’examinateur, fussent-elles aberrantes ou inappropriées.

1.3 Les phénomènes de dépendance à l’environnement : interprétations théoriques

1.3.1 L’interprétation naturaliste

Nous l’avons mentionné, Lhermitte (1982 ; 1983 ; 1984) envisage les CUO et CI comme des signes émanant de la volonté propre du patient. Par la suite, la plupart des études ne les conçoivent pas comme tels. Concernant le CUO, les auteurs le rapprochent constamment d’un comportement « automatique » ou « réflexe » (e.g. Della Sala, Marchetti et Spinnler, 1994 ; Ghika et al., 1995). Ce sont plus précisément les processus exécutifs « inhibiteurs » qui sont incriminés pour interpréter les comportements d’utilisation d’objets ou d’imitation (e.g. Jeannerod, 1994 ; Ruby et Decety, 2001 ; Sakagami et al., 2006). Sur ces propositions, le caractère « automatique », « non-conscient » et « non-intentionnel » des phénomènes de dépendance à l’environnement (CI et/ou CUO) semble reconnu par la plupart des chercheurs (e.g. Brass et al., 2001 ; De Vignemont et Haggard, 2008 ; Pacherie, 2007 ; Proust, 2003). En somme, c’est le défaut d’inhibition qui est unanimement mis en cause pour expliquer ces comportements. Dans cette perspective, le contrôle exécutif est fréquemment incriminé, évoqué conjointement pour le CUO et le CI. Ainsi, le point de vue convergent adopté par les auteurs ne permet pas d’envisager les phénomènes de dépendance autrement que comme l’activation de boucles stimulus-réponse libérées de toute régulation, un comportement strictement naturel. Ce constat n’est pas uniquement une vue de l’esprit, puisque Dijksterhuis et Bargh (2001) font explicitement référence aux comportements des poissons et des grenouilles pour faire état des perturbations du contrôle des comportements associés à la perception [2]. Bond (1999) postule également l’existence de comportements d’utilisation et d’imitation lors de lésions virtuelles d’un modèle systémique du cerveau du primate [3].

1.3.2 L’interprétation sociale, ou les phénomènes de dépendance envisagés comme un seul et même trouble

La dépendance aux propositions de l’examinateur qui caractérise l’adhérence cognitive s’exprime parfois en l’absence d’autres troubles des fonctions exécutives de la pathologie frontale [4]. Comme le soulignent Aubin et al. (1994), les patients qui résolvent les problèmes insolubles ne présentent pas nécessairement de désinhibition comportementale, de jovialité ni de logorrhée Ils ne sont pas familiers, ne font pas de jeux de mots et ne montrent aucune tendance excessive à la plaisanterie. Leurs performances aux épreuves psychométriques évaluant le fonctionnement cognitif, sans être optimales, sont également supérieures à celles des patients pourtant capables de récuser les items aberrants (Aubin, 1997). En résumé, les seuls troubles du comportement qui semblent les singulariser sont ceux d’une dépendance envers les données de la consigne, jamais rejetées ni contestées. Les auteurs proposent donc d’expliquer l’adhérence cognitive en invoquant la dimension sociologique de ce déficit : en apparence, les malades sont « sous l’influence » de l’examinateur, et s’efforcent en conséquence de répondre aux épreuves qu’il propose, tout en veillant au caractère plausible de leurs réponses.

L’adhérence cognitive pourrait également résulter d’une incapacité pour le malade à envisager que l’examinateur cherche à le « piéger ». Cette aptitude à attribuer des états mentaux, des intentions aux autres renvoie à un concept (récent) de cognition sociale, communément défini sous le terme de « théorie de l’esprit » (TDE) (e.g. Premack et Woodruff, 1978 ; Stone et al., 1998). Le travail de Havet-Thomassin et al. (2006) auprès de deux patients frontaux, plaide en faveur d’un déficit d’ordre social pour expliquer l’adhérence cognitive, plutôt que d’une dépendance à la tâche en elle-même, en démontrant des liens entre un déficit de TDE et des comportements d’adhérence cognitive [5].

Ainsi, la dimension sociale de l’adhérence comportementale, prônée initialement par Lhermitte (1983, 1984), mais peu reconnue par la suite (voir cependant Besnard et al., 2011), trouve un écho dans l’interprétation de l’adhérence cognitive. L’adhérence cognitive à la consigne de certains malades frontaux n’est en effet pas sans rappeler la perte d’autonomie des patients cérébrolésés rapportés par Lhermitte (1983, 1984, 1986), l’une des caractéristiques communes étant que les patients tentent tous ou presque de justifier leurs comportements en y apportant un caractère plausible (Lhermitte et al., 1986 ; Le Gall et al., 1993a et b ; Aubin et al., 1994 ; Allain et al., 1999).

Ainsi, du point de vue de la clinique neuropsychologique, il apparaît que certains patients porteurs de lésions frontales présentent des phénomènes de dépendance à l’environnement caractérisés par des CUO et/ou CI (adhérence comportementale), pour lesquels une explication unique en termes de déficits des fonctions exécutives de contrôle et d’inhibition ne semble pas pleinement satisfaisante. Suivant des termes strictement issus de la neuropsychologie d’inspiration cognitive, pour le moment, il est donc possible de postuler que :

  1. Les comportements d’adhérence comportementale (CUO, CI) peuvent apparaître de manière isolée en l’absence de toute autre difficulté neuropsychologique et notamment en l’absence d’anomalie des fonctions exécutives.
  2. Par ailleurs, il semble possible que ces manifestations comportementales puissent être rapprochées des phénomènes de dépendance aux consignes et aux items aberrants (adhérence cognitive), également retrouvés chez certains patients ne présentant pas d’autres difficultés comportementales, ni même cognitives.
  3. Au demeurant, une explication unique à l’ensemble de ces symptômes pourrait se retrouver du côté de l’hypothèse d’un déficit d’attribution d’états mentaux à autrui, qui correspond à la définition usuelle de la TDE, tel que suggéré initialement dans une étude de cas (Havet-Thomassin et al., 2006).

D’autres interprétations théoriques de ces phénomènes de dépendance se retrouvent dans les propositions médiationnistes relatives aux détériorations neurologiques possibles du système social de la Personne. Nous allons maintenant les présenter et proposer un autre ensemble d’hypothèses que nous confronterons aux précédentes par l’observation de cas cliniques.

2 La question des troubles neurologiques de la raison sociale

2.1 Le système social de la personne, troubles neurologiques naturels

Analogiquement à l’objet gnosique, Gagnepain (1991, 1994) redéfinit la notion de sujet comme une fonction naturelle gestaltique qui confère à l’individu organique ses frontières et son autonomie. À l’instar de la figure perceptive qui se distingue d’un fond de sensations et ne se réduit pas à la somme de ces sensations, le sujet dresse une frontière simultanément créatrice de lui-même et de son environnement qui fait, d’ailleurs, que chaque sujet dispose d’un environnement ainsi que de représentations et d’habitudes qui lui sont propres. Ainsi, pour Gagnepain (1991, p. 25) : « il est donc parfaitement vain de penser que l’animal et nous vivions dans le même univers et, mieux encore, que les différentes espèces aient temps et lieu communs ». Comme le rappelle Brackelaire (1995), somatiser signifie se familiariser avec un lieu, un moment, un entourage d’autres sujets. C’est construire de la familiarité, de la reconnaissance, être ici, maintenant et avec.

L’analyse structurale, dialectique, du sujet fait émerger l’humain à un autre ordre de relation qui n’est plus la grégarité animale mais la société, bâtie sur des alliances et des services rendus qui constituent les deux faces de la personne, l’instituant et l’institué. Pour Gagnepain (1991), la personne n’est pas plus individuelle que collective, c’est le fruit d’une dialectique ethnico-politique du singulier et de l’universel qui fait que l’homme se distingue de ses congénères mais négocie, simultanément, avec eux, ontologiquement, sa place et, déontologiquement, son rôle dans des échanges sociaux dont la langue, les codes ou encore le style sont des aspects de réinvestissement conventionnel.

Pour introduire les troubles du sujet sur ce plan de rationalité de l’être, Gagnepain (1991, 1994, 1995) suggère qu’une carence d’émergence au sujet puisse se retrouver dans l’autisme sous forme d’une asomasie congénitale (voir à ce sujet par exemple, Quimbert, 1987 ; Brackelaire, 1995 ou encore de Guibert et al., 2003 et de Guibert et Beaud, 2005) ne permettant plus, à partir du corps organique, de constituer un environnement. A propos des lésions cérébrales acquises accidentellement, il précise que des altérations diffuses par traumatisme crânien ou anoxie cérébrale peuvent démontrer une détérioration du sujet, malgré une persistance de la personne. Les patients restent dans des relations d’échange, de communication malgré leurs difficultés à se situer dans l’instant et à acquérir de nouveaux souvenirs, de nouvelles habitudes. En complément (Gagnepain, 1994), il propose rapidement que dans certaines maladies du vieillissement comme la maladie d’Alzheimer, la personne disparaîtrait progressivement alors que le sujet resterait présent, d’où l’importance de l’environnement personnel pour compenser les troubles. Paradoxalement, comme nous le verrons plus loin, Sabouraud (1995, 2004) décrit l’amnésie hippocampique, caractéristique de la maladie d’Alzheimer, comme un trouble strictement naturel du sujet. Guyard et Leborgne (1992) fournissent également l’examen d’un patient présentant un trouble probablement naturel du plan de la personne caractérisé par des troubles du comportement et une inconstance patente. Malheureusement, les données médicales à disposition ne permettent pas de savoir véritablement si ce patient présentait une quelconque pathologie neurologique même si une étiologie alcoolique est évoquée.

Ces quelques exemples illustrent l’analyse des troubles hypothétiques du système de la personne sous l’angle de la fonction naturelle du sujet. A l’instar des travaux menés sur le langage, il est également suggéré une possible détérioration culturelle de ce plan de rationalité en lien avec des pathologies neurologiques.

2.2 Le système social de la personne, troubles neurologiques culturels

Plusieurs observations permettent de faire des propositions plus précises sur la détérioration de la personne en clinique neurologique. Duval-Gombert (1992, discuté dans Le Bot, 2010) présente le cas RG, un patient adressé en consultation neurologique pour des troubles de mémoire et un léger manque du mot faisant initialement suspecter une maladie d’Alzheimer. L’évolution du tableau clinique montre des troubles de reconnaissance des autres et un appauvrissement du vocabulaire touchant aussi bien l’expression que la compréhension, mais RG ne montre pas de désorientation ni d’oubli à mesure comme un malade d’Alzheimer classique. Pour Duval-Gombert (1992), le manque du mot de RG, sans troubles caractéristiques de la syntaxe ou de la morphologie à l’examen, n’a rien à voir avec celui d’un aphasique. Pour compenser ses difficultés de dénomination, RG s’appuie sur des termes génériques et son expérience personnelle, de manière autocentrée. L’auteure propose que ce soit l’usage courant des mots qui soit devenu étranger au patient, comme le mode d’emploi de certains objets lorsqu’ils sont présentés hors contexte. RG aurait perdu le savoir conventionnel et cette perte se manifesterait par une autocentration et une incapacité à s’abstraire de la situation présente. Face à l’évolution des troubles et les données de l’examen, le diagnostic de maladie d’Alzheimer est remis en cause mais il n’y a eu aucune autre confirmation diagnostique à l’époque. Une dégénérescence lobaire fronto-temporale (plus précisément, une « démence sémantique ») serait sans doute aujourd’hui suspectée.

De Guibert (2006) rapporte le même type d’observation clinique chez une patiente victime d’un traumatisme crânien responsable d’un hématome sous-dural fronto-pariétal gauche. Suite à l’accident, Mme A. manifeste un comportement égocentrique avec un désintérêt inhabituel pour son entourage et une agressivité. L’examen clinique ne montre pas de symptômes aphasiques de type morphosyntaxiques mais des troubles de compréhension et de dénomination avec des approximations sémantiques, des termes génériques et des défauts de reconnaissances caractéristiques des troubles de la mémoire sémantique décrits initialement par Warrington (1975), nous y reviendrons. De plus elle présente une incapacité à construire des récits cohérents à partir d’images si elle ne peut pas rapporter l’histoire à une expérience vécue. De Guibert (2006) interprète l’ensemble du tableau avec l’hypothèse d’un trouble de l’altérité compensée par une autocentration situationnelle. Il propose également que le trouble inverse, un trouble de la situation, c’est-à-dire du sujet, se retrouverait de manière caractéristique avec des troubles de la mémoire épisodique altérant l’orientation dans le temps, dans l’espace et dans l’entourage comme dans certains syndromes de Korsakoff qui serait une sorte d’asomasie par détérioration (voir aussi de Guibert et al., 2003).

Inspirés par de nombreux travaux comme ceux de Lhermitte et al. (1972), Stuss et Benson (1986) ou encore Ducarne (1987), Guyard et al. (1992) décrivent également des troubles du récit et du vocabulaire chez deux patients présentant des lésions frontales, respectivement médio-basales et dorso-latérales. Les auteurs proposent aux patients des exercices de dérivation et de création de vocabulaire, construction de phrases avec des items non-congruents qui montrent, malgré la préservation de leurs capacités grammaticales, un déficit de jugement, à accepter ou refuser une production linguistique comme un mots de la langue qui contraste avec la préservation de ce type de capacité chez les aphasiques. C’est dans ce travail que, par analogie avec l’adhérence des aphasiques à la référence, Guyard et al. (1992) suggèrent une adhérence d’une autre forme, induite par les consignes et la situation duelle d’examen que l’on a évoquée précédemment sous le terme d’adhérence cognitive (Le Gall et al., 2001) et que l’on retrouve peut être également qualifiée d’adhérence à l’influence (Guyard, 2009). Selon les auteurs (Guyard et al., 1992), il s’agit d’une « adhérence des malades à l’intitulé des consignes présentées. » (p. 194) ressortissant d’un trouble de l’usage ne permettant plus au patient d’analyser l’acceptabilité d’une performance dans sa propre langue, de prendre position face à l’interprétation suggéré par la situation (dont fait partie l’interlocuteur), il serait aliéné à l’usage suggéré par autrui à travers les données, les consignes fournies. Le patient perdrait la possibilité de construire son propre usage indépendamment de la situation proposée. Par une perte de l’arbitraire, il resterait : « asservi à la problématique de son interlocuteur. » (p.196).

2.3 Synthèse théorique et propositions anatomo-cliniques de Sabouraud (1995, 2004)

Sabouraud (1995, 2004) propose une synthèse des différents tableaux cliniques reflétant potentiellement une détérioration neurologique du système de la personne. D’abord, il opère dans la clinique neurologique traditionnelle, une première distinction entre une fonction naturelle d’incorporation, la mémoire partagée avec les animaux et un savoir proprement humain. Pour lui, les traditionnelles amnésies temporo-hippocampique et diencéphalique correspondent, en partie, à une altération naturelle de la mémoire qui doit être clairement différenciée de ce qui, chez l’homme, ressort d’un savoir partagé, « dont la constitution est liée à celle de l’histoire, l’un et l’autre fondateurs et résultats d’un système de médiation sociale dont le produit est la personne. » (Sabouraud, 1995, p. 473). Au sujet des troubles du savoir, il cite les troubles initialement décrits par Warrington (1975), aujourd’hui connus sous le terme de « démence sémantique » (Snowden et al., 1989 ; 1992 ; Belliard et al., 2007), en lien avec une atrophie progressive des lobes temporaux. Phénoménologiquement, les troubles affectent la connaissance du vocabulaire, sans troubles aphasiques phonologiques ni morphosyntaxiques. Cet appauvrissement des facultés d’échange et de partage d’une histoire collective se retrouve dans les troubles de la mémoire des personnes célèbres ou des lieux connus. Le comportement est marqué par un égocentrisme, un vécu autocentré (Duval-Gombert, 1992), qui fait que le patient fournit régulièrement des réponses aux tests en référence à son expérience personnelle, d’où l’impression d’une certaine préservation de la mémoire épisodique. L’égocentrisme se manifeste également, dans les rapports aux autres, par des difficultés à nouer de nouvelles relations et un désintérêt pour l’entourage. Sabouraud (1995, 2004) interprète ce tableau comme une atteinte taxinomique de la personne, en tant que système de médiation sociale, affectant la capitalisation d’un savoir collectif, et permettant d’entretenir des relations « actorisées ».

En perspective d’une détérioration de la personne sur l’axe génératif, Sabouraud (1995, 2004) avance des hypothèses du côté des troubles liés à des lésions des aires préfrontales. Il rappelle les descriptions classiques issues des travaux de Luria et de la neuropsychologie cognitive qui considèrent ces régions porteuses d’un rôle organisateur, de sélection et d’intégration des processus cognitifs mais également des phénomènes de motivation et de choix.

Ainsi, il distingue une première série de symptômes : persévérations, simplification, stéréotypie, omission, en lien avec des lésions frontales pré-motrices perturbant l’exercice des capacités génératives au niveau du système logique du signe (aphasie de Broca) et du système technique de l’outil (atechnie générative).

Un second type de syndrome frontal touche la capacité à élaborer de l’événement ou de l’objet au présent et au passé, tels que les troubles de planification et d’organisation de l’emploi du temps classiquement décrits par Shallice (1982) et Shallice et Burgess (1991) dans des tâches de type tour de Londres, test des six éléments [6] (Six Elements Task, SET), test des commissions multiples, aujourd’hui bien connues en neuropsychologie clinique. Ces troubles d’organisation, de composition, peuvent être rapprochés des troubles du récit (Guyard et al., 1992) ou encore des anomalies d’arrangement de scripts ou de résolution de problèmes arithmétiques (voir Le Gall et al., 2001) dans la difficulté des patients à générer spontanément des étapes, à hiérarchiser des objectifs, à « constituer des actions partielles pour construire une action globale » (Sabouraud, 2004, p. 46). En les résumant sous l’étiquette de « troubles de l’emploi du temps », Sabouraud (1995, 2004) propose de considérer l’ensemble de ces symptômes comme l’expression défaillante de l’axe génératif de la personne créant une incapacité culturelle du sujet à se faire auteur-acteur dans une histoire, à dépasser les données de la perception pour élaborer des relations nouvelles que ce soit dans les interactions sociales, la langue ou l’action.

À cette symptomatologie, Sabouraud (1995, 2004) suggère également de lier les syndromes décrits par Lhermitte sous les termes de comportement d’imitation et d’utilisation. Questionnant leur cause, il pose l’hypothèse de deux explications possibles. A l’instar de ce que nous avons déjà évoqué précédemment, la première se situerait au niveau de la physiologie et des fonctionnements naturels impliquant la désinhibition de boucles stimulus-réponses. La seconde, argumentée par certains commentaires des patients, se situerait au niveau d’une analyse relationnelle des situations. Dans ce cas l’ambiguïté du comportement de l’examinateur apparaîtrait comme un ordre aux patients qui endosseraient le rôle social conventionnellement associée à la situation. Leurs comportements seraient déterminés par une sorte de « contrainte imposée par les rôles sociaux ». « Il y a dans tout cela de l’acteur qui aurait perdu tout droit d’auteur, dans une relation de pouvoir complètement inégale entre ceux qui dirigent et l’exécutant qui joue. » (Sabouraud, 1995, p.510).

Ainsi, les propositions de Sabouraud (1995, 2004) nous permettent d’avancer sur l’explication des comportements d’adhérence à l’environnement retrouvés à l’occasion de certaines lésions frontales et de poser plusieurs hypothèses :

  1. Selon Sabouraud (1995), le comportement d’imitation peut exister soit seul soit, dans une forme plus sévère, en association avec le comportement d’utilisation.
  2. Selon Sabouraud (2004), les troubles de l’emploi du temps et les phénomènes de dépendance à l’environnement pourraient refléter un même dysfonctionnement génératif de la personne, à la fois dans une dimension d’initiative et une dimension d’autonomie. Nous devrions donc pouvoir les retrouver en association chez les mêmes patients.
  3. En revanche, ce déficit génératif, plutôt frontal, de perte d’autonomie, se distinguerait de celui taxinomique, « sémantique » de capitalisation des savoirs sociaux en lien avec des lésions plus temporales. Ainsi, il nous semble possible d’observer des patients dont les savoirs sont préservés mais dont le comportement n’est pas adapté pour autant, témoignant de troubles de l’emploi du temps et/ou d’adhérence à l’environnement.

C’est cette dernière hypothèse qui, pour nous, représente en enjeu de discussion important vis-à-vis des épreuves employées et des hypothèses de nature plus cognitiviste (voir tableau 1). En effet, ici nous suggérons que les tâches classiquement référencées pour examiner la Théorie de l’Esprit (TDE) à travers des connaissances prototypiques sur des situations sociales permettent d’évaluer un savoir partagé qui peut être tout à fait préservé chez les patients présentant des comportements d’adhérence comportementale (Comportement d’Utilisation et Comportement d’Imitation) et cognitive.

Ainsi la démonstration de l’existence de troubles neurologiques de la médiation sociale nous semblerait bénéficier de l’observation de patients manifestant ces comportements d’adhérence comportementale, mais ne présentant ni anomalie des fonctions exécutives, ni troubles de la TDE telles qu’ils sont examinés dans la clinique neuropsychologique traditionnelle d’inspiration cognitive. Nous allons donc présenter maintenant, et livrer à la discussion quatre observations cliniques qui paraissent aller dans ce sens.

Tableau 1. Performances attendues chez des patients frontaux selon les des deux grands corps d’hypothèses
Hypothèses cognitivistesHypothèses médiationnistes
Les connaissances prototypiques sont cruciales dans la relation sociale Les connaissances prototypiques ne sont pas suffisantes dans la relation sociale
Fonctions exécutives
+
+
Théorie de l’esprit
-
+
Comportement d’utilisation
Oui
Oui
Comportement d’imitation
Oui
Oui
Adhérence cognitive
Oui
Oui
Emploi du temps (Six ElementsTask, SET)
+ ou -
-

3 Les cas cliniques

Les quatre patients présentés ci-dessous ont tous été évalués avec une méthodologie identique, combinant un examen de l’efficience des processus exécutifs au moyen des épreuves du GREFEX (Azouvi et al., 2001) qui permet, grâce à la normalisation proposée par Roussel et Godefroy (2008), de déterminer si le sujet présente un syndrome dysexécutif. Ces épreuves incluent le test des six éléments de la batterie d’évaluation comportementale du syndrome dysexécutif (Wilson et al., 1996) permettant de tester la planification/organisation. Ce qui pourrait relever de l’emploi du temps. Mentionnons d’emblée que les performances à cette épreuve apparaissent intactes pour les quatre patients, suggérant une absence de déficit de l’emploi du temps. Signalons également qu’aucun patient ne démontrait de signes frontaux réflexes, parfois confondus avec les phénomènes qui nous intéressent dans cet article (réflexe de préhension, écholalie, main capricieuse). L’évaluation de la TDE a été réalisée au moyen de la tâche d’attribution d’intention de Brunet et al. (2003), tâche non verbale qui permet également de classer la performance du participant selon des critères de normalité. Cette épreuve se présente sous la forme de bandes dessinées dans lesquelles il est demandé au malade de choisir parmi trois dessins celui qui serait susceptible de terminer l’histoire « de façon logique ». L’inférence des intentions du protagoniste est nécessaire pour répondre correctement. Brunet et al. (2003) ont élaboré deux types d’items : des histoires nécessitant l’inférence des intentions des protagonistes et des histoires impliquant la compréhension de causalités physiques. Pour les histoires nécessitant l’inférence d’intentions, il est par exemple présenté au sujet les dessins d’une femme qui porte un bébé et qui se dirige vers une baignoire. Elle ouvre le robinet et touche l’eau de la main. Le sujet doit choisir entre plusieurs dessins : l’un la représente qui met des jouets dans le bain (la réponse correcte), l’autre la montre en train de manipuler une clé à molette et le dernier la représente en train de se servir un verre d’eau et le boire. Pour les histoires ne nécessitant pas l’inférence d’intentions, il est montré par exemple un homme qui patine sur un lac gelé ; la glace est fendue et se rompt. Il lui est demandé de choisir entre les propositions suivantes : le sujet est dans l’eau, il continue à patiner, ou bien l’image d’une patineuse qui porte un tutu. Au moyen de leur tâche d’attribution d’intentions, les auteurs ont montré que les patients schizophrènes étaient seulement déficitaires pour les items d’attribution d’intentions.

Concernant les phénomènes de dépendance à l’environnement, l’adhérence comportementale a été évaluée à l’aide d’adaptations des épreuves initialement proposée par Lhermitte (1983, 1984), tant pour le CUO que pour le CI, tandis que l’adhérence cognitive a été mesurée au moyen d’un protocole de résolution de problèmes arithmétiques intégrant des problèmes solubles et insolubles, inspiré du travail de Aubin (1997). Pour étudier l’adhérence cognitive, nous nous sommes appuyé sur les propositions de Baruk (1985), qui a construit des problèmes insolubles respectant les principes de cohérence sémantique (les éléments de l’énoncé sont compatibles entre eux). Par exemple, le problème « Mme Durand achète trois steaks et quatre filets de bœuf chez le boucher. Quel est son âge ? » respecte ce principe de cohérence car les éléments de l’énoncé sont du même champ sémantique. Au total, 12 problèmes solubles et 6 problèmes insolubles ont été construits. Pour chacun des 18 problèmes, il était demandé au sujet de lire l’énoncé à haute voix puis d’écrire les opérations nécessaires à la résolution. La passation n’était pas limitée dans le temps mais a pu s’effectuer en plusieurs séances, en fonction de la fatigabilité des patients.

Patient J.H.

J.H. est un homme de 50 ans qui a subi un traumatisme crânien consécutivement à la chute d’une échelle, provoquant une fracture de l’os occipital et une hémorragie sous-arachnoïdienne. Il a été retrouvé par sa femme juste après la chute, confus et agité, mais ne semble pas avoir perdu connaissance. Il a été admis le jour même dans le service de neurochirurgie de l’hôpital universitaire. L’imagerie cérébrale, réalisée deux jours après l’accident, montrait des contusions temporales gauches et frontales droites. Deux mois après l’accident, J.H. a été admis dans l’unité de neurologie pour une évaluation neuropsychologique. Le discours spontané était instructif et la dénomination (DO 80, Deloche et Hannequin, 1997) efficace. Le fonctionnement cognitif global évalué avec le MMSE (Folstein et al., 1975) était dans la norme compte tenu de l’âge et du niveau d’études (27/30). Le fonctionnement exécutif était préservé pour toutes les tâches proposées, selon les normes de Roussel et Godefroy (GREFEX, 2008). La TDE était également tout à fait efficiente (27/28).

Lors de l’évaluation de l’adhérence comportementale, J.H. démontre plusieurs comportements d’utilisation, caractérisés par la manipulation correcte d’objets utilisés conjointement (par exemple, le patient introduit le crayon dans le taille-crayon). Le patient est capable de rappeler la consigne de ne pas utiliser les objets. Il reconnaît également à la fin de l’évaluation s’être interrogé sur la consigne et le souhait de l’examinateur, dans la mesure où des objets étaient placés devant lui. Le patient ne montre pas de comportement d’imitation.

Concernant l’adhérence cognitive, J.H. réalise correctement les problèmes solubles (un problème échoué sur douze, échec imputable à la difficulté du patient à élaborer l’algorithme de résolution du problème). Néanmoins, J.H. réalise la plupart des problèmes insolubles (4/6), en manipulant les données de la consigne, de manière à faire correspondre le résultat à la question, malgré les critiques parfois formulées à l’encontre de ce type de problème (« Il y a probablement un piège » ou « Je ne suis pas convaincu par la question »).

Patient G.R.

G.R. était un homme de 47 ans quand il a subi une blessure à la tête suite à un malaise avec chute (échelle de coma de Glasgow : 14/15). Il a été admis dans le service de neurologie à la demande de sa fille qui signale des troubles du comportement au décours de cette chute (le patient ne pouvait se rappeler le travail de sa fille et disait ne pas reconnaître la ville dans laquelle il habitait), ainsi qu’un discours incohérent. L’imagerie cérébrale montrait des contusions temporales et frontales bilatérales. G.R. a participé à cette étude trente-quatre mois après l’accident, alors qu’il envisageait la reprise de son activité professionnelle. Le fonctionnement cognitif global était épargné (MMSE = 30/30), tout comme les capacités dites instrumentales (langage, praxie et fonctions perceptives). Les scores exécutifs étaient tous dans la norme, et l’évaluation socio-cognitive à l’épreuve de TDE montrait également de bonne performance.

L’évaluation de l’adhérence comportementale démontre seulement un comportement d’imitation, qui persiste après la consigne de ne plus imiter, et cela alors même que le patient est parfaitement en mesure de rappeler cette consigne. Questionné sur ces comportements, le patient affirme : « Je me souviens que vous m’avez dit de ne pas vous imiter, mais je n’ai pas su quoi faire lorsque vous avez fait ces gestes. » Quelques minutes après le renouvellement de la consigne de ne plus imiter, le comportement d’imitation a de nouveau été évalué. Le patient réalise alors d’autres gestes que ceux effectués par l’examinateur, en expliquant : « Vous m’avez dit de ne pas vous imiter, donc je ne vous ai pas imité ; j’ai fait d’autres gestes. »
G.R. ne démontre pas de comportement d’adhérence cognitive, en arguant du fait que les problèmes insolubles ne sont pas réalisables. Il résout parfaitement l’ensemble des problèmes solubles.

Patient J.B.

J.B. était un homme de 24 ans lorsqu’il a subi un traumatisme crânien, consécutif à un accident de la voie publique. Cet accident a occasionné une perte de connaissance (score à l’échelle de Glasgow : 6/15) et des lésions frontales bilatérales qui concernaient plus particulièrement l’hémisphère droit. Le patient a été évalué un mois après cet accident. L’efficience cognitive globale était préservée (score MMSE = 28), tout comme les capacités instrumentales et exécutives. Son épouse rapporte néanmoins des modifications sur le plan comportemental (propos inappropriés, irritabilité). Les capacités de TDE apparaissent intactes.

L’évaluation des phénomènes de dépendance à l’environnement met en évidence des comportements d’adhérence cognitive uniquement. Alors qu’il est parfaitement capable de résoudre les problèmes solubles, J.B résout également l’ensemble des problèmes insolubles, en manipulant les données du problème de différentes façons. Par exemple, pour le problème « Mme Durand achète trois steaks et quatre filets de bœuf chez le boucher. Quel est son âge ? », le patient répond « Attendez… 3 x 4 = 12 ; non, c’est trop jeune…3 et 4…elle a 34 ans ». Signalons que ce patient a été évalué un an après avec le même protocole, alors qu’il avait repris son activité professionnelle. Il ne résout alors plus les problèmes insolubles. Confronté aux réponses qu’il avait pu donner un an auparavant, il se dit extrêmement surpris d’avoir pu proposer de telles solutions.

Patient A.L.

A.L. est une femme de 73 ans, admise dans le service de neurologie deux mois avant son évaluation, pour un accident vasculaire cérébral. L’examen tomodensitométrique montre des lésions ischémiques impliquant les gyri frontal, temporal et occipital de l’hémisphère droit. A.L. ne souffre pas de déficits instrumentaux, à l’exception d’une hémiparésie gauche. Dans l’ensemble, le fonctionnement cognitif global apparaît préservé tout comme l’évaluation des fonctions exécutives. La patiente présente néanmoins des perturbations modérées à l’épreuve de TDE.
L’évaluation de l’adhérence comportementale met en évidence de nombreux CUO. Par exemple, A.L. met du café et du sucre dans la tasse, vide la bouteille d’eau dans la bouilloire ; en somme réalise l’ensemble des actions nécessaires pour faire du café. Questionnée sur ses comportements, la patiente rappelle d’elle-même la consigne de ne pas utiliser et prie l’examinateur de bien vouloir l’excuser. La patiente ne montre pas cependant de CI.

Lors de la réalisation du protocole de résolution de problèmes, A.L. propose des solutions pour l’ensemble des problèmes insolubles. Tous les moyens semblent appropriés pour parvenir à faire correspondre le résultat à la question du problème. Par exemple, pour le problème « Un fermier vend sur le marché 40 poulets, 240 œufs et 110 litres de lait, quel est son âge ? », la patiente réalise correctement l’addition « 40 + 240 + 110 = 390 », et enlève ensuite le zéro pour obtenir 39 et ainsi parvenir à un résultat plausible pour un âge. En somme, la patiente ne questionne jamais la nature des problèmes insolubles et ne semble pas surprise par le caractère incongru de la question.

Tableau 2. Résumé des performances des patients
J.H.
G.R.
J.B.
A.L.
Fonctions exécutives
+
+
+
+
Théorie de l’esprit
+
+
+
+/-
Comportement d’utilisation
Oui
Non
Non
Oui
Comportement d’imitation
Non
Oui
Non
Non
Adhérence cognitive
Oui
Non
Oui
Oui
Emploi du temps (SET)
+
+
+
+
+ : performances préservées ; - : performances altérées ; +/- : performances à la limite de la normalité

4 Discussion et critiques

4.1 Points de vue théoriques

La première conclusion sur ces quatre observations (voir tableau 2) retiendra qu’elles ne sont pas strictement superposables et que chaque patient présente, dans l’articulation de ses performances, ses propres spécificités, illustrant les difficultés d’interprétation des études de groupes en neuropsychologie. Contrairement aux propositions issues de Sabouraud (1995), il n’apparaît pas de gradient dans les comportements d’imitation et d’utilisation. Ensuite, nos résultats ne permettent pas de confirmer l’hypothèse concernant l’association des phénomènes de dépendance et d’éventuels troubles de l’emploi du temps qui s’exprimeraient dans la tâche des six éléments, nous y reviendrons ultérieurement.

Une deuxième conclusion, intéressante, se trouve dans le fait que nos quatre patients présentent, certes à des degrés divers, des comportements d’adhérence, comportementale et/ou cognitive, alors qu’ils ne présentent pas de troubles des fonctions exécutives. Même si l’interprétation des bonnes performances dans ces épreuves dites exécutives comme une préservation des aptitudes reste critiquable à ce niveau d’analyse comparative [7], il apparaît sans doute, ici, un argument pour envisager un déficit spécifique, potentiellement culturel, de la médiation sociale en lien avec des pathologies neurologiques affectant les lobes frontaux. Comme cela est déjà remarqué ailleurs (Sabouraud, 1995, 2004 ; Guyard et al. 1992), un point commun de ces manifestations d’adhérence à l’examinateur, au matériel ou aux consignes, se retrouve du côté de certains commentaires des patients pour justifier leurs réponses à des situations ou à des items apparemment aberrants, comme s’ils percevaient l’ambiguïté de la situation sans pour autant pouvoir s’en affranchir. Dans le sens d’une interprétation de ces troubles en termes de dialectique nature-culture, nous supposons donc, à l’instar de Guyard et al. (1992), l’existence d’un « défaut de contestation de l’interprétation immédiate » plutôt que d’un déficit des processus de contrôle inhibiteur.

Comme le suggère Brackelaire (1995, p. 131), c’est « parce que nous nous absentons d’abord du lieu que nous occupons (…) que nous pouvons vraiment y être, l’occuper d’une manière propre, socialement parlant, c’est-à-dire l’habiter, en tant qu’acteur, selon le rôle que nous adoptons dans une situation avec laquelle nous ne coïncidons pas spatialement mais dont l’occupation se voit implicitement mise en perspective. » Dans cette perspective, les postulats de la microsociologie de Goffman (1973) semblent intéressants à mentionner. L’auteur s’est particulièrement intéressé à la complexité de la simple interaction de face à face, situation comparable à celle de l’évaluation neuropsychologique. Par le concept de métaphore théâtrale, Goffman (1973) nous invite à prendre en considération l’auto-attribution d’un rôle par les agents de l’interaction. Selon lui, ce rôle n’est pas prédéterminé mais motivé, en quelque sorte, par les contraintes de la situation. Dans ce sens, l’individu se fait d’autant plus patient qu’il est en interaction avec un médecin et dans un cadre hospitalier. Ainsi, il faut plutôt concevoir le « rôle » comme une suggestion, une proposition donnée à l’agent qui doit préalablement se l’approprier lors d’un processus de distanciation (d’analyse), pour la réinvestir ensuite dans la situation avec les ajustements qui fonderont sa singularité. Goffman (1991) souligne que le travail d’acteur qui résulte de l’auto-attribution d’un rôle est pour et sous le contrôle d’autrui. Autrement dit, le défaut de positionnement chez les patients « adhérents » pourrait résulter d’une altération de ce filtre de l’analyse, conduisant à l’absence de contestation du rôle attribué par l’examinateur — i.e. de patient soumis à une évaluation impliquant une obligation de réponse — et ainsi à l’expression des comportements d’adhérence. L’impossibilité de constituer un rôle dépassant celui de la situation ponctuelle serait la conséquence de l’altération de ce processus d’analyse dans la relation à autrui. Cette suggestion d’interprétation nous semble confirmée par les études de cas cliniques rapportées dans ce travail, ainsi que par les descriptions de Lhermitte (1984, 1986), dans lesquelles les malades tiennent le rôle qui leur est assigné par la situation. Nous faisons ainsi le lien avec les propositions de Sabouraud (1995, 2004), lorsqu’il envisage les CUO et CI comme l’expression d’un déficit d’analyse sociologique qui produit donc des patients « sous influence ».

Un troisième résultat important concerne la réussite des patients à l’épreuve de TDE, au moins pour trois des quatre patients. Celle-ci ne permet pas de conforter les hypothèses neuropsychologiques sur le rôle de ces capacités sociocognitives dans les comportements d’adhérence à l’environnement, sans doute parce que leurs modalités d’examen mettent plus en évidence un certain type de connaissances qu’un réel processus d’analyse. La définition de la TDE renvoie aux capacités méta-représentationnelles permettant de comprendre les savoirs, les désirs, les croyances, les intentions d’autrui dans le but de permettre les interactions sociales. Sur la base de cette définition, la plupart des auteurs postulent un lien étroit entre le comportement social et les compétences mesurées par les tâches de TDE (e.g. Couture et al., 2011). Mais ces épreuves semblent engager en premier lieu des connaissances sociales, en négligeant d’évaluer l’ajustement du comportement en situation d’interaction. En effet, la plupart des épreuves de cognition sociale demandent au sujet de juger de la qualité d’une interaction à laquelle il ne participe pas, ce qui ne permet pas d’évaluer réellement ses capacités sociales, mais d’évaluer ses représentations d’une interaction. L’épreuve de TDE proposée dans ce travail (Brunet et al., 2003) n’échappe pas à ce constat. Les études réalisées par Ozonoff et ses collaborateurs auprès d’individus autistes (Ozonoff, Pennington et Rogers, 1991a ; Ozonoff, Rogers et Pennington, 1991b) confirment également ce point de vue. Les auteurs ont démontré que les sujets atteints du syndrome d’Asperger sont parfaitement capables de réussir des épreuves de TDE comparables à celle utilisée dans ce travail, et qu’il existe en outre de fortes relations entre les capacités verbales et les scores à ces tests. Cependant, Ozonoff et al. (1991a, 1991b) ont également rapporté que les individus qui réussissaient de bonnes performances à ces tâches présentaient des difficultés majeures lorsqu’ils étaient confrontés à des situations d’interaction réelle. Ces résultats démontrent que la réussite aux épreuves de TDE implique avant tout la mise en œuvre de savoirs dont la manipulation correcte ne semble pas réellement prédictive des compétences sociales. Ces observations nous suggèrent plusieurs interprétations. D’une part, il apparaît que savoir ne suffit pas à l’adaptation à la situation, au positionnement social, autrement dit, il semble que le savoir n’est pas suffisant pour savoir ou pouvoir être. D’autre part, ces résultats nous paraissent constituer un argument probable pour la distinction médiationniste de deux axes d’analyse de la médiation sociale, un axe taxinomique (cortex temporal) de capitalisation de savoirs sociaux partagés et un axe génératif permettant, dans la relation, de maintenir son propre rôle social (cortex frontal). L’ensemble donnant la possibilité à l’individu de s’affranchir de la situation immédiate et de se faire auteur de sa propre histoire. Ces interprétations nous sont inspirés par les propositions de Sabouraud (1995, 2004), elles sont bien évidemment à entendre avec prudence et n’intègrent pas la distinction des deux faces de l’institué et de l’instituant du modèle, leur mise en évidence dans les pathologies neurologiques ne nous paraissant pas encore suffisamment claire et cohérente dans les travaux cités.

4.2 Limites et perspectives méthodologiques

Au-delà des apports cliniques et théoriques que l’étude des manifestations d’adhérence comportementale (CUO et CI) est susceptible d’apporter à la compréhension du syndrome frontal, il est nécessaire de resituer ces phénomènes dans leur contexte originel. Lorsque Lhermitte (1982, 1984) en propose les définitions, il considère les CUO et CI comme des formes initiales du « syndrome de dépendance à l’environnement », caractérisant des observations plus écologiques en milieu réel (SDE ; Lhermitte, 1986). Pour lui la différence entre les CUO, CI et le SDE est simplement qualitative dans le sens d’un continuum (et non dans le sens d’un seuil distinctif) : d’un comportement simple (CUO et/ou CI), survenant dans le contexte d’une évaluation « classique » examinateur-patient, à un comportement complexe (SDE) où ce sont la situation et les contingences environnementales qui vont être le guide des attitudes adoptées par le malade. Il aurait été particulièrement instructif d’examiner le comportement de patients démontrant le CUO et/ou le CI dans un environnement social plus complexe, dans l’objectif de contribuer à valider les propositions de Lhermitte (1984, 1986). L’intérêt d’évaluer cliniquement les CUO et CI pourrait ainsi trouver un argument supplémentaire, et non des moindres, car ce sont les aptitudes des activités de vie quotidienne et plus généralement l’adaptation au contexte social lors du retour à domicile qui sont ici questionnées. La prise en charge des patients pourrait en bénéficier. Autrement dit, il reste à déterminer plus précisément si les signes de l’adhérence comportementale et cognitive rapportés dans ces études de cas s’expriment également lors de la réalisation d’activités quotidiennes, sous peine de devoir considérer ces manifestations comme des artefacts de la clinique neurologique.

De même, nous n’avons pas pleinement exploité les potentialités méthodologiques que laisse envisager la définition de l’adhérence cognitive. Il aurait sans doute été pertinent de soumettre des réponses prédéfinies (à compléter) au malade, en faisant la prédiction que l’orientation de l’énoncé sera susceptible d’induire la réponse erronée attendue (par exemple, en proposant des problèmes avec des données manquantes dans l’énoncé mais pour lesquels une réponse est fournie concernant l’âge du protagoniste). Aucune autre réponse n’est possible que celle générée par le matériel. Cette proposition est aisée à appliquer, pour des épreuves de résolution de problèmes ou d’arrangement de scripts. Par ailleurs, des tâches en choix forcé incluant plusieurs propositions, toutes aberrantes, pourraient permettre de mettre en évidence l’incapacité pour le patient à contester les suggestions de l’examinateur : toutes les réponses seraient acceptables et susceptibles de correspondre à la question posée. D’autres épreuves peuvent être envisagées pour évaluer l’adhérence cognitive, comme la construction de récit à partir de thématiques et de mots proposés par l’examinateur. Cette tâche est à même de dévoiler des perturbations similaires de dépendance à la consigne ou aux données fournies (Sabouraud, 1995).

Enfin, pour étayer l’hypothèse d’une distinction médiationniste de deux axes d’analyse de la médiation sociale, une perspective intéressante pourrait être de confronter les observations de patients avec des lésions frontales d’un côté et temporales d’un autre côté dans une logique anatomo-clinique différentielle, en supposant une mauvaise performance dans les épreuves de TDE chez les patients présentant des lésions de la convexité temporale, du fait d’un déficit supposé de l’analyse taxinomique permettant la capitalisation des savoirs.

4.3 De la difficile confrontation des observations et des modèles

Dans l’hypothèse d’un défaut d’analyse sociologique générative retentissant sur un ensemble d’épreuves, nous nous attendions à observer, chez les patients frontaux les mêmes comportements d’adhérence, quelles que soient les tâches (cognitive ou comportementale), ainsi qu’une perturbation de la tâche des six éléments (relative à l’emploi du temps) mais cela n’a pas toujours été vérifié. Ce constat est un exemple de la difficulté à faire correspondre la théorie à l’expérimentation. Dans les travaux qui proposent également une validation expérimentale et clinique de la théorie de la médiation (Guyard, 1987, 1999 ; Guyard et Leborgne, 1992, Guyard et al., 1992 ; Urien et Guyard, 1997 ; Duval-Gombert et Le Gac-Prime, 1997 ; Gaborieau, 2006), plusieurs axes de réflexion peuvent nous permettre de critiquer la méthode que nous avons employée et d’expliciter la difficulté de faire correspondre théorie et expérimentation. Duval-Gombert et Le Gac-Prime (1997) ainsi que Gaborieau (2006) montrent que la démarche de dépositivation chère à la théorie de la médiation ne se situe pas seulement au niveau de l’élaboration théorique, autour du postulat de négativité des facultés humaines et de la formulation d’hypothèses originales qui en découlent, mais passe également par la prise de conscience de l’arbitraire de la situation expérimentale et de la position qui y est prise par l’expérimentateur. En effet, l’expérimentation questionne le modèle au moins autant qu’elle peut permettre de le valider, et il est capital de ne pas chercher à positiver le produit de la modélisation dans la recherche explicite d’une correspondance stricte entre les déductions théoriques et les manifestations observables. Au contraire, il faut avoir conscience, dans la position d’observateur, du fait que le patient nous questionne autant que l’inverse, et les projections intellectuelles que nous pouvons faire sur certaines épreuves peuvent s’avérer déstabilisées par ce que les patients en font eux-mêmes. Ainsi, il est nécessaire de pouvoir porter attention ou analyser dans un second temps toutes les réactions et réponses, même anodines, que les questions et les réponses du patient occasionnent chez nous, et que nous pouvons avoir tendance, dans un premier moment de l’expérimentation, à mettre de côté car elles ne s’inscrivent pas à première vue dans nos hypothèses, et ne correspondent pas à notre attendu. Prenons pour exemple le commentaire de G.R. : « Vous m’avez dit de ne pas vous imiter, donc je ne vous ai pas imité ; j’ai fait d’autres gestes. » Le patient a effectivement fait d’autres gestes, mais il a fait des gestes, ce que l’on ne retrouve pas chez des sujets sains.

Duval-Gombert et Le Gac-Prime (1997, p. 186) soulignent la nécessité de ne pas être « dupe de soi même ». En sciences humaines, le modèle « est en chacun de nous et continue de fonctionner même et aussi au moment où nous sommes dans cet échange clinique. » Pour Gaborieau (2006), cela amène à se détacher de son propre savoir et, par l’implicite de la situation, à commencer à découvrir intuitivement, au fur et à mesure des observations, la logique particulière du patient même hors des exercices explicitement proposés, dans l’ensemble de la conduite et des comportements du patient. Par ailleurs, pour nous, cela montre l’importance de l’enregistrement vidéo, voire de la présence d’un tiers pour permettre d’analyser ce qui se passe entre le patient et l’expérimentateur et dont lui-même n’a pas conscience en première intention car le patient fait toujours du test qu’on lui propose, un autre test, le sien propre.

En ce sens, Guyard (1999) précise que l’épreuve, entendue comme une batterie standardisée permettant seulement de quantifier les réponses, bonnes ou mauvaises, des patients, ne constitue pas un test et qu’elle peut être, au gré des situations, un test différent pour chaque patient ou chaque type de patients, ces derniers étant co-constructeurs des tests. Pour lui, il est nécessaire de se servir des productions du patient pour proposer des tests individualisés, de plus en plus spécifiques, toujours en fonction d’hypothèses formulables à partir du modèle. L’enjeu est, d’une part, de discerner, petit à petit, la logique de chaque patient, les applications, les transpositions, les corrections dont il est devenu incapable, jusqu’à ce qu’apparaisse un invariant dans sa manière de construire ses réponses, invariant rapportable à un type spécifique de trouble en termes d’axes et de face. D’autre part, puisque nosographiquement, les pathologies se définissent mutuellement, il est nécessaire, dans la confrontation de deux patients supposés identiques, de poursuivre les investigations jusqu’à ce qu’une différence apparaisse.

En regard de ces critères, il semble que nous ayons cédé à un certain positivisme, particulièrement dans nos tentatives d’observer directement, voire de quantifier des comportements à l’occasion d’un seul temps d’expérimentation. Nous ne nous sommes pas donné ici la possibilité d’un suivi longitudinal de plusieurs séances pour affiner les hypothèses opérationnelles sur l’expression des troubles. Nous nous sommes encore moins donné la possibilité d’expérimenter cet implicite qui opère en nous et nous inscrit dans la situation expérimentale, au même titre que le patient, au-delà de nos hypothèses théoriques. Par ailleurs, en raison des temps de passation parfois fixés dans les épreuves exécutives, il nous est arrivé d’interrompre des patients dans leur production alors qu’ils nous auraient probablement donné plus à voir avec le temps ou la modification de certains paramètres des tâches. De même, notre raisonnement est souvent dominé par la considération de chaque tâche pour elle-même, avec sa propre cotation, sans prendre en compte la dynamique des tâches entre elles, la manière dont elles peuvent se contaminer, susciter des persévérations ou ce que nous considérons comme des substitutions. Des consignes qui changent pour l’examinateur ne changent pas forcément pour les patients. Dans une pratique clinique quotidienne basée sur des évaluations standardisées (avec des consignes strictes, des temps limités, des bonnes réponses attendues, …) et répondant à des cadres diagnostiques préétablis, cela est difficile à prendre en compte mais pourtant nécessaire pour comprendre chaque patient et envisager une thérapeutique individualisée.

Conclusion

Devant le constat que les interprétations classiques des phénomènes de dépendance négligent à notre sens ce qui fonde la spécificité humaine, en passant sous silence les aspects fondamentaux de l’interaction sociale, le présent article avait pour objet l’étude de phénomènes cliniques relevant de l’autonomie humaine, guidé par une lecture épistémologique qui visait à interroger les interprétations théoriques usuelles de ces manifestations. Ainsi, les postulats des champs de la neuropsychologie cognitive ont été examinés à la lumière des données comportementales et plus précisément, le rôle des fonctions de contrôle exécutif et les compétences de TDE a été interrogé au moyen d’un protocole d’évaluation exhaustif. Ces résultats préliminaires appellent nécessairement d’autres travaux prenant en compte les critiques précédemment mentionnées. Cependant, ils suggèrent que ces propositions théoriques peinent à expliquer ces phénomènes de dépendance, qui restent intéressants à envisager dans le cadre des hypothèses théoriques de la théorie de la médiation comme l’expression d’une détérioration du système social de la Personne permettant à l’individu de se faire auteur de sa propre histoire.

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Notes

[1Le comportement de préhension, réflexe de préhension forcée ou « grasping reflex » est un réflexe archaïque présent chez le nourrisson et qui peut réapparaitre suite à certaines lésions cérébrales. Il se manifeste par une fermeture rigide des doigts sur un objet ou bien les doigts de l’examinateur qui stimulent la paume de la main du patient.

[2Dijksterhuis et Bargh (2001) écrivent ainsi : « Without the possibility to moderate direct effects of perception on behavior, we would indeed behave like the fish or frogs » (p. 45).

[3Zentall (2006) propose également que le comportement des animaux est guidé par les affordances de l’environnement (affordance learning) ; comme un chat apprend à ouvrir une porte en appuyant sur la poignée après l’avoir vu faire.

[4Nous avons bien conscience que le vocable de fonctions exécutives et tous les signes cliniques qu’il recouvre restent à déconstruire en termes de pôle dialectique et de dissociation de plan mais cela dépasse le cadre de notre propos à ce stade de la réflexion. Notons néanmoins que certaines propositions de réinterprétation de ces fonctions exécutives de contrôle cognitif et comportemental sont relatives au plan IV de l’analyse axiologique de la pulsion (voir Sabouraud 1995 et 2004 ; Urien et Guyard, 1997). Sans aller plus loin, cela constituerait ici une distinction des analyses ethniques et éthiques.

[5Ce travail ne rentre néanmoins pas dans la délicate discussion sur la définition naturelle ou spécifiquement culturelle de la Théorie de l’Esprit.

[6Cette épreuve demande au patient de réaliser six tâches différentes en 10 minutes en organisant son temps et l’ordre des tâches en fonction de certaines règles. Une particularité réside dans le fait que les 10 minutes ne permettent pas de terminer toutes les tâches mais les consignes demandent qu’elles soient bien toutes commencées. Un des pièges pour les patients est par exemple de rester les 10 minutes entières sur une seule tâche sans commencer les autres.

[7En effet, la correspondance des réponses de patients avec notre attendu peut également être le fruit d’un raisonnement pathologique comme nous en mettent en garde Guyard et al. (1992).


Pour citer l'article

Christophe Jarry, Didier Le Gall, Philippe Allain, Jérémy Besnard« Les phénomènes de dépendance à l’environnement : réflexions sur l’autonomie humaine à partir de la clinique neurologique », in Tétralogiques, N°22, Troubles de la personne et clinique du social.

URL : https://tetralogiques.fr/spip.php?article63