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Thierry Lefort

Docteur ès Arts et enseignant PRAG. Département de Sciences de l’éducation, UFR Sciences Humaines, Université Rennes 2. CREAD - EA 3875 - Univ Rennes. Membre du projet ITI FEDER Edulab - Université Rennes 2
thierry.lefort@univ-rennes2.

« La fabrication à l’ère du numérique » : les imprimantes 3D et les « laboratoires de fabrication » (FabLab) réinventent-ils notre rapport à la fabrication ?

Résumé / Abstract

Le déploiement massif de technologies et services numériques dans tous les domaines de la vie quotidienne s’accompagne de discours, et de politiques, qui tendent à implanter l’idée d’un passage d’une réalité « matérielle » à une réalité « virtuelle » ou « dématérialisée ». Construction sociale, technique, conceptuelle et discursive, cette « dématérialisation », supposément caractéristique d’une « ère du numérique », multiplement relayée, trouve néanmoins une forme de résistance dans l’existence d’imprimantes 3D qui, plutôt que d’effacer l’objet matériel au profit de son avatar numérique, le font réapparaître en permettant à chacun d’imprimer en trois dimensions un objet modélisé sur écran, privilège auparavant réservé au texte et à l’image. De la même manière, l’expansion rapide des services et réseaux sociaux numériques, sur lesquels on communique, échange, vend ou achète, revendique et contribue d’un seul clic, pourrait augurer la disparition de contacts humains « réels ». Paradoxalement, on assiste à l’émergence de nouveaux espaces physiques, dénommés « FabLab », axés sur la collaboration et la « fabrication ». Un autre mode de fabrication, numérique, est-il en train d’émerger ? Quelles spécificités, quels différences et points communs caractérisent cette fabrication ? En quoi le rapport que nous entretenons à la technique s’en trouve-t-il modifié ? Cet article, inaugural d’un projet de recherche consacré à la « fabrication numérique », mobilisera une approche ergologique (au sens de « science de la technique humaine ») de l’activité à l’œuvre au sein des « laboratoires de fabrication numérique » et dans l’impression tridimensionnelle, afin de mettre en évidence les processus en jeu.


L’auteur tient à remercier, outre les relecteurs de la revue, Gilles Le Guennec et Dominique Paysant pour leurs relectures, avis et éclairages qui lui ont permis d’enrichir cet article.

« Une technologie disruptive en phase de bouleverser les choses. (…) La vague de l’impression 3D déferle sur le monde et arrive chez les particuliers et les professionnels, où elle s’impose en premier lieu. Beaucoup la considèrent déjà comme la quatrième révolution industrielle tant cette technologie disruptive a le pouvoir de bouleverser la façon de produire. » [1]

« Nouvelle révolution industrielle [2] », « technologie disruptive [3] », « rupture dans les modes de fabrication  », « usine du futur  » [4], « révolution dans la fabrication  ». Auréolés de ces discours, emprunts de stratégies « marketing » et relayés sans excès de nuances dans les médias, les dispositifs de « reproduction d’objets en trois dimensions », apparus dans l’industrie au milieu des années 1980, se sont considérablement développés, au point effectivement de s’installer progressivement dans la vie quotidienne [5]. Les « imprimantes 3D », puisque c’est ainsi qu’elles sont généralement dénommées, sont aujourd’hui rendues accessibles à un large public, en particulier au sein d’espaces spécifiques qui éclosent un peu partout en France et dans le monde sous la dénomination de « laboratoires de fabrication numérique », dont la contraction produit le terme de « FabLab ». Ces FabLab sont parfois constitués en structures autonomes, devenant ainsi des « tiers-lieux », au sens où ils ne sont localisés ni dans l’espace privé ni dans l’espace professionnel mais dans un espace de sociabilité situé dans un entre-deux [6]. Les FabLabs peuvent également être intégrés au sein d’autres structures institutionnelles comme des universités [7] ou des écoles [8], voire de structures qui constituent déjà parfois des « tiers-lieu », comme des bibliothèques, des médiathèques ou des maisons de quartier, dont ils ambitionnent de renouveler les périmètres d’action.

Cet article constitue une première étape, inaugurale et exploratoire, d’un projet de recherche inscrit dans le programme européen ITI-FEDER EDULAB porté par l’Université de Rennes 2. Ce projet nous amènera à questionner cette notion de fabrication et l’éventuel réaménagement du rapport des usagers à la fabrication, qui semble constituer un axe fort des « laboratoires de fabrication », dans un contexte où les technologies numériques semblent précisément mettre à distance toute forme de manipulation concrète. Nous essaierons de voir les périmètres que recouvre l’utilisation du terme « fabrication », explicitement mise en exergue par ces « laboratoires de fabrication ».

Dans le registre non pas du « savoir » mais de « l’activité », l’ouvroir constitue une forme d’institution « d’une communauté de travail [9] ». A ce titre, les FabLabs constituent un cas particulier « d’atelier », à l’intérieur duquel « on élabore » ou on « travaille ». Si le terme « atelier » désignait initialement « le tas de bois » et, par extension, « le lieu où l’on travaille le bois » [10], le terme est plus génériquement utilisé aujourd’hui pour décrire tout lieu socialement investi par le travail à l’œuvre, toute forme d’activité manuelle s’inscrivant aussi bien dans le registre de l’artisanat que de l’artistique, à l’intérieur desquels plusieurs « arts » peuvent coexister et être mobilisés pour contribuer à la réalisation d’un produit qui n’est quasiment jamais « mono-technique » mais le fruit de nécessaires hybridations [11]. L’atelier peut également désigner un périmètre professionnellement spécialisé (« menuiserie », « métallerie », etc.) à l’intérieur d’une manufacture ou d’une usine. On notera, au passage, le glissement sémantique du vocable « atelier », qui tend aujourd’hui à désigner des espaces dans lesquels l’activité est réduite à une manipulation informatique [12]. Ces ateliers n’ont rien de salissant : il est sous-entendu ici que les « outils » en questions sont les services numériques propriétaires de Google, comme la messagerie « Gmail », les logiciels en ligne (de traitement de texte, de tableur, etc.), accessibles sur un espace partageable appelé « Drive » et autres « services » incluant le système d’exploitation « Androïd », dont la gratuité pour l’utilisateur trouve sa contrepartie - entre autres - dans la publicité et la collecte, par le prestataire, des données (notamment) personnelles que ces services génèrent.). Le terme de « design » fait également l’objet de réappropriations : il tend désormais aussi à designer toute activité de « conception », quel qu’en soit le champ d’application [13]. L’activité de prototypage, c’est-à-dire de mise au point d’un unique exemplaire, qui semble caractériser les FabLab aurait pu s’approprier le terme de « design » au sens où il désigne la phase de conception d’un projet d’objet.

La technique comme objet d’étude

Comme d’autres « Makerspaces [14] » ou « Repair cafés [15] », les FabLabs se définissent avant tout comme des espaces sociaux dédiés au « faire », animés par des bricoleurs ou des médiateurs qui ambitionnent explicitement de réconcilier l’individu « moderne » (et donc supposément détenteur, utilisateur et usager d’équipements informatiques connectés au web) avec le « faire par soi-même ». Cette démarche intègre les possibilités offertes par l’informatique ou « le numérique » pour réparer des appareils, les détourner, augmenter leurs fonctionnalités ou encore réaliser des prototypes d’objets uniques, à l’aide d’une imprimante 3D ou d’une découpeuse laser. Cela peut être considéré comme une manière aussi d’entrer dans la « boîte noire » des objets produits industriellement, dont les composants et le fonctionnement interne sont généralement dissimulés par une enveloppe, un « habillage » qui « protège » l’utilisateur autant que le producteur. Si l’on peut percevoir les enjeux sociaux et éducatifs que constitue cette tentative de réhabilitation de la fabrication matérielle « à l’ère du numérique » [16], c’est-à-dire dans un contexte de « dématérialisation » des documents et des services, le statut de la technique dans cette dynamique reste néanmoins très flou. A cela s’ajoute une caractéristique liée à une représentation sociale de la technique qui fait que « le numérique (est) trop souvent considéré comme une forme de disparition de la place de l’homme et de sa main [17] ». Si une notion de « pouvoir » en émerge, ce n’est pas en référence à un « pouvoir faire », que la technique foncièrement porte en elle, mais à une forme politique du pouvoir, une « capacitation » de l’individu à agir socialement que l’on retrouve sous le terme anglo-saxon « d’empowerment ». Cela, finalement, n’explicite pas ce qu’est la technique en tant qu’elle contribue à produire de l’ouvrage. La fabrication, qui est mise en avant par l’expression « laboratoire de fabrication », interroge cet univers très souvent convoqué, mais finalement rarement approfondi, qu’est celui de la technique, qui se trouve parfois même reléguée à un domaine « extra-humain [18] » ou infra-humain. La déshumanisation produite par la technique est une idée récurrente que nous ne développerons pas ici mais sur laquelle nous aurons ultérieurement l’occasion de revenir. Si le terme de « technique », éventuellement anobli par l’utilisation du terme « technologie », semble être aujourd’hui omniprésent dans les discours, la technique n’y est généralement considérée que comme un lieu de manifestation de problématiques sociales et sociétales d’usages et d’appropriations, ou comme l’épiphénomène d’un comportement outillé appréhendé d’un point de vue psychologique ou cognitif. Il ne s’agit pas de nier l’importance de ces approches, qui peuvent être complémentaires et parfaitement pertinentes lorsque la finalité est de réaliser une étude sociologique ou critique des usages, pour analyser la place qu’ils occupent au sein des interactions et les stratégies d’appropriation ou de détournement mises en œuvre. La confusion, dans la littérature, est permanente entre « le matériel » (l’objet tangible, considéré positivement sous l’angle de sa matérialité effective, volontiers « naturalisé ») et « la technique » (catégorie générique regroupant des procédés liés aussi bien à la science qu’à l’art). Derrière cette assimilation du technique au matériel sont très souvent confondues les conditions d’appropriation subjectives et conjoncturelles d’artefacts dits « sociotechniques », qui relèvent d’une analyse sociologique et critique des pratiques et des usages ou les stratégies « cognitives » d’exploitation d’un appareillage qui visent à le valoriser, le détourner ou innover.

La résurgence, régulièrement dénoncée mais rarement théoriquement fondée, des risques de manipulation de l’être humain « par la technique » nous incite à penser qu’il importe de déconstruire davantage cette « technique » ou ces « technologies » derrière lesquelles s’abritent aujourd’hui des intérêts intellectuels, économiques et sociaux divergents. Nous nous intéresserons, ultérieurement, aux différentes théorisations dont la technique a pu être l’objet, de la part d’auteurs aussi divers que Jacques Ellul [19] (1954, 1977), Gilbert Simondon [20](1958, 2014), Martin Heidegger [21] (1965), Jürgen Habermas [22] (1973), Michel De Certeau [23] (1980) ou Pierre Rabardel [24] (1995), entre autres. La surdétermination technique ou techniciste régulièrement observée ou pointée du doigt nous incite à penser qu’il y a un enjeu important à expliciter les caractéristiques de cette « technique » pour éviter qu’elle ne devienne un objet mythique. Comme le souligne le sociologue Jérôme Denis, la sociologie des usages des artefacts que l’on désigne usuellement comme « techniques » ou « technologiques » se confronte très souvent à une limite : « L’angle mort est bien connu et très tôt souligné : c’est celui de la technique elle-même. Avec la volonté d’abandonner tout déterminisme de ce côté-là de la balance, les études ont très largement négligé les objets-mêmes de ce que l’on appelle désormais l’usage. Il manque souvent cruellement aux analyses très documentées des bricolages des uns et des autres une description très fine de la technologie qui est ainsi appropriée [25]. » La perspective proposée par l’auteur est de suivre le « chemin (…) [de] la sociologie des sciences, devenue très vite sociologie de l’innovation et anthropologie des techniques [26] ». Nous explorerons une autre piste. Il nous semble intéressant de mobiliser à cet endroit le cadre théorique d’une « science de la technique », ou ergologie [27], développée à l’université Rennes 2 par le linguiste et épistémologue Jean Gagnepain (1982). Ce cadre méthodologique présente l’originalité de poser l’hypothèse d’une rationalité technique spécifique, distincte et autonome d’autres formes de rationalité, respectivement langagière, sociale et éthique, et dont l’ensemble constitue, de manière non-hiérarchisée, l’objet diffracté des sciences humaines. Issu de cette dissociation entre quatre plans de rationalité, un deuxième point nous semble intéressant, qui est précisément le fait de refuser la subordination d’un plan de rationalité par un autre, de récuser en l’occurrence la prééminence d’une raison logique, sociologique ou axiologique qui viendrait en surplomb par rapport aux autres formes de rationalité. La technique n’est pas intégralement soluble dans l’explication, et c’est précisément dans une manipulation qu’elle va pouvoir se constituer et s’éprouver expérimentalement, au besoin dans un cadre clinique si ce qui est en jeu est l’étude des mécanismes immanents de la technique, comprise comme faculté spécifiquement humaine d’analyser notre rapport au monde. La prise en compte de la manipulation permet de penser la technique non plus uniquement comme l’objet d’une analyse langagière, inscrite à ce compte dans une anthropologie (ou plus spécifiquement une ergo-logie), mais également comme une raison d’être - ou plus exactement de faire - à part entière, inscrite dans une anthropotropie, c’est-à-dire l’analyse d’une raison non plus logique mais technique, à l’œuvre dans l’activité. Une technique structurée « comme un langage », pour reprendre la fortune de l’expression lacanienne, mais indépendamment de toute « logique » conceptuelle ou conscience d’agir, selon un processus « implicite » davantage « qu’inconscient », pour lever l’éventuelle ambiguïté. Cette perspective permet aussi d’échapper au risque d’une pensée spéculative par la confrontation de la technique à une matérialité positive, qui résiste, infirme ou confirme. Cela nous permettra d’interroger notamment la part du « matériel » et de la « technique » dans un « numérique » surdéterminé socialement, qui nous semble osciller en permanence entre réalité, mythe et magie, constitutifs, entre autres, d’imaginaires.

Avant d’entreprendre d’analyser plus en détail les processus de fabrication sur lesquels reposent la « fabrication additive », ou « l’impression 3D », pris comme des cas particuliers de « fabrication numérique », intéressons-nous d’abord aux FabLabs, ces espaces dits « de fabrication numérique » qui les mettent aujourd’hui à la portée d’un nouveau public, au-delà des industriels et organismes de formation professionnelle qui en étaient, il y a encore peu de temps, les utilisateurs exclusifs.

1 Qu’est-ce qu’un FabLab ?

En 1998, Neil Gershenfeld, informaticien et physicien américain, enseignant au sein du Massachusetts Institute of Technology (MIT, Cambridge, U.S.A.), propose un cours intitulé « How to make (almost) anything », c’est-à-dire « Comment fabriquer (à peu près) n’importe quoi ». L’objectif de ce cours est de développer la créativité des étudiants en leur donnant accès à des équipements de fabrication numérique jusque-là réservés au monde de l’industrie, tels que des imprimantes 3D, fraiseuses, découpeuses laser et autres machines à commandes numériques [28]. Ce projet est porté à la fois par le Media Lab du MIT (qui avait déjà innové dès les années 1970 en développant LOGO, un logiciel pédagogique d’initiation à la programmation) et le Center for Bits and Atoms, dirigé par Neil Gershenfield. Stimulé par le succès de cette expérience, naît en 2001 le premier « laboratoire de fabrication (numérique) », en anglais fabrication laboratory, dont l’expression FabLab est la contraction. Ces ateliers se veulent être des lieux dédiés à la création d’objets « physiques » à l’aide de « technologies numériques », avec l’idée également de mettre à disposition de la « communauté du web » les données produites sous un format libre de droits. Le slogan qui s’affiche sur la page d’accueil du site du MediaLab, qui présente le Center for Bits and Atoms, atteste de ce double mouvement allant de la fabrication à la documentation pour en favoriser la diffusion et le partage : « Turning information into things and things into information » (« Transformer les données en objets et les objets en données »). Les équipements utilisés dans les FabLab sont très variés, ils vont du matériel informatique (ordinateurs, tablettes numériques tactiles, smartphones ou cartes électroniques programmables) à des équipements « de fabrication » ou « de façonnage » à commandes numériques, comme des imprimantes 3D, des découpeuses laser ou des découpeuses vinyle.

Si une imprimante 3D ne suffit pas à faire un FabLab, ce qui va également différencier les FabLabs des services marchands « d’impression numérique en trois dimensions » (« digital printing  » en anglais), c’est un type de rapport particulier au « faire ». En effet, on n’y vient pas pour faire faire une pièce par un opérateur qui serait à votre disposition mais pour la fabriquer par soi-même avec l’aide, au besoin, de la communauté et des animateurs ou coordinateurs du FabLab. L’idée selon laquelle internet permet aujourd’hui de mettre les moyens de production de l’industrie à la portée de tout individu a été présentée par Chris Anderson [29]qui affirme que « la beauté du web est qu’il a démocratisé à la fois les outils d’invention et les outils de production ». A une époque où internet et les technologies numériques semblaient avoir confiné l’usager à un rôle de consommateur de données et de divertissements numériques, ce mouvement semble paradoxalement réhabiliter le « faire » en y adjoignant une dimension collective. En effet, s’ils sont identifiés à une tendance « Do It Yourself » (DIY), issue en partie d’un mode de vie qui a pris naissance dans les mouvements hippie [30] et punk [31] des années 1970 qui contestaient via la société de consommation et le gaspillage qu’elle génère, globalement l’institution qui la promouvait. Les FabLabs s’efforcent aujourd’hui de prolonger cette revendication en la faisant évoluer vers une dynamique collective et participative, identifiée par l’acronyme DIWO, pour « Do It With Others ». On peut y voir l’effet des nouvelles socialités numériques amplifiées par les usages contemporains des réseaux sociaux et ainsi que celui des possibilités de l’auto-apprentissage, popularisé par la diffusion des tutoriels vidéo. C’est finalement moins « ce qu’on y fait » qui importe que le fait « qu’on y apprend des autres », en découvrant de nouvelles « façons de faire », en faisant et en partageant ce que l’on a fait et appris à faire. Les trois composantes essentielles de l’esprit FabLab sont ainsi régulièrement résumées par ces trois termes : « Learn, make, share  », c’est-à-dire « Apprenez, fabriquez, partagez ». L’enjeu n’est donc pas pour le FabLab d’être scientifiquement un « laboratoire » de la fabrication, au sens où l’on essaierait de comprendre ce qui se passe (cognitivement, techniquement, etc.) lorsque l’on fabrique, mais avant tout un « laboratoire de fabrication », c’est-à-dire un espace de travail mais également de réflexion et d’expérimentation, au sein duquel prime finalement le résultat obtenu, au prix, parfois, de petits arrangements, détournements d’usages et autres bricolages, qui reconsidèrent les frontières et catégories sociales d’usages de la technique. Les enjeux sont, dès lors, davantage sociaux et éthiques que techniques. En somme, dans le FabLab on s’intéresse au « comment s’y prendre ? » avec l’objectif de réaliser un objet ou un prototype d’objet, davantage que l’on ne s’intéresse au « qu’est-ce qui se passe lorsque l’on fabrique ? ». L’étude des surprises, des accidents et des résistances qui se produisent au cours de l’activité nous semble d’autant plus intéressante, dès lors que l’on considère l’analyse technique comme un processus d’analyse qui se produit à l’insu de l’opérateur, au point, parfois, de contrecarrer ses projets et de lui faire faire autre chose que ce qu’il croyait faire. La visée magique des équipements présents au FabLab est parfois en cause, qui motive parfois l’envie d’utiliser la découpeuse laser quand techniquement la chose à faire requerrait davantage l’utilisation d’une scie sauteuse, ou de réaliser un projet avec une imprimante 3D quand le recours à une découpeuse laser serait plus pertinente.

Ré-inscrire la dimension « laboratoire » dans un FabLab nous semble, à cet endroit, particulièrement intéressant, à la condition d’insister sur le fait qu’il s’agirait ici d’un laboratoire en sciences humaines et pas en sciences ou technologies de la matière.

1.1 FabLab : « Fabrication Laboratory  » ou « Fabulous Laboratory  » ?

Derrière la fusion des termes « laboratoire » et « fabrication » en un vocable unique, « FabLab », labellisé par le Massachussetts Institute of Technology (MIT), un autre sens pourrait aisément émerger à l’usage celui de « fabuleux [32]laboratoire ». Le mythe, et la magie, qui entourent cet équipement innovant et néanmoins déjà « récent » - c’est-à-dire paradoxalement et par euphémisme déjà inscrit dans une certaine historicité - amène à s’interroger sur une proximité, sans doute fortuite, des termes anglo-saxons « FabLab » et « FabFour ». On se souvient de la contraction en « FabFour » de l’expression « Fabulous Four » utilisée dans les années 1960 pour désigner les membres du groupe anglais « tétracéphale » The Beatles. Aussi incertain que puisse être ce rapprochement, il n’est pas interdit d’imaginer quand même que la proximité phonétique entre le « fab » de « fabrication » et celui de « fabulous » en anglais ait inconsciemment contribué à renforcer le mythe qui nimbe cette appellation de FabLab pour en faire un « Fabulous Laboratory » dans la tête des gens. Ce qui peut (in)opportunément contribuer à renforcer à la fois l’attractivité et le malentendu à l’égard de ce que ce terme désigne ! La dimension magique « fabuleuse » peut également provenir de ce passage de l’image de l’objet numérique à l’objet réel, d’un objet « en puissance » (selon la signification du terme « virtuel ») à un objet « en présence ». Une grande confusion règne autour de l’utilisation du terme « virtuel ». Il nous semble que l’on fasse crédit un peu facilement à la technologie de cette « virtualité » qu’elle revendique et s’approprie. Beaucoup de fantasmes s’y projettent alors qu’il ne s’agit, selon nous, que d’une modalité technique de production réaliste d’une représentation. Cette « réalité » ainsi produite n’est « virtuelle » qu’à négliger la technique dont elle dépend (mais qui la rendent paradoxalement très « concrète »), et n’est en « trois dimensions » qu’à la mesure de l’illusion que l’on est capable de produire techniquement pour tromper le cerveau comme la fabrication de la perspective l’a fait à la Renaissance [33]. Dans un séminaire de l’année 1959-1960 consacré à L’éthique de la psychanalyse, Jacques Lacan évoque l’artificialité de la fabrication de la perspective, observant que l’invention de la perspective avait, finalement, surtout contribué à produire une nouvelle forme d’architecture qui permettait de révéler et d’accentuer cette construction perspective : « A partir du moment où on a découvert la perspective dans la peinture, on a fait une architecture qui se soumet à la perspective de la peinture [34] ». La perspective est ainsi devenue, plus qu’une manière de voir, une manière de faire. De la même manière, on prend pour « virtuelle » une réalité produite techniquement en vue d’un affichage sur un écran d’ordinateur ou sur un casque de réalité virtuelle (donc en deux dimensions) avec l’illusion, sur le registre de la vision, d’une troisième dimension (générée par la manipulation de l’image de « l’objet » ou le changement de point de vue dans la représentation graphique de cet espace mathématique suffisamment proche (bien que monoculaire) de notre expérience visuelle non-appareillée) et d’une « fausse présence », sur les registres psychiques de l’incorporation et de la somatisation.

1.2 De quelle « fabrication » parle-t-on ?
L’usage courant distingue les termes de « fabrication » et de « production » : l’un étant le temps de la conception, correspondant socio-professionnellement au travail de prototypage et de tests, réalisé par un bureau d’étude, quand le terme de « production » correspond à une phase d’industrialisation, au sens de duplication en série sur la base d’un modèle graphiquement décrit et dénommé, techniquement testé, axiologiquement éprouvé et institutionnellement validé. Cela explique cet usage du terme de « fabrication » dans le contexte du FabLab puisqu’il s’agit effectivement de se focaliser sur les dimensions d’expérimentation et d’innovation propres au prototypage par opposition à une production en série qui caractériserait une industrialisation, pour laquelle les FabLabs ne sont pas adaptés, ni en termes d’espaces de travail et d’organisation, ni surtout en termes d’objectifs. Mais si le terme de « laboratoire » y est accolé, cela dénote aussi que l’on entend se situer ailleurs que dans un atelier de prototypage de type « bureau d’étude ». Peut-être donc que le terme de « fabrication » pourrait comprendre d’autres acceptions qui ne soient pas issues de cette acception professionnelle qui a cours dans l’industrie entre « fabrication » et « production » ? La « science de l’art » définie par l’ergologie de Jean Gagnepain distingue également ces termes de « fabrication » et de « production » mais dans des acceptions très différentes. La « fabrication » définit un processus structural, une phase d’abstraction ou de mise à distance « analytique » de l’efficacité instrumentale immédiate qui se trouve dialectiquement réinvestie performanciellement dans une production concrète.

Cette façon de concevoir la technique permet de révéler un seuil structurel entre l’humain et l’animal qui distingue les processus en cause dans la manipulation animale, d’une part, et humaine, d’autre part, au-delà d’une apparente ressemblance qu’un point de vue « phénoménal ». Si l’on ne peut que constater que l’animal « instrumente en mettant effectivement en relation un moyen et une fin pour agir efficacement sur la réalité, l’être humain analyse et le moyen et la fin, établissant ainsi du (potentiellement) « fabriquant » et du (potentiellement) « fabriqué », à l’instar de l’analyse langagière qui produit analogiquement du « signifiant » et du « signifié ». Comme le « signifiant », dans le langage, trouve son critère d’analyse dans l’autre « face » du signe linguistique, à savoir dans les mots [35], analogiquement le « fabriquant » trouve son critère d’utilité dans l’analyse de la fin, qui constitue l’autre « face » de l’outil [36]. L’analyse qualitative de la matière distingue différents types de « matériaux », c’est-à-dire des qualités utiles présentes, ou pas, dans la matière considérée. Ces qualités sont multiples et oppositionnelles : la dureté s’oppose à la souplesse, la transparence à l’opacité, la conductibilité électrique à l’isolation électrique, etc. On dit de la matière qu’elle est polymatérielle, en ce sens qu’une même matière peut être analysée en différentes propriétés : un fil de cuivre peut être souple, conducteur électrique, etc. Il n’existe pas d’universeaux en la matière, le matériau étant, au-delà des évidences, un principe actif de l’ouvrage [37]. Le refus de cette évidence constitue d’ailleurs l’un des ressorts de l’innovation qui fait valoir, par exemple, un pouvoir de percement de l’eau qui, utilisée à très haute pression, permet de découper précisément des plaques de métal, ou encore l’utilisation de la lumière, conditionnée sous forme d’un rayon ultra-concentré (laser) pour découper là encore des matières comme du bois. Bien que cela semble contre-intuitif, il est devenu parfois plus efficace et plus précis de découper du métal avec « de l’eau » ou « de la lumière » qu’avec des lames de métal, pourtant « empiriquement » réputées plus « solides » [38]. Pour donner des exemples, on est obligé de supposer, au-delà de la « qualité utile » étudiée, une certaine distribution quantitative (qui constitue une dimension complémentaire de l’analyse) de cette matière : une plaque de cuivre n’offrira pas les mêmes possibilités qu’un fil de cuivre, lequel n’aura pas non les mêmes caractéristiques qu’une fine pellicule de cuivre déposée sur un circuit imprimé, etc..

Cette distanciation et ce refus de l’efficacité immédiate (que Jean Gagnepain dénomme « médiation ») laisse place à une double analyse : une analyse mécanologique du moyen et une analyse téléologique de la fin. La globalité du « moyen » est déconstruite pour produire analytiquement, qualitativement des propriétés mécaniques qui s’opposent les unes aux autres, et quantitativement des quantités utiles. Du point de vue de l’analyse mécanologique du moyen, l’analyse qualitative doit donc être complétée par une analyse quantitative qui définit, au-delà de la « qualité utile » du « matériau », un « engin », c’est-à-dire une « quantité utile » de matière, comme en l’occurrence « le » cuivre est segmentable en plaque, débité en fil ou appliqué en fine pellicule, de la même manière que sont quantitativement différentes une fine plaque (ou un sandwich de plaques dans le contreplaqué), une planche ou un tronc pourtant issus matériellement du même bois. Cette « matière » [39] est - humainement - doublement analysable, quantitativement en engins (ou « unités » segmentales élaborées contrastivement) et qualitativement en propriétés (ou « identités », définies oppositionnellement).

Ainsi définie, la « fabrication » intègre l’analyse du moyen par la fin (mécanologie) et l’analyse de la fin par le moyen (téléologie). Elle représente la phase immanente d’abstraction de la technique, semblable à la « grammaire » qui rend compte de la double analyse grammaticale phonologique et sémiologique dans le rapport au langage et de leur mutuelle justification. Dans le cadre du modèle de l’ergologie, la « fabrication » constitue une étape analytiquement intermédiaire avant une phase de retour à la chose à faire, phase de « production » qui constitue la confrontation, mécanique et téléotique, de la fabrication analytique avec la réalité.

2 Principe de l’impression 3D

L’histoire de l’impression 3D fait remonter l’émergence de l’impression 3D en 1903, avec le dépôt du brevet de fabrication d’un fer à cheval à partir de la superposition de couches de tissus par G. J. Peacock [40]. Cette antériorité, considérée rétrospectivement, se fonde sur le dépôt d’un brevet basé sur le principe de la superposition des couches. Si ce n’est qu’aucun brevet ne protège cette opération caractéristique de la poterie, le principe de la superposition de colombins de glaise suivie d’une cuisson (frittage) pourrait être historiquement également considéré comme étant la première manifestation de l’impression 3D !

Quel que soit le procédé d’impression 3D utilisé, son principe repose invariablement sur trois étapes : la création d’un objet numérique modélisé en trois dimensions (axes X, Y et Z), le « tranchage » de l’objet numérique en fines couches superposées horizontalement en hélice et enfin la réalisation de l’objet matériel par accumulation de matière superposée de manière stratigraphique, avec des procédés de dépôt ou de solidification qui varient selon les matières et les dispositifs utilisés : la technologie « FDM [41] » utilise du filament de plastique, les technologies dites « de frittage » peuvent solidifier sélectivement des particules de poudre céramique ou métallique, la technologie de « Contour Crafting » permet d’imprimer à partir de béton, la technologie « G3DP [42] » permet d’imprimer des pièces en verre, une technologie d’extrusion alimentaire permet d’imprimer des objets réalisés à base d’ingrédients comestibles (dont du chocolat), etc..

2.1 Question de vocabulaire : « impression 3D » ou « impression tridimensionnelle » ?

La première manifestation de l’impression 3D ne faisait pas référence de manière générique à « l’impression » mais plus spécifiquement à l’une des techniques traditionnelles d’impression graphique qu’est la « lithographie ». L’expression « impression 3D » a été adoptée suite à la mise au point par le MIT d’un procédé de reproduction d’objet en trois dimensions « 3D printing ». Dérivée d’un nom commercial, l’expression « impression 3D » repose sur une confusion de termes. S’il est exact de parler de « modélisation 3D » pour faire référence à l’illusion de la troisième dimension (3D) simulée par le traitement informatique de données vectorielles, il serait plus adapté de parler « d’impression tridimensionnelle » pour faire référence, par opposition, à la réalisation d’un objet physique dans les trois dimensions de l’espace (largeur, profondeur et hauteur [43]). Le choix lexical de l’expression « impression 3D » génère donc une confusion entre une réalité dite « virtuelle » (la modélisation 3D, qui est un préalable dans le processus de fabrication d’un prototype) et une réalité considérée contrastivement comme « physique » (un objet tridimensionnel, ou en trois dimensions, par opposition à une représentation devenue bidimensionnelle, c’est-à-dire à deux dimensions, tout comme la photographie est devenue rétrospectivement « argentique » quand une autre photographie s’est appelée « numérique », dans un souci de caractérisation d’identités oppositionnelles). Il ne faudrait pas en conclure pour autant que la réalité est en trois dimensions. Dans l’état actuel des connaissances, selon l’expression consacrée, on peut être tenté de le dire, mais cela ne devrait être qu’une hypothèse, temporairement admise tant qu’elle n’est pas éprouvée ou falsifiée. Mais c’est avant tout le résultat relatif, plus qu’une donnée objective, d’un modèle mathématique applicable dans un espace euclidien, qui « tridimensionnalise » un monde dont rien n’établit avec certitude qu’il se réduise à ces trois dimensions. Malgré l’intuition, qu’empiriquement ou culturellement nous pouvons en avoir, elle-même confortée par l’expérience qui suggère que « ça à l’air de fonctionner comme ça », depuis 1915 et la publication par Albert Einstein de la théorie générale de la relativité, la définition d’une quatrième dimension et la formulation du concept d’espace-temps oblige à délimiter le champ à l’intérieur duquel ces « trois dimensions » sont opérationnelles. Ainsi, lorsque l’on parle d’espace virtuel en trois dimensions tel que représenté sur un écran d’ordinateur, il s’agit d’une réalité construite et dont les trois paramètres de longueur, largeur et hauteur sont suffisants pour opérationnaliser la représentation et la manipulation d’un objet modélisé informatiquement, c’est-à-dire la production d’un affichage permettant la visualisation d’algorithmes.

Pour finir, voici deux exemples qui mettent en évidence le fait que tout lexique, quelle que soit la langue considérée, génère des représentations inadéquates - notamment de la technique - puisqu’il est soumis à l’impropriété foncière du signe langagier à désigner le monde qu’il décrit :

Le premier exemple concerne l’expression « d’impression tridimensionnelle », qui ne peut être étendue sans quelque précaution à l’appareillage qui la réalise : une « imprimante tridimensionnelle » pouvant n’être, le cas échéant, que le résultat d’une impression tridimensionnelle [44] sans pour autant caractériser ce qu’elle imprime, il conviendrait pour être précis, de parler « d’imprimante d’objets tridimensionnels », quels qu’ils soient.

Le deuxième exemple concerne le terme « impression » lui-même. Il était professionnellement justifié de parler d’impression dans les premiers procédés de gravure du fait de la « pression » initialement appliquée par une « presse ». Cette presse avait pour fonction d’assurer l’uniformité du transfert de l’encre dont était enduit « l’imprimant » (c’est-à-dire les motifs ou caractères de bois ou de plomb) sur une feuille de papier appelé « l’imprimé ». Si, donc, l’utilisation du radical « pression » était structurant dans le champ lexical de l’édition pour définir tout les processus et produits issus des « techniques de reproduction en série », cette étymologie est devenue mythique depuis le développement de techniques dans lesquelles plus aucune pression n’est à l’œuvre pour produire de « l’imprimé » (dans « l’impression jet d’encre » par exemple) et encore plus inadapté pour « l’impression tridimensionnelle » dans laquelle il n’y a jamais eu cette « pression » mais uniquement la duplication [45] d’un élément. [46]

2.2 « 3D Modeling »

Les anglo-saxons utilisent le terme de « 3D modeling », « modeling » en anglais se traduisant aussi bien par « modelage » que par « modélisation ». Ceci met en évidence que, la fin visée étant l’objet à reproduire, le rapport au modèle relève aussi bien de l’instrument que du modelage. Lorsque l’on observe de près ce que produit réellement une imprimante 3D, il s’agit en réalité d’une forme de « modelage », à ceci près que l’échelle a été miniaturisée par rapport à ce que l’on considère habituellement comme relevant d’une technique de modelage (du plâtre, de la glaise ou de la « pâte à modeler »). Il s’agit d’un dépôt de matières temporairement dotées de propriété de viscosité relative permettant à la fois d’adhérer à la couche inférieure (ou à la surface plane du socle s’il s’agit de la première couche) et de malléabilité lui permettant de « prendre forme », en l’occurrence ici par extrusion. Ce trait de « pastosité » est le résultat d’une fabrication qui va rendre une matière pâteuse, c’est-à-dire qu’elle va partager des propriétés apparentées à une forme de liquidité (ou de « plasticité », propriété qui a donné son nom à un ensemble de polymères à partir des années 1960) tout en conservant une capacité à se solidifier sans se rigidifier complètement. Cette liquéfaction/solidification est similaire à ce que l’on retrouve dans la technique de dépôt de mortier dans la construction architecturale. Ce n’est sans doute pas par hasard qu’a été expérimentée en Chine une imprimante 3D capable de fabriquer une maison. Les détails de ce procédé sont encore tenus secrets dans le souci de préservation d’un droit à la propriété industrielle. Ce que l’on peut observer, c’est que cela réunit deux procédés de fabrication qui souvent coexistent sur un même chantier : d’une part, on « monte » un mur en juxtaposant des « modules » de parpaings préfabriqués, assemblés les uns aux autres par un dispositif d’emboîtement rendu étanche par l’utilisation d’un ciment. D’autre part, on « coule » un mur entre deux parois d’un moule, les banches, à l’intérieur desquelles est progressivement réparti et homogénéisé par vibrage un béton qui se solidifiera lors d’une phase ultérieure de séchage. S’il s’agit simplement de réaliser un colombin de béton pour élever un mur comme on juxtaposerait des parpaings ou comme on moulerait un mur, ce n’est pas véritablement là que de l’innovation survient. Ce sera plutôt lorsqu’elle reconsidèrera et optimisera la structure des murs en fonction d’autres contraintes architecturales comme l’isolation thermique et/ou phonique, l’allègement de la structure à résistance égale ou supérieure, etc.. Un des procédés de l’impression tridimensionnelle est le « frittage », c’est-à-dire une agglomération sans fusion de molécules. Réalisé à partir de poudres métalliques ou de céramique, c’est exactement le même principe que celui sur lequel repose la cuisson de la poterie, qui est une autre forme de frittage, pratiquée depuis des milliers d’années. Il existe d’ailleurs un autre procédé d’impression tridimensionnelle qui fait explicitement référence à ce procédé de poterie par colombin, qui est le procédé « LDM », pour « Liquid Deposit Modeling », qui dépose un cordon de porcelaine et « qui est un dérivé du procédé de dépôt de fil plastique FDM [47] ».

2.3 Procédés de fabrication « additifs » et procédés de fabrication « soustractifs »

La production d’objets relève de procédés de fabrication qui sont, aujourd’hui, régulièrement répartis entre deux catégories, davantage descriptives qu’analytiques.

D’une part, il y aurait des procédés de fabrication « additifs », c’est-à-dire qui procèdent par adjonction de matière, comme le « moulage » qui procède à partir d’un moule à l’intérieur duquel on coule une matière, métallique, plastique ou autre, à l’état liquide, qui va se solidifier au contact de l’air. Une très grande partie des objets que l’on utilise au quotidien est réalisée, totalement ou partiellement, selon ce type de procédé, basé sur un changement d’état « liquide » vers un état « solide ». La plupart de nos objets en plastique ou en verre, du béton banché utilisé en architecture jusqu’aux moindres pièces mécaniques en métal ou coque de protection abritant de la vue, de l’eau ou de la poussière un mécanisme électrique, les occurrences sont nombreuses.

D’autre part, il y aurait des procédés de fabrication « soustractifs », dénommé ainsi parce qu’ils procèdent par extraction de matière, comme la taille, le fraisage, l’usinage, l’alésage, le découpage, le décolletage, le polissage, le rabotage et autres découpages. Ces procédés aussi diversifiés ont en commun de partir d’un bloc de « matière première  [48] » dont on va extraire des éléments jusqu’à obtenir la forme ou les propriétés techniques souhaitées. C’est cette caractéristique qui tend « écologiquement » à discréditer les technologies « soustractives », à savoir qu’elles génèrent un « gaspillage » de matières et de manipulations, puisqu’il faut évider ce qui au départ était un plein, et que l’on n’est pas, de surcroît, en mesure d’usiner aussi précisément et librement toutes les formes que l’on souhaiterait car certaines parties des pièces à usiner sont trop complexes, trop coûteuses, voire impossibles, à optimiser. Les technologies « additives » auraient cette « vertu » de n’utiliser que la matière qui est utile et permettent, de plus, de fabriquer des formes jusqu’alors inédites, inaccessibles aux technologies « soustractives » du fait des contraintes de démoulage ou d’accès aux parties à usiner. Ces inconvénients nécessitent d’être nuancés, notamment parce qu’il n’est pas possible de produire avec les procédés de fabrication « additifs » de grandes séries comme le permettent les procédés de fabrication « soustractifs ». Mais, en contrepartie, et en l’état actuel des choses, les procédés « additifs » sont surtout destinés à la réalisation de prototypes destinés aux designers ou aux bureaux d’études, préalables à la production en série, d’où l’expression qui leurs sont généralement accolés, de procédés de « prototypage rapide ».

Ceci étant posé, il reste à penser techniquement « l’addition » et la « soustraction », qui sont des représentations mathématiques fondées sur la présence et ou l’absence d’un élément dans un rapport matérialiste ou positiviste au réel. Ce qui est exclu par soustraction devient « déchet », qu’il faut « ébarber », nettoyer, décoller, désolidariser totalement de ce que l’on garde en propre. Chaque « déchet » n’est objectivement qu’une « chute », et « ce qui choit » (par opposition à la partie plus précieuse que l’on fixe pour la préserver - y compris symboliquement - de la chute) n’est que le déchet de la technique qui le produit. Ce déchet peut devenir la matière première d’une autre technique qui, sans même aller jusqu’à le « recycler », tout simplement l’exploite, en regard des propriétés qu’il conserve ou acquiert. Cette conception de l’addition et de la soustraction reste tributaire d’une conception matérielle « descriptiviste » qui ne prend en compte, sans l’objectiver, qu’une réalité socialement construite d’un cycle qui sépare, dans l’artisanat comme dans l’industrie, dans une « matière première », le « produit usiné » et le « déchet ». Il est intéressant de noter que ce que l’on extrait ne peut plus, techniquement, est ré-additionné. Si vous retranchez un nombre dans une soustraction, vous pouvez en ajouter un autre. Ils sont de même « consistance » et substituables les uns aux autres. Ce qui n’est bien souvent pas le cas d’un objet à qui vous soustrayez ce que l’action même de soustraire fabrique comme étant « une partie » d’un tout qui n’est définitivement plus la somme de ses parties. Même si l’on souhaite, pour des raisons esthétiques (en l’occurrence plastiques) ou axiologiques (de culpabilité) réassembler ce qui a été séparé, les « taillures » de crayons à papier, les copeaux de bois ou de métal ne reconstitueront pas avec la même efficacité les parties manquantes d’un crayon, d’un meuble ou d’une pièce fraisés. Une conception strictement technique devrait analyser les processus en cause en dehors de toutes considérations « socio-économiques » de ce type.

En mathématiques, le terme d’addition suppose également que les éléments ajoutés soient équivalents. Mais la métaphore est abusive dans le cas de la transposition au domaine de l’impression. Si l’on considère empiriquement les faits, il y a effectivement une accumulation de matière supplémentaire qui peut conduire à parler d’ajout ou d’addition. Mais, en réalité, la segmentation induite par la discrétion numérique, qui permet d’ajouter sélectivement quelque chose ou pas, n’est que « simulée ». Il y a bien pourtant l’ajout d’une « micro » portion de matière, qui correspondrait schématiquement à une valeur « un » (différentiellement distincte d’une « non-portion » qui correspondrait schématiquement à une valeur « zéro »). Mais ne voir que cet aspect amène à négliger le fait que dans l’impression 3D deux tâches sont simultanément concernées : l’apport d’un volume de matière qualitativement et quantitativement contrôlé d’une part et d’autre part la solidarisation (dans un laps de temps également contraint et contrôlé) de cet apport avec la couche précédente. Dans une opération mathématique d’addition, vous avez l’ajout d’un élément qualitativement identique mais « segmentalement » disjoint alors qu’ici les deux sont performanciellement liés. Cette « addition », du fait de cette autre tâche associée qui correspondrait à une phase d’assemblage, n’est donc pas réversible, et ne peut donc se comparer à une opération d’addition puisque ce qui est ajouté ne peut être soustrait. C’est à la fois le parpaing et le ciment qui le lie aux autres parpaings. Là où la numérisation « distingue », « dissocie », « disjoint », « discrimine », l’impression tridimensionnelle finalement « agglutine », « colle », « assemble », c’est-à-dire « ajoute » plus qu’elle « n’additionne ». Ceci nous invite à conclure que l’impression tridimentionnelle n’est pas un procédé « numérique » mais, sinon un procédé analogique, du moins le résultat d’une technique ancrée dans une matérialité effective.

2.4 Synthèses optiques additive et soustractive

Pour poursuivre l’analyse de ce que l’on appelle fabrication « additive », opposée à une fabrication « soustractive », il peut être éclairant de se référer au domaine de l’image auquel est initialement empruntée cette opposition entre une synthèse « additive » et une synthèse « soustractive ». En effet, la synthèse optique additive est celle qui correspond à l’image produite par la convergence contrôlée de trois faisceaux lumineux rouge, vert et bleu, que ce soit dans le cadre de dispositifs d’affichage sur un écran (display, en anglais) ou de projection de faisceaux (dans le cas d’un écran (screen, en anglais) de cinéma ou d’un vidéoprojecteur par exemple). L’image est ici produite en synthèse « additive », en ce sens que l’on part du noir lié à l’absence de lumière et c’est en additionnant les faisceaux rouge, vert et bleu que l’on va tenter de reproduire la totalité du spectre visible, sans toutefois y parvenir complètement. On appelle « gamut » l’espace colorimétrique techniquement perceptible par l’œil humain ou reproductible par tel ou tel type de matériel d’imagerie, comme un écran ou une imprimante. La gamut des technologies RVB a pour particularité de permettre la reproduction de « couleurs » qui ne peuvent pas l’être par des procédés d’impression sur papier, par exemple, mais le spectre des couleurs reproductibles est moins large.

Par opposition à la synthèse additive, dans le domaine de l’imprimerie il est fait référence à un autre type de synthèse optique qui est la synthèse « soustractive ». Cette « soustraction » peut être résumée ainsi : on part d’une feuille blanche et l’application de couches d’encres successives va soustraire au blanc originel certaines longueurs d’ondes, potentiellement jusqu’au noir, finalement obtenu lorsqu’il n’y a plus de rayonnements à soustraire. Les techniques d’impression (qui relèvent de la synthèse soustractive et que l’on peut donc opposer aux techniques de projection et d’affichage dans le champ de l’imprimerie) sont donc, par principe, soustractives. Le fait d’utiliser l’appellation « impression additive » constitue, pour l’imprimeur sinon un oxymore, tout au moins un paradoxe.

2.5 Catégories descriptives ou analytiques

Il nous semble indispensable de penser la technique en s’affranchissant de ces catégories essentiellement descriptives, et finalement inadéquates, bien que socio-professionnellement admises de « technologies additives » ou « soustractives », pour prêter attention de manière plus fine et plus analytique à des tâches ou des dispositifs différents ou identiques reliés par-delà leurs dissemblances matérielles. Le raclage, par exemple, peut-être commun à la production picturale ou en volume comme il peut y avoir de l’essuyage dans le pinceau comme à certains moments dans la sculpture. Cela nous évoque l’utilisation récurrente qui est faite du terme « hybridation » dans la production artistique contemporaine, devenue l’avènement d’une forme d’anticonformisme, mais qui ne fait, en réalité, que déplacer des frontières que l’on a artificiellement posées et qui s’en trouvent, paradoxalement, plutôt renforcées que réellement questionnées.

Si l’impression tridimensionnelle recouvre aujourd’hui principalement des techniques de dépôt de matière, qualitativement et quantitativement contrôlées, produisant une forme par empilement de strates successives, les techniques de « découpe laser » (et par conséquent faisant appel à un procédé « soustractif » selon la catégorisation évoquée précédemment) ont pu initialement être également associées à cette dénomination « d’impression 3D », au motif qu’il s’agissait identiquement de faire émerger un objet tridimensionnel à partir d’une forme modélisée sur un ordinateur, fut-ce par extraction de matière. Parmi la grande variété des procédés d’impression tridimensionnelle, certains relèvent à la fois de procédés « soustractifs » et « additifs ». La stéréolithographie [49], inventée en 1984 par l’américain Charles Hutt, et encore réservée à la production industrielle, complexe et coûteuse mais extrêmement précise et résistante (céramiques composées d’alliages métalliques qui offrent des propriétés mécaniques supérieures aux objets produits en résines PLA [50] ou ABS [51]), est l’un des sept principaux procédés d’impression 3D référencés aujourd’hui. L’antériorité et la fiabilité de cette technique stéréolithographique a d’ailleurs donné son nom au format de fichier généralement utilisé en impression 3D : le format .STL (issu de STereoLithography) qu’interprètent les imprimantes 3D, y compris celles qui ne fonctionnent pas selon un procédé stéréolithographique (procédé FDM de fusion d’un filament plastique par exemple). Cela s’explique par le fait que ce format de fichier repose sur le principe du « chemin » que va progressivement parcourir le faisceau ou la tête d’impression pour recomposer point après point les différentes strates de l’objet. Ce procédé fonctionne donc de manière spiralaire en déposant de la matière ou en polymérisant (solidifiant) une résine de manière continue.

Si nous n’adhérons pas à cette métaphore « substancialiste » qui conduit à catégoriser la technique en procédés respectivement « additifs » (adjonction de matière) et « soustractifs » (soustraction de matière), nous pouvons également faire valoir que l’on distingue en sculpture une autre manière de faire qui conteste la validité de cette simple bipartition entre les procédés de fabrication « additifs » et « soustractifs ». En effet, cette catégorisation de la technique ne saurait être valide puisque si l’on prend en considération le « modelage », il procède alternativement par adjonction et par extraction de matière. Cette catégorisation conceptuelle en techniques « additives » ou « soustractives » n’est pas scientifiquement valide puisqu’un processus technique peut associer ces deux types d’actions différents. Si l’on souhaite restreindre la définition du terme « modelage » au fait de « modeler » à l’exclusion de toute opération d’extraction, c’est-à-dire d’une certaine manière « mouler », avec les mains ou un ustensile quelconque mais qui ne constitue pas un « moule », on mesure la difficulté à rendre compte de la technique d’une manière aussi descriptive et matérialiste. Ce « matérialisme », souvent confondu avec ce que serait « la technique », se retrouve également dans la dénomination programmatique du centre de recherche de Neil Gershenfeld : le « Center for Bits and Atoms ». Il y aurait ainsi une forme de « (ré)conciliation » entre ces deux antagonismes que serait d’une part le monde des « Bits », c’est-à-dire « des zéros et des uns » qui, dans l’imaginaire technologique contemporain, correspondrait au monde « immatériel » ou « virtuel » du codage informatique ; et de l’autre le « vrai monde », qui serait palpable, tangible et constitué d’atomes, le « monde réel ». Or, il s’avère qu’il n’existe pas plus de « réalité virtuelle » constituée de bits qu’il n’existe un « vrai monde » (sous-entendu matériel, éventuellement assimilé à la technique, par réification d’une science physique) constitué d’atomes. Non pas qu’on doive contester l’existence des atomes au motif qu’on ne peut en éprouver la réalité empiriquement, mais tout simplement parce que cette réalité « atomique » est avant tout le résultat - historiquement provisoire - d’une fabrication : on ne peut faire exister cette réalité que parce qu’on l’a produite par des « instruments scientifiques », c’est-à-dire des artefacts techniques qui révèlent la présence d’un « quelque chose », que l’état actuel du savoir dénomme d’une certaine manière en fonction de tel ou tel artefact. On peut également faire valoir cette hypothèse selon laquelle la véritable « virtualité » serait en réalité le principe-même de l’abstraction, c’est-à-dire cette phase « instancielle » de distanciation de l’immédiateté « animale » par laquelle s’analyse, sur tous les plans, notre rapport à la réalité, en nous humanisant aussi bien du point de vue de notre représentation, que de notre manipulation, de notre condition ou de notre comportement.

3 Fabrication « point par point » : l’unité minimale de l’objet tridimensionnel ?

3.1 Un point, c’est tout

Quel que soit le procédé utilisé, il est intéressant de voir que ce qui caractérise l’impression tridimensionnelle est avant tout l’élaboration d’un objet « point par point ». Faisons un rapide parallèle avec l’image : même si l’image matricielle est réputée être constituée de « pixels » [52], c’est-à-dire d’un assemblage d’une multitude d’éléments picturaux minimaux répartis sur une surface rectangulaire, l’image dite « numérique » ne constitue pas pour autant une réalité empiriquement perceptible car les pixels dont elle est constituée ne sont pas visibles à l’œil nu. Si effectivement on observe les pixels, on « perd l’image », c’est-à-dire la vue d’ensemble. Cette vue d’ensemble par laquelle l’image émerge est nécessairement « floue » du point de vue des points élémentaires qui la constituent par synthèse optique. Si on perçoit l’image, elle ne peut plus être, sinon mythiquement, « numérique » mais (reconstituée) analogique, car l’œil humain ne peut percevoir les données « numériques » brutes. L’image « numérique » est donc nécessairement une image « analogique » pour pouvoir être perçue par l’œil humain. L’image numérique, dite « dématérialisée », est nécessairement, pour être perceptible, « rematérialisée » sous une forme analogique par le biais d’un affichage sur écran (display), d’une projection sur un écran (screen) ou d’une impression. Il est important de souligner qu’un « pixel » n’a, dans l’absolu, aucune dimension physique, étant entendu qu’il peut « virtuellement » les prendre toutes. C’est la raison pour laquelle on va parler de résolution d’image, c’est-à-dire de « nombre de pixels par unité de mesure physique », par exemple 300 « pixels par pouce » (ppp) ou « dots per inch » (dpi) en anglais.

Par ailleurs, le « pixel » n’est une unité minimale que dans un rapport déictique à la représentation, c’est-à-dire dans le rapport à l’image, car cette « unité minimale » est en réalité techniquement elle-même composée de trois éléments « encore plus » élémentaires que sont les photophores, ou les LED [53], respectivement Rouge, Vert et Bleu, qui permettent de réaliser, ensemble, une quasi « infinité » (en nombre néanmoins fini) de valeurs chromatiques différentes, par la fine modulation de leurs éclairages concomitants. De la même manière que l’image n’est « numérique » que dans un rapport à la représentation alors même que sa constitution numérique disparaît, cela n’aurait pas de sens de dire qu’on aurait affaire à des « objets numériques » ou à des « objets moléculaires » pour des objets imprimés en trois dimensions. Il est néanmoins possible de s’intéresser aux caractéristiques de cet objet. Le premier sentiment d’étrangeté que l’on ressent au contact d’un objet imprimé en trois dimensions est cette apparente unité monolithique d’un objet constitué d’une seule et même matière, à tel point qu’on pourrait imaginer qu’il est produit « en une seule fois ». Un examen plus approfondi fait apparaître, semblable à la trame d’une image reproduite en quadrichromie, la trame d’impression plus ou moins visible, constituée d’une multitude de lignes, elles-mêmes constituées de points de matière juxtaposés. C’est ce principe propre aux procédés d’impression tridimensionnelle qui consiste à produire systématiquement un point, et uniquement un point, multiplié autant de fois que nécessaire pour réaliser l’objet final.

3.2 Le pixel en volume

La principale caractéristique de ce point « imprimé en trois dimensions », par rapport à l’image « imprimée en deux dimensions » [54], est qu’il est en volume [55]. Transposé dans le domaine de l’impression tridimensionnelle, la matérialisation « point par point » du volume en cours de fabrication a donné lieu à l’apparition d’un terme équivalent à « pixel », adapté à un espace à trois dimensions : le « voxel ». Un « voxel » est, en anglais, un « volume element », c’est-à-dire la plus petite partie du volume fabriqué par une imprimante 3D. Pour être situé dans un espace en trois dimensions, le voxel n’a pour autant aucune dimension physique dans l’absolu, il faut également prendre en considération les caractéristiques matérielles de l’appareil qui va fabriquer l’objet en volume pour lui donner des dimensions, une densité, etc. Le passage à cette phase en impression tridimensionnelle se fait sur un logiciel appelé « trancheur » qui va segmenter le fichier numérique constitué de courbes vectorielles pour en faire un « amas » de points disposés linéairement selon un « chemin » qui est celui que va parcourir la buse d’impression 3D pour fabriquer l’objet.

3.3 L’hylotomie de la fourchette

Mais ne nous y trompons pas, l’accumulation des points en une surface unique ne saurait constituer pour autant, techniquement, une unité technique, quand bien même nous parviendrions à une précision « atomique » ou « infra-atomique » de l’impression tridimensionnelle. L’unité matérielle ne doit pas être confondue avec l’unité analytique, technique. Si l’on prend, par exemple, un objet usuel comme une fourchette, généralement constituée d’un seul et même tenant, d’une seule et même matière. Ce n’est pas pour autant, s’agissant d’une version en impression tridimensionnelle ou pas, que cette apparente unité matérielle (doublée d’une unité « conceptuelle » dénommée « fourchette ») n’est pas constituée d’unités techniques analytiquement distinctes, correspondant chacune à des utilités techniques différentes : d’un côté un « manche » permet la prise et sa platitude d’en assurer le maintien (par opposition à un manche rond qui produirait possiblement une rotation) ; de l’autre, une succession de pointes alignées permettent de piquer un aliment pour s’en saisir. Les deux extrémités sont reliées entre elles par une forme intermédiaire dont toutes les dimensions sont également utiles : l’épaisseur est généralement conditionnée à un souci d’allègement, de moindre encombrement, d’optimisation dans la consommation de la matière dont la fourchette est constituée et d’équilibre de l’ensemble de la pièce ; le plat du manche est discrètement une utilité car il contribue à fixer la prise ; la longueur est adaptée à la distance entre l’assiette et la bouche tandis que la largeur compense progressivement la « largeur utile » de l’une des extrémités (la largeur du manche par exemple) pour s’adapter à la largeur également utile de l’autre extrémité (la largeur des trois ou quatre « dents » de la fourchette adaptée notamment à l’ouverture de la bouche). Par conséquent, nonobstant l’évidente « mono-matérialité » de la fourchette, qui pourrait en faire un objet « hylotome », au même titre que toute production issue d’un processus d’impression tridimensionnelle, on a affaire analytiquement à un ensemble de « matériaux » différents, à des segments analytiquement distincts assemblés de manière optimale [56] dans un seul et même objet formel, que le modèle ergologique désigne sous le terme d’hylotomie [57]. C’est le cas également d’un grand nombre de pièces imprimées en trois dimensions qui doivent réaliser, outre l’apparence formelle d’un objet, différentes propriétés, dont la fragilité programmable peut également être un argument économique [58].

3.4 La polytélie du « point » d’impression

Pour qu’un point puisse être uniformément le même « point » partout (ce à quoi est techniquement « contrainte » l’impression tridimensionnelle) sans que cela ne pose problème, cela suppose que les propriétés d’un objet soient basées sur une qualité utile minimale extensible à l’ensemble de la pièce. Chaque pièce aura donc la solidité (relative) de sa partie la plus fragile. Prendre en considération cet aspect, c’est envisager une forme de combinaison de fins co-présentes au sein d’un dispositif. Si cela ne change rien en son principe par rapport à d’autres objets produits selon d’autres procédés (moulage, taille, etc.), il est fréquent de recourir à une « polymatérialité » dans la constitution d’un objet par assemblage, pour faire bénéficier un objet de propriétés différentes qui ne se réalisent pas dans la même « matière ». La gageure, pour l’impression tridimensionnelle, est de réussir à réaliser toutes les propriétés requises par l’objet à partir de la même matière. Mais le traitement différent appliqué à cette même « matière », positive, identique au départ dans l’enrouleur de filament à l’entrée de l’imprimante, doit être différent. Si techniquement l’appareillage n’est capable que de produire de manière contrôlée le même type de point (mêmes dimensions, mêmes propriétés de résistance, etc.), il en ressort que l’objet produit sera qualitativement « surdimensionné », c’est-à-dire d’une qualité excessive puisqu’elle se situera bien au-delà du minimum requis à tel endroit parce qu’elle devra avoir cette qualité supplémentaire à un autre endroit de la pièce. Deux points réalisés exactement dans les mêmes conditions, mais situés à un endroit différent, ne vont pas avoir analytiquement la même place. Toutes les parties d’une pièce ne sont pas soumises aux mêmes contraintes de tension ou de torsion, aux mêmes risques de rupture, à la même exposition à la chaleur ou au froid, etc.. C’est également le cas de la majeure partie des objets produits par usinage, moulage, quels que soient les procédés en cause. Le moulage ne dispose que de l’épaisseur pour moduler les propriétés de sa matière « uniforme » et tout le travail « numérique » invisible des algorithmes peut précisément consister à optimiser cet aspect-là de l’objet même si le résultat final ne semble pas « numérique ». On pourrait dire exactement la même chose de la production de fromage ou de toute autre produit manufacturé, par le contrôle exercé sur les données qualitatives et quantitatives de tel ou tel aspect du processus. Méfions-nous néanmoins d’inférer une propriété « résistance » qui serait universelle et valable dans l’absolu (ou pareillement un seuil de « fragilité » ou toute autre propriété dite « mécanique ») car « l’analyse » de la pièce, au sens de sa mise à l’épreuve par ce principe de réalité qu’est la manipulation effective, ne cesse jamais, bien que l’on considère habituellement que la fabrication correspond positivement à une phase temporellement définie avant la « mise en circulation » de l’objet auprès, socialement, d’une autre catégorie d’usagers qui n’est plus le producteur mais l’utilisateur. Si cela en a toutes les apparences, en cela que l’on dépasse le niveau de précision habituel d’un objet manufacturé, on ne se situe pas pour autant à une échelle « moléculaire », le « point » produit par l’imprimante d’objets tridimensionnels amalgame des particules moléculaires. Et quand bien même nous aurions coïncidence matérielle entre l’élaboration d’un « point » imprimé en trois dimensions et un assemblage réalisé à l’échelle moléculaire (qui demeure une perspective possible en termes, entrepreneuriaux, de « Recherche & Développement »), nous serions néanmoins dans deux univers certes effectivement coïncidant mais néanmoins structuralement distincts entre d’une part, la mise en œuvre d’une dialectique technico-industrielle et, d’autre part, le résultat de cette analyse.

3.5 Le point « utile »

Ce qui spécifie l’impression tridimensionnelle d’autres procédés de fabrication, c’est la constitution d’un volume « point par point » et non plus conçu comme un assemblage de formes préexistantes. Au-delà de ce que ce procédé de fabrication apporte en terme d’économie de « matières premières », l’enjeu réside surtout dans cette possibilité de penser autrement la fabrication d’un objet en volume. Il ne s’agit plus d’évider un plein par usinage, ni de remplir un moule avec la contrainte que l’objet soit « dé-moulable » [59]et puisse libérer la contre-forme du moule ou d’y ajouter une autre opération de coulage pour travailler « à la cire perdue », il s’agit maintenant de concevoir des pièces autrement, point par point, chaque point constituant une nouvelle unité susceptible de justifier son utilité. Une autre contrainte, invisible, est ajoutée : l’utilisation d’une seule matière doit intégrer la résistance minimale que doit assurer la partie la plus faible de la pièce. L’apparente « mono-matérialité » d’un objet oblige finalement à sur-dimensionner les propriétés mécaniques des parties les moins exposées à la contrainte pour que les parties qui y sont les plus exposées y résistent. Ce minimum utile, finalement, reste un mythe puisqu’on est « au-delà » du « minimum utile » sauf sur les parties les plus faibles. Peut-être un jour sera-t-on capable de réaliser des pièces composées sélectivement de « matières » (matériellement) différentes selon le matériau (la « propriété mécanique ») à réaliser ? Une piste pourrait être de travailler encore sur « l’optimisation topologique [60] » dont la simulation en trois dimensions peut donner visuellement un aperçu mais qui doit être couplé avec un modélisation des contraintes et des forces en jeu (pression, tension, torsion, cisaillement, etc.) pour produire, au-delà d’une image en trois dimensions composée de points de « même nature », un modèle [61] avec des densités, des transparences (bref, des « matériaux » différents) avec des matières qui seraient discrètement, mais matériellement indifféremment, identiques ou différentes.

3.6 Le minimum utile

Dans le modèle de la théorie de la médiation, il est question de « minimum utile », qui s’éprouve sur deux faces de l’outil : sur la face « fabriquante » (le moyen), l’unité mécanologique est l’engin ; sur la face « fabriquée » (la fin), l’unité téléologique est la machine. Dans ce cadre, le terme d’engin désigne la quantité de « matière utile », qui rejoint l’idée de « matériau juste nécessaire ». Gilles Le Guennec parle à cet endroit de l’engin comme étant le « ni plus ni moins de matériaux » [62]. Si l’économie de matière peut se justifier économiquement ou axiologiquement (par « ophélimité » dans le cadre d’une économie du désir dans la satisfaction de parvenir à relever un défi, ou une forme de responsabilité pécuniaire dans la gestion au plus juste d’une dépense financière), c’est ici pour des raisons strictement techniques de recherche d’un « minimum utile ». En l’occurrence, un apport supplémentaire de matière pourrait produire un autre matériau, ce qui, au-delà de n’être pas utile, peut parfois même être contre-productif, en occasionnant un surdimensionnement, une gêne, un alourdissement et une fragilisation qui peuvent constituer autant de « contre-pouvoirs » techniquement efficients mais fonctionnellement inopportuns. Le « minimum utile » évoqué ici ne s’éprouve pas économiquement mais techniquement relativement à la finalité visée. Si la contrainte d’utilité évolue, à la hausse ou à la baisse, le minimum utile s’en trouve modulé d’autant.

3.7 Le plein « utile »

L’impression tridimensionnelle « point par point » permet de concevoir autrement la fabrication en ne produisant pas de pleins inutiles, réalisant ainsi des formes beaucoup plus allégées qu’elles ne peuvent l’être lorsqu’elles sont produites par usinage d’un bloc ou par assemblages de formes, tubes ou autres sections. Cette nouvelle façon de concevoir les formes « point par point » permet, certes, de faire des économies de matière et d’alléger les pièces en créant un plein « relatif » ou un vide « structuré », sous la forme d’un remplissage en alvéoles à la manière des ruches d’abeilles, mais cette « nouvelle technologie » de conception de formes a donné aussi lieu à la réalisation de formes inédites, « contemporaines », qui sont authentiquement les produits des technologies qui les ont façonnées [63]. On parle de structures lattices pour désigner ces structures ayant l’apparence d’un treillis en trois dimensions qui, paradoxalement, par évidement de matière (parfois jusqu’à un « taux de porosité » égal à 90%), permettent parfois également d’optimiser la résistance aux contraintes qui s’exercent sur la structure tout en augmentant ses performances thermiques (meilleurs échanges thermiques par une redistribution des surfaces de contact). Elles semblent reproduire à une échelle visible la structure d’un assemblage moléculaire, mais à la différence d’une structure de type alvéolaire dont la géométrie serait appliquée systématiquement (« magiquement »), sans tenir compte de l’environnement formel (courbes, angles, etc.), la répartition des points dans l’espace d’une structure lattice peut être générée de manière « conformale » au motif, c’est-à-dire qu’elle s’efforce par exemple d’épouser les courbures d’une partie d’une pièce pour en optimiser les propriétés voulues (résistance, dissipation thermique, etc.). L’avantage de la fabrication numérique est de pouvoir matérialiser point par point toutes ces structures lattices modélisées en trois dimensions, à condition néanmoins de respecter un angle à 45 degré au-delà duquel la structure imprimée n’est plus autoportante et imposera l’utilisation de « supports (amovibles) d’impression » lorsque c’est possible (avec les contraintes afférentes au « démoulage ») pour maintenir au-dessus du vide les « points de matière » à déposer. Toutes les formes « imagées » par la modélisation 3D, découpées numériquement par le logiciel de tranchage et envoyées à l’imprimante 3D sous la forme d’un chemin d’impression peuvent complètement se fragmenter à l’impression [64].

Même si ces formes semblent relever représentativement ou iconiquement d’un « design contemporain », il ne s’agit pas ici de réaliser une structure alternativement composée de vides et de pleins pour des visées « magiques » (parce que ça fait « design ») ou « plastiques » (qui se justifieraient pour des raisons purement formelles et esthétiques) mais d’une structure qui se justifie pour des raisons empiriques : d’une part, cela allège la structure et augmente, d’autre part, la résistance mécanique de l’objet. De la même manière, à diamètre identique, un câble composée d’une multitude de filins est plus résistant à la rupture qu’un câble constitué d’un seul filin, pourtant plus massif d’apparence. On retrouve le même paradoxe dans les innovations de l’architecture métallique du XIXe siècle avec les structures triangulaires que l’on retrouve dans les halles, gares, viaducs et autres tour Eiffel. L’impression tridimensionnelle permet de réaliser finalement à l’échelle d’un objet ce que les ingénieurs et architectes ont réalisé au XIXe siècle à l’échelle bâtimentaire, paradoxalement plus abordable [65].

Chaque surface peut désormais être sélectivement fabriquée de manière à être strictement et pleinement utile, mais pour que cela advienne lors de l’impression de la pièce, c’est quelque chose qui doit être pensé en amont dès l’étape de modélisation 3D. Si la modélisation 3D est réalisée à partir de l’assemblage « virtuel » de formes pleines « standard », le résultat risque d’être classiquement une forme pleine, élaborée dans une logique « additive » traditionnelle, comme le serait un objet modelé ou assemblé. L’articulation entre les vides et les pleins à l’intérieur de la forme, pour peu qu’ils soient respectivement utiles (c’est-à-dire exclure aussi un contre-pouvoir du vide qui performanciellement affaiblirait ou rendrait partiellement inopérante une pièce), doit être intégralement repensée et mise en œuvre.

4 « Faire » le vide

4.1 Fabriquer du vide

A rebours de l’idée d’une fabrication « additive », l’innovation qui caractérise selon nous l’imprimante 3D est avant tout sa capacité à « fabriquer du vide », c’est-à-dire à ne pas remplir complètement la forme produite, contrairement à ce qu’est contraint de faire le remplissage opéré par l’opération de moulage. En effet, contrairement au moulage, qui procède par remplissage d’un moule par une matière dont l’une des propriétés est de pouvoir passer d’un état liquide à un état solide, au contact de l’air ou au terme de tout autre processus de solidification. Mais, du fait de la complexité de certaines formes à réaliser, toutes les pièces ne pourront pas être « coulées » (vocabulaire qui fait référence à un état transitoire de liquidité a priori éloigné de l’aspect solide de l’objet final) en une seule pièce, ce qui obligera à produire deux pièces qui seront assemblées entre elles. Pour réaliser une pièce complexe, on va fabriquer un moule en deux parties qui sera conçu de manière à pouvoir être « rempli d’un plein ». Un rapport d’opposition se met en place puisque ce plein constituera, en négatif, le vide de la forme finale, une fois qu’aura été coulée ou injectée la matière qui va remplir ce vide. C’est par l’assemblage des deux parties aux formes complémentaires que l’on va pouvoir fabriquer les pleins de matière et les vides utiles (au passage d’un écrou, à la manœuvre d’un piston, à la constitution d’une chambre dans le moteur à explosion, etc.). On retrouve régulièrement dans les différentes techniques d’impression ce principe d’opposition entre le plein et le vide, réalisé par des matières qui s’excluent mutuellement par un principe technique de non-adhérence [66]. L’impression 3D permet de dépasser certaines limites des procédés traditionnels habituels, qu’ils soient dits « additifs » ou « soustractifs » puisqu’elle va procéder par dépôt stratigraphique de matière qui va produire une forme qui s’élèvera progressivement de bas en haut ou de haut en bas selon le procédé utilisé. Si le dépôt de matière est un flux continu qui conduit à fabriquer un objet monolithiquement constitué « d’une seule pièce » dans l’impression par dépôt de fil fondu, les possibilités sont radicalement différentes dans d’autres procédés de fabrication pourtant regroupés sous la même appellation de « fabrication additive », notamment la technologie de frittage sélectif, dans laquelle un faisceau laser agglomère sans fusion des grains de poudre céramique ou métallique. La possibilité de former à l’impression des intervalles vides qui vont pouvoir constituer, notamment, des structures alvéolaires qui permettront, sous réserve de tenir compte des contraintes mécaniques auxquelles la pièce sera soumise, d’alléger la pièce d’une matière « indissociablement pleine » lorsqu’il s’agit de remplir un moule.

4.2 Supporter le vide

La contrainte du pochoir est connue qui consiste à tenir assemblées toutes les parties d’une lettre par exemple. Si l’on souhaite faire le pochoir des lettres « X », « Y » ou « Z » par exemple, il suffit d’évider le contenu occupé par l’encre pour ensuite la reproduire, par tamponnage si on utilise une brosse plate, par pulvérisation si on utilise une bombe aérosol ou par raclage dans le cas de l’application d’une encre sur un écran de sérigraphie. Mais certaines lettres ne peuvent être reproduites par le procédé du pochoir sans un aménagement particulier, qui va transformer la configuration-même de la lettre. C’est le cas par exemple du « A » ou du « O » et de toutes les lettres qui comportent une partie intérieure « flottante » qui, n ‘étant plus reliée à rien, ne peut se maintenir de manière sécurisée et garantie, au centre de la lettre, sauf manipulation laborieuse de maintien, mais pour lequel le respect des distances à l’égard du bord n’est plus techniquement assurée. Pour pallier ce problème, il existe donc des polices typographiques « pochoir » spécifiquement aménagées pour maintenir une solidarité entre toutes les parties du caractère typographique, générant ainsi une esthétique typographique spécifique du lettrage destiné - par découpe - à un traitement au pochoir ou tout simplement pour convoquer / évoquer (« dénoter » diraient les sémiologues) la technique du pochoir dans l’affichage du lettrage. Si, dans le rapport au pochoir découpé, certaines formes flottantes ne peuvent donc « faire écran » quand elles sont désolidarisées de la contre-forme extérieure au lettrage qu’elles doivent protéger de l’impression ou de la projection, la sérigraphie permet de réaliser cette fixation intégrale du pochoir sur la trame du tissu sérigraphique, rendu « invisible » à l’impression par la liquidité de l’encre qui se ré-homogénéise après le passage à travers les mailles. Le « vide » et le « plein » ne constituent donc pas des réalités en soi. Même un vide « pur » est un vide techniquement construit. Chaque procédé technique produit et réaménage le « vide » et le « plein » à l’aulne des dispositifs qu’il mobilise et agence. Le « vide » et le « plein » n’ont même de réalité qu’oppositionnelle, le vide étant ce que n’est pas le plein, quelles qu’en soient les périmètres respectifs. Dans le cadre de l’impression tridimensionnelle, on retrouve cette limite liée à la forme « flottante » que nous évoquions dans le rapport au pochoir. En effet, si on peut choisir de ne pas appliquer de la matière partout, celle qui est appliquée par dépôt dans l’impression tridimensionnelle doit pouvoir se soumettre à la contrainte gravitationnelle (terrestre), autrement dit elle doit reposer sur quelque chose ou être suspendue à quelque chose. Il n’est pas possible de poser de la matière sur du vide. Le vide « final » est obtenu artificiellement par l’adjonction de « supports », imprimés en même temps que la forme à imprimer et supprimés à l’issue de l’impression. On retrouve ces mêmes contraintes tectoniques en architecture, où il faut prévoir, ne serait-ce que transitoirement, le temps du chantier, au moment du coulage du béton, une structure porteuse le temps qu’un porte-à-faux puisse être solidifié et réaliser son « auto-portance » par l’action conjointe de l’armature métallique et du béton pétrifié. Le « support » de l’impression tridimensionnelle est donc l’équivalent ici du coffrage qui est démonté à l’issue du séchage, c’est-à-dire de la solidification qui génère une « transsubstantiation », ou plus exactement un changement de matériau, le ciment liquide n’ayant plus les mêmes propriétés que le ciment solidifié, même s’il en conserve par ailleurs certaines traces.

4.3 Le champignon et le pont

Si l’imprimante d’objets tridimensionnels permet de fabriquer autrement des objets réalisés par injection-moulage ou taille, elle promeut aussi de nouvelles formes irréalisables par d’autres procédés techniques, voire simplement « impensables » auparavant, bien que rien n’empêchât qu’elles soient imaginées. Mais il existe également des types de formes « impossibles » à réaliser en impression tridimensionnelle, comme par exemple la forme du champignon et le pont, qui présentent un porte-à-faux que l’impression ne peut supporter dès lors que l’angle est supérieur à 45°. Cette limite, réelle et contraignante, en impression tridimensionnelle peut néanmoins être aisément surmontée grâce à au dispositif de « supports » évoqué précédemment qui vont être « imprimés » en même temps que la forme définitive mais en y ajoutant un pouvoir de fragilité qui va permettre, une fois l’étape de « sustention » réalisée, de séparer le « support » pour libérer la forme de cette prothèse temporaire mais néanmoins indispensable à sa production. Les supports réalisés pour l’impression 3D trouvent leurs équivalents dans certaines formes de moulage par injection dans lesquelles on voit des pièces solidairement reliées entre elles au moment de leur réalisation. Parfois elles ne sont pas séparées tout de suite, ce qui permet en outre de garantir qu’elles soient toutes présentes si elles sont toutes et exclusivement complémentaires les unes des autres, dans le cas de la commercialisation d’un objet en pièce détachées par exemple. Dans un autre registre, économique, cela permet également d’économiser cette manipulation de désolidarisation des pièces et d’un éventuel reconditionnement destiné à réassurer l’unité des pièces nécessaires à l’assemblage.

4.4 Un vide plein ?

Le procédé d’impression 3D par stéréolithographie est une technique d’impression tridimensionnelle dite « de bain ». « L’objet à réaliser est solidifié par un laser dans un bac de résine photo-polymérisable liquide (qui réagit et durcit à la lumière UV produite par le laser) [67] ». Cette technologie va donc devoir composer avec la contrainte d’un « vide » tout relatif, dans la mesure où le durcissement contrôlé de la résine à l’intérieur du bac rempli de résine va générer également un problème, dit « de volume piégé », équivalent au problème de la forme flottante dans la réalisation de certaines formes au pochoir. Le principe de l’impression stéréolithographique est un bain de résine dont certains points vont se trouver sélectivement solidifiés par l’effet de « ponctuation » d’un faisceau laser. Si l’on souhaite par exemple modéliser un objet en forme d’œuf, la résine non solidifiée qui se trouve à l’intérieur va se retrouver prisonnière une fois l’enveloppe externe solidifiée et ne pourra être évacuée lors du « rinçage » de la forme finale et le mélange de résine non polymérisée situé à l’intérieur de l’enveloppe ne pourra pas non plus être dissout par le solvant de nettoyage. On se retrouve ici avec un vide de « forme utile » (la matière solidifiée) et un plein inutile, voire contreproductif (la matière emprisonnée à l’intérieur de la forme hermétiquement close). Ce que l’on appelle une technologie « additive » ici suppose une « soustraction » du bain de substrat de résine originel.

Un autre procédé d’impression tridimensionnelle, dit procédé de frittage de poudre « SLM » pour « Selective Laser Melting » [68], ne fonctionne pas non plus selon un vide initial qui serait « rempli » ou « additionné » par un apport de matière comme cela peut s’observer dans le procédé de fusion d’un filament FDM. Le procédé SLM consiste à disposer dans un bac une poudre métallique, de titane par exemple. Un faisceau laser va sélectivement fusionner, « point par point », les fines particules de poudre situées à l’intersection des coordonnées X, Y et Z de la forme géométrique à fabriquer. Il n’y a donc pas de passage d’un « vide » à un « plein » de particules, mais des particules qui vont sélectivement s’amalgamer, ou pas, selon les données contenues dans le fichier informatique sur la base duquel est réalisée la forme à produire. Il n’y a donc pas « d’addition de matière » mais plutôt production d’une « autre matière » à partir d’une matière « première », dotée de nouvelles propriétés consécutivement à la phase de « cuisson ». Comme dans l’exemple précédent, on retrouve ici le problème du « volume piégé » puisqu’une partie de la poudre non solidifiée se retrouve également prisonnière à l’intérieur d’une forme pleine si l’on n’a pas pris garde de ménager un vide pour l’évacuer. Cette béance pourra être éventuellement comblée, par soudure ou par un autre procédé, si nécessaire.

Comme pour « l’unité minimale utile de représentation » qu’est le pixel (picture element) qui est constitué de plusieurs unités techniques élémentaires (les composants R, V ou B), le voxel (le volume minimal utile) se trouve être lui-même composé ici de plusieurs unités techniques élémentaires (les « nano-grains », c’est-à-dire une granularité produite à une échelle nanométrique, de poudre céramique ou métallique). Un des intérêts du procédé DMLS [69], outre qu’il permet de fabriquer des pièces métalliques dotées d’importantes résistances mécaniques, destinées par exemple à l’industrie aéronautique, inaccessibles aux procédés à dépôt de filament plastiques FDM, c’est également qu’il permet de réaliser sans « supports » des parties « suspendues » dans le « vide », un peu comme si on matérialisait une image holographique à partir de molécules en suspension dans l’air (ce qui, même en l’absence de substance visible, n’est pas physiquement du « vide »). Le « cheminement » du point de cuisson, déterminé par le fichier numérique, impose simplement d’être toujours solidaire du corps de la pièce en cours de fabrication, faute de quoi elle se détache de l’ensemble et ne peut plus être ré-amalgamée à l’ensemble de la pièce. La notion de vide est inopérante dans l’observation de ce procédé d’impression et il convient même de « faire le vide » une fois la pièce produite, car elle est immergée dans un tas de poudre non fusionnée. Un évidemment par nettoyage, par gravitation ou aspiration, s’impose pour débarrasser la pièce de la matière non-utilisée et pour que les parties qui ne sont pas destinées à être pleines soient effectivement évidées de la poudre non-utile.

4.5 Désubstancialiser le « vide » !

Sans aller jusqu’à dire que le vide est une invention récente, il est néanmoins au principe même de la technique, au sens de rationalité cognitive spécifiquement humaine. Les « vides » que nous connaissons sont des vides techniquement produits, qui ont peu à voir avec un « rien », paradoxalement « substantialiste », empiriquement constaté sur la base d’une absence matérielle d’une matière, dont la physique conteste déjà l’évidence. Nous avons déjà évoqué la question de ce « vide utile » dans l’écran de projection cinématographique [70]. Pareillement dans le rapport à l’organisation du travail, l’invention du « plan de travail », c’est-à-dire le fait de disposer d’un espace disponible pour faire, d’une espace qui ne soit pas encombré d’objets inertes qui entraveraient une liberté de mouvement et d’action, procède d’une opération consistant généralement « à faire le vide » qui, spontanément, est rarement réalisé et qui empêche déjà d’agir dans certains cas. Le « vide » n’est pas quelque chose d’universel mais il est le résultat d’une élaboration technique, qui peut s’analyser qualitativement et quantitativement : de quel type de vide a-t-on besoin, et de combien de vide (surface, volume) doit-on disposer pour que cela techniquement « fonctionne » ? Il ne s’agit pas d’être positiviste au point de faire du vide simplement l’absence d’un « plein » matériel. Ce serait être victime de la même illusion, inversée, finalement positive, puisque c’est leur opposition qui fait exister et un « vide » et un « plein » ainsi conçus. Il s’agirait peut-être d’envisager autrement ce « plein » et ce « vide » pour considérer qu’il n’est de plein que d’un certain type de vide et inversement. Le vide dont il est question ici n’est pas le vide d’air que l’on peut être amené à produire avec les équipements des physiciens. Ce vide « problématique » n’est-il pas finalement une forme de matérialisation du principe même de l’abstraction, qui fait qu’il y a une frontière discrète entre un « quelque chose » et un « quelque chose d’autre » par-delà un continuum naturel indifférencié ? Pour substituer à une approche « substantialiste » matérielle une approche analytique technique, il convient non seulement de désubstancialiser le vide mais également désubstancialiser le plein, fut-il réduit à sa plus simple expression sous la forme d’un « point » minimal de matière. Deux « points » de matière, c’est-à-dire deux « voxels », accolés pourraient tout à fait relever chacun d’une utilité différente, le cas échéant révélée accidentellement par une rupture, si une tension devait se jouer entre deux fonctions soumises à une pression inappropriée (comme c’est parfois le cas dans l’utilisation d’une fourchette en plastique, qui montre une fragilité là où aurait dû se manifester une quantité de matière minimale mais suffisante). L’unité matérielle ne préjuge pas d’une unité analytique, fonctionnelle (les propriétés mécaniques nécessaires à la prise assurée par le manche ne sont pas exactement les mêmes que celles requises pour assurer la solidité des dents) pas plus qu’une diversité matérielle ne doit induire une unité fonctionnelle (le vidéoprojecteur et l’écran, pour être deux éléments matériels effectivement distincts, constituent néanmoins un seul et unique dispositif technique unitaire de projection).

Perspectives

Cet article à visée exploratoire nous a ouvert quelques pistes de réflexion qu’il va falloir maintenant étudier de manière plus approfondie. Nous avons identifié quelques objets que nous allons entreprendre d’analyser et envisageons pour cela de mobiliser pour cela différentes méthodes. Equivalent, mutatis mutandis, de l’immersion distanciée opérée par le sociologue dans la société qu’il étudie, la technique requiert d’être analysée à l’endroit et au moment même où elle se manifeste, c’est-à-dire dans le cadre d’une manipulation. Le terme d’auturgie [71], utilisée en archéologie, peut être ici convoqué, qui invite, comme il est d’usage également dans le champ professionnel de l’enseignement des Arts plastiques, à analyser la pratique par la pratique. C’est l’une des garanties qui permet d’éviter l’écueil d’une « philosophie de la technique » ou toute autre forme de spéculation théorique sans résistance ni lieu de vérification, et d’éventuelle infirmation, des affirmations ou hypothèses posées. C’est pourquoi nous envisageons de prolonger cette première exploration par l’organisation d’ateliers, que nous dénommerons « Ateliers de Raisonnement Technique [72] » ou « ART », déclinés en sessions de « FabQuest » visant à questionner sous différents aspects les processus en cause dans la fabrication [73]. Un protocole est en cours d’élaboration à ce sujet.

Ces premiers questionnements et réflexions nous amènent également à poser quelques hypothèses que nous approfondirons, à la fois au cours de ces ateliers mais également dans le cadre d’un travail de recherche :

  • Le terme de « laboratoire » contenu dans l’expression « laboratoire de fabrication » repose sur une dimension expérimentale qui n’est pas d’ordre scientifique mais expérientielle. Autrement dit, bien que l’utilisation du terme « laboratoire » semble inscrire les FabLab dans le registre de la scientificité, ce qui est en jeu concernerait davantage l’attention portée à des procédures, à des méthodes et à des stratégies qu’à des processus en cause dans l’analyse de l’activité technique outillée.
  • Le recours à des technologies dites « numériques » ne modifie pas le processus technique de fabrication.
  • Les dispositifs qualifiés de « technologies numériques » constituent un « ensemble de phénomènes hétérogènes et hétéroclites ».
  • Le rapport des utilisateurs à la fabrication ne diffère pas, que l’on utilise des dispositifs techniques réputés être « numériques » ou pas.
  • La tension initialement posée - et souvent admise - entre un « virtuel » et un « réel » est principalement le résultat d’une construction, notamment technique.
  • La « virtualité » généralement associée au « numérique » est de l’ordre du mythe (et/ou de la magie), le codage et les algorithmes mathématiques résultant d’une production technique.

Le fait de distinguer plusieurs acceptions du terme « fabrication » nous amène également à formuler quelques hypothèses supplémentaires :

  • La « fabrication » en cause dans les « laboratoires de fabrication » vise à atteindre une forme d’efficacité opérationnelle, valorisée socialement, mais contradictoire avec une analyse objectivée des processus en cause dans la fabrication.
  • L’enjeu central « FabLab » comme « laboratoires de fabrication » relèverait davantage socio-artistiquement de la « confection » et du partage de pratiques et de connaissances que techniquement (« ergologiquement ») d’un « laboratoire » de la « fabrication ».

La fabrication numérique qui est mise en avant dans les laboratoires de fabrication numérique demandera donc à être à la fois contextualisée et déconstruite au cours de cette recherche. Ces premières réflexions, principalement issues de l’observation de l’utilisation d’imprimantes 3D dans des « laboratoires de fabrication », contribuent néanmoins à élaborer le cadre d’une démarche de recherche qui questionnera de manière centrale le positionnement des pratiques, des usages, de la technique et de la fabrication à l’ère, dite, du « numérique » et de la « dématérialisation ».

Références bibliographiques

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Balut, P.-Y., Bruneau, P. (1997). Artistique et archéologie. Paris : Presses de l’Université de Paris-Sorbonne.

Brayer, M.-A. (dir.), 2017. Imprimer le monde, Catalogue de l’exposition, Paris : éditions HYX.

Brument, F., Campagnoli, M. (2016). Impression 3D, l’usine du futur, Paris : Dunod.

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Gagnepain, J. (1982). Du vouloir dire, du signe, de l’outil, Paris : Pergamon Press. (Réed. 1990, Paris : Livre et Communication et, pour l’édition numérique, 2016, Matecoulon-Montpeyroux : Institut Jean Gagnepain).

Lefort, T. (2003), De l’écran à l’œuvre, matérialité et virtualité de l’image et de l’écran, thèse de doctorat, Université Marc Bloch Strasbourg 2 : Strasbourg.

Le Guennec, G. (2015). La fabrication en question, anti-manuel de la production artistique, Rennes : Les éditions du possible.


Notes

[1https://www.makershop.fr/content/42-guide-impression-3d (dernière consultation le 27/03/2018).

[2Anderson, C. (2012). Makers. La nouvelle révolution industrielle. Montreuil : Pearson.

[3Néologisme construit à partir du latin disruptum pour désigner un « technologie de rupture », c’est-à-dire une technologie qui rompt avec les technologies antérieures.

[4Brument, F., Campagnoli, M. (2016). Impression 3D, l’usine du futur, Paris : Dunod.

[5Il existe des services d’impression en ligne d’objets modélisés en trois dimensions (Sculpteo (2009), 3-D Printed Products Store d’Amazon (2014), etc.) mais également dans les grandes agglomérations des magasins d’impression 3D, semblables aux boutiques de reprographie permettant de photocopier et d’imprimer des documents.

[6La notion de « tiers lieu » (« The Third place  ») a été développée par Ray Oldenburg, professeur de sociologie de l’Université américaine de Pensacola (Floride) : Oldenburg, R. (1999). The great good place : cafés, coffee shops, bookstores, bars, hair salons, and other hangouts at the heart of a community, New-York : Marlowe. Cette notion de « tiers-lieu » mériterait, au passage, d’être déconstruite car ces deux conditions que sont le « hors cadre professionnel » et le « hors cadre privé » ne suffisent pas pour en faire un cadre également institutionnel, même si les contours sont informels.

[7C’est le cas de l’EduLab, FabLab à vocation éducative implanté au sein de l’Université Rennes 2 https://edulab.univ-rennes2.fr/ (dernière consultation le 10/04/2018).

[8C’est également le cas sur Rennes du LabFab installé au sein de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts (ENSAB), qui fait partie du réseau des LabFab rennais qu’a rejoint l’EduLab de l’Université Rennes 2 http://www.labfab.fr (dernière consultation le 10/04/2018).

[9Bruneau, P., Balut, P.-Y. (1997). Artistique et archéologie, Paris : Presses de l’Université Paris-Sorbonne, p. 144.

[10Article « atelier », sur le site web du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL).

[11La distinction sociale opérée entre activités artistiques et activités artisanales, si elle se justifie socio-professionnellement en termes de périmètre et de métiers, n’a pas de fondement relativement à l’activité technique, qui peut être strictement de même nature.

[12Il est intéressant de noter que c’est le terme « d’atelier » que l’entreprise américaine Google a choisi d’utiliser pour implanter à Rennes le vendredi 8 juin 2018 son premier espace (au monde) présenté comme un espace dédié à la « découverte » par le grand public de ces « outils qui participent à la construction d’une nouvelle économie et de nouveaux services » (article de la presse quotidienne régionale Ouest-France du 8 juin 2018, accessible en ligne à cette adresse : https://www.ouest-france.fr/bretagne/rennes-35000/rennes-google-inaugure-son-premier-atelier-du-numerique-en-france-et-dans-le-monde-5811620).

[13On parle de « design pédagogique » pour décrire la phase de conception d’un scénario pédagogique, voire même de « design de services » pour évoquer, axiologiquement par euphémisme, la redéfinition des périmètres professionnels par des cabinets d’expertise et de conseil agissant en vertu de critères managériaux.

[14animés par des « makers », c’est-à-dire des « faiseurs » au sens de bricoleurs.

[15Apparu entre 2009 et 2010, un « repair café (littéralement café de réparation) est un atelier consacré à la réparation d’objets et organisé à un niveau local sous forme de tiers-lieu, entre les personnes qui habitent ou fréquentent le même endroit (un quartier ou un village par exemple). » Article « Repair Café » sur l’encyclopédie collaborative en ligne Wikipédia, dernière consultation le 29 novembre 2018. https://fr.wikipedia.org/wiki/Repair_Café

[16… et peut-être également l’enjeu pour les multinationales comme Google ou Apple de contrebalancer l’implantation de ces espaces qui font potentiellement la promotion de systèmes libres et de technologies alternatives.

[17Brument, F. et S. Laugier, S. (2017). « Digital Crafts : Taïwan Edition 2014 », Studio In-flexions, in Objectiver, Paris : Ecole Supérieure d’Arts et Design, p. 81.

[18Dans la doxa, il y aurait d’un côté les aspects « techniques », qui relèveraient des sciences de la nature et en particulier de la physique, et de l’autre les aspects « humains », qui relèveraient des sciences humaines (sociologie, psychologie, linguistique, etc.).

[19Ellul, J. (1954). La Technique : l’Enjeu du siècle. Paris : Armand Colin.

[20Simondon, G. (1958). Du mode d’existence des objets techniques. Paris : Editions Aubier-Montaigne ainsi que Simondon, G. (2014). Sur la technique. Paris : PUF.

[21Heidegger, M. (1993). Essais et conférences, La question de la technique. Paris : Gallimard, p. 9-48.

[22Habermas, J. (1973). La technique et la science comme « idéologie ». Paris : Gallimard.

[23De Certeau, M. (1990). L’invention du quotidien, 1. : Arts de faire, 2. : Habiter, cuisiner. Paris : Gallimard.

[24Rabardel, P. (1995). Les hommes et les technologies, une approche cognitive des instruments contemporains. Paris : Armand Colin.

[25Denis, J. (2009). Une autre sociologie des usages ? Pistes et postures pour l’étude des chaînes sociotechniques. HALSHS. p. 5. Source : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00641283/document, dernière consultation le 20 décembre 2018.

[26idem, p. 5.

[27Gagnepain, J. (1982). Du vouloir dire, du signe, de l’outil, Paris : Pergamon Press. (Réed. 1990, Paris : Livre et Communication et, pour l’édition numérique, 2016, Matecoulon-Montpeyroux : Institut Jean Gagnepain).

[28Conférence TED de Neil Gershenfeld dans laquelle il expose son propos (sous-titrage en français) :

https://www.ted.com/talks/neil_gershenfeld_on_fab_labs/transcript?language=fr

[29Anderson, C. (2012). Makers, la nouvelle révolution industrielle, Paris : Pearson.

[30Cette tendance du Do it yourself a été largement « ré-institutionnalisée » depuis, en devenant un nouveau mode de (sur)consommation axé sur l’individualisation et la personnalisation.

[31On notera la paradoxale postérité et la modernité de ce mode de consommation, porté par une communauté dont le slogan emblématique était : « no future » !

[32Je remercie Patrice Gaborieau d’avoir attiré mon attention sur cette proximité sémantique.

[33Balut, P.-Y. (2013). A propos de l’image, communication prononcée lors des Rencontres de l’Archéologie GEnérale (RAGE), Université d’été 2013 du département d’Archéologie Moderne et Contemporaine de l’Université Paris IV Sorbonne (inédit).

[34Lacan, J. (1986). L’éthique de la psychanalyse, Séminaire 1959-1960, Paris : Seuil, p. 162.

[35De Saussure, F. (1916). Cours de linguistique générale, Paris : Payot.

[36Inversement, le « fabriqué » trouvera dans le moyen son critère d’analyse dans l’autre face de l’outil, c’est-à-dire le moyen, tout comme le « signifié » trouvera son critère d’analyse dans l’autre face du langage, c’est-à-dire dans le son du langage.

[37Le Guennec, G. (2015). La fabrication en question, anti-manuel de la production artistique, Rennes : Les éditions du possible, p. 45.

[38Et que dire de ce menuisier qui est parvenu à découper une planche de bois avec scie circulaire qui utilise une feuille de papier comme disque tranchant : https://www.youtube.com/watch?v=rYfkhdKcEiE (dernière consultation le 12/04/18).

[39Le Guennec, G. (2015). La fabrication en question, anti-manuel de la production artistique, Rennes : Les éditions du possible, p. 54.

[40Brument, F., Campagnoli, M. (2016). Impression 3D, l’usine du futur, Paris : Dunod, p. 20.

[41Pour « Fused Deposing Modeling » (« modelage par dépôt de matière fondue »).

[42Pour « Glass 3D Printing » (« impression 3D à base de verre »).

[43Ces trois paramètres sont mathématiquement outillés selon des coordonnées respectivement X, Y et Z qui permettent de paramétrer la translation d’un point d’origine dans un espace euclidien, par conséquent « relatif ».

[44Réalisant le fantasme prométhéen auquel aspire l’intelligence artificielle dans la littérature d’anticipation, l’un des objectifs visé lors de la mise en service par le professeur Adrian Bowyer des premières imprimantes « RepRap » étaient qu’elles soient capables de s’auto-répliquer. « RepRap takes the form of a free desktop 3D printer capable of printing plastic objects. Since many parts of RepRap are made from plastic and RepRap prints those parts, RepRap self-replicates by making a kit of itself - a kit that anyone can assemble given time and materials. » Ces imprimantes sont « open source », c’est-à-dire que les codes sont librement utilisables à des fins non-commerciales et non pas protégés par des brevets : « RepRap is about making self-replicating machines, and making them freely available for the benefit of everyone. »

Sources : http://reprap.org, dernière consultation le 10/04/18.

[45Le terme « duplication » signifiant lui-même étymologiquement « doubler » (Dictionnaire Littré, article « dupliquer »), mais usuellement il s’applique pour toute forme de reproduction.

[46Sophie Fréto parle de « procédés de réplication », , article « Réplication numérique, entre persistances d’anciens modèles industriels et impulsions créatives », in Brayer, M.-A. (dir.), 2017. Imprimer le monde, Catalogue de l’exposition, Paris : éditions HYX.

[47Brument, F., et Laugier, S. (2017). « Digital Crafts : Taïwan Edition 2014 », Studio In-flexions, in Objectiver, Paris : Ecole Supérieure d’Arts et Design, p. 80.

[48Il n’est pas inutile de souligner que cette matière dite « première » est déjà le résultat d’une analyse technique quantitative, une unité de moyen déjà pré-élaborée que l’on peut appeler « engin », et qui n’est donc pas « première » au sens où elle serait antérieure à toute analyse technique. Celle matière n’est « première » que dans un circuit économique où prévalent des notions de valorisation et de plus-value, qui conduit à « naturaliser » une matière qui est déjà le fruit d’une élaboration technique parfois complexe.

[49Dont le nom complet est « StereoLithography Apparatus », abrégé en « SLA ».

[50Le PLA (pour Acide Polylactique) est une matière « plastique » polymère d’origine biologique, qui peut être produite notamment à partir d’amidon de maïs et présente la propriété d’être biodégradable.

[51L’ABS est un polymère thermoplastique de synthèse. Il est couramment utilisé pour réaliser des jouets ou des pièces d’appareils informatiques ou électroménagers, obtenus par injection dans un moule.

[52« Pixel » signifie « picture element », c’est-à-dire « l’élément minimal » constitutif de l’image matricielle. Les pixels se différencient les uns aux autres et peuvent prendre chacun une valeur différente des autres, sur une échelle plus ou moins grande selon la « profondeur » d’encodage.

[53LED, acronyme anglophone de « Diodes électroluminescentes ».

[54A ce propos, il est intéressant de noter que si c’est le brevet déposé par Charles Hutt le 8 août 1984 qui lui attribue la paternité de l’impression 3D aux yeux du grand public, ce sont des ingénieurs français, Alain Le Méhauté (Compagnie Générale d’Electricité, aujourd’hui Alcatel-Alsthom, Centre de Recherche Marcoussis), Olivier de Witte (CILAS) et Jean-Claude André (CNRS) qui ont déposé, le 16 juillet de la même année, un brevet décrivant un dispositif permettant de réaliser une pièce imprimée en 3 dimensions basé sur la technologie des tables traçantes qui imprimaient en 2 dimensions à l’aide d’un faisceau laser. Ce brevet n’ayant pas été jugé économiquement viable par Alcatel-Alsthom et la société CILAS, il a été abandonné.

[55Cf. Dans le champ de la conservation et la restauration des œuvres d’art, les techniques d’enregistrement des informations relatives au volume d’une toile peinte ont aujourd’hui évolué. Auparavant, le relevé était réalisé photographiquement en lumière rasante pour faire apparaître les décollements et autres irrégularités de surface. Désormais, le relevé est effectué en trois dimensions par scanner laser. Ce type de traitement, que l’on aurait pu croire réservé aux sculptures, amène à considérer une toile non plus seulement comme une surface à deux dimensions mais comme un espace à trois dimensions. Non pas que cette troisième dimension du relief ait été inconnue ou inaperçue, mais il n’était techniquement pas possible de conserver ces informations autrement que par moulage, ce qui n’étais pas envisageable, du fait notamment des risques d’altération que cela faisait courir aux œuvres..

[56A nuancer cependant car l’expérience peut parfois contredire cette « efficacité optimale » estimée par le fabricant lorsque cette mono-matérialité s’avère insuffisamment dimensionnée eu égard aux contraintes subies à l’usage.

[57- « L’hylotomie désigne le fait qu’une même matière réalise des unités distinctes du fabriquant. Exemple : l’unité matérielle de la feuille de papier réalise un plan, une forme, des bords, une étendue, etc. », in Le Guennec, G. (2015). La fabrication en question, anti-manuel de la production artistique, Rennes : Les éditions du possible, p. 155.

[58C’est tout l’enjeu du débat contemporain sur « l’obsolescence programmée », qui l’est pour des raisons économiques sans justifications techniques. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la « réparabilité » des objets implique également un réaménagement en terme de segmentation, au moment de la conception de l’objet, pour permettre ou faciliter le remplacement des pièces susceptibles d’usure.

[59A cette nuance près que parmi la multitude de procédés de fabrication additive il existe aussi des compromis entre les techniques d’impression 3D et le moulage à la cire perdue par exemple. L’impression 3D peut être utilisée pour fabriquer un prototype d’objet « final » mais il arrive parfois également que l’objet produit soit un moule, destiné à fabriquer ensuite des pièces en série selon un procédé de moulage plus traditionnel.

[60Diaporama de présentation d’un Atelier de fabrication additive à l’Ecole Centrale de Nantes, par le Professeur Alain Bernard, vice-président de l’Association Française du Prototypage Rapide et fabrication additive, le 7 octobre 2016.

[61Notons ici que la notion de « modèle », que l’on retrouve dans la « modélisation » en trois dimensions, n’est pas très éloignée d’une notion axiomatique que l’on retrouve dans un « modèle théorique ». L’image modélisée en trois dimensions n’est pas une image constituée de points (contrairement à l’image « matricielle » dont les points sont identifiables et localisables sur une « carte » en deux dimensions) mais une représentation (non pas « virtuelle » mais) simulée d’une suite de vecteurs (d’où le terme « d’image vectorielle ») conventionnellement reliés pour représenter, à l’affichage, une forme dans un espace euclidien en trois dimensions.

[62« La quantité utile définit l’engin : ce cadre unitaire de la mécanologie posé en termes de ni plus ni moins de matériaux. » Gilles Le Guennec, http://www.editionsdupossible.fr/pages/u-utilite-ustensilite.html dernière consultation le 28 mars 2018.

[63Ces formes étaient, en partie pour cette raison, « impensables » ou « inexistantes » auparavant, bien que rien n’empêchât qu’elles soient imaginées et réalisées.

[64A ce propos, la distinction proposée par Jean Gagnepain entre une phase instancielle de « fabrication » et une phase performancielle de « production » (entre une étape de « conception » et une étape de « fabrication » dans le vocabulaire socioprofessionnel de l’industrie) pourrait sembler s’illustrer ici entre ce que l’on obtient « à l’écran » (qui a la réputation d’être « virtuel », comme une forme de « matérialisation » de l’abstraction), et ce que l’on obtient « à l’impression », qui serait « le réel ». Cette illustration métaphorique n’est pourtant qu’illusoire, la dialectique technico-industrielle étant intégralement à l’œuvre à la fois dans la « fabrication de l’image » sur écran et dans celle de l’objet imprimé, quelles qu’en soient les dimensions.

[65Les marges de progression pour de futures innovations sont peut-être moins dans un « au-delà » que dans un « en-deçà » de l’expérience empirique commune, à une échelle nanométrique où les propriétés mécaniques à l’œuvre ne sont d’ailleurs plus nécessairement les mêmes (Voir l’article présenté par Gilles Le Guennec (2015), op. cit., p. 41).

[66Ce processus est également au principe d’un grand nombre de procédés techniques, éventuellement investis par les pratiques plastiques. Ainsi, la lithographie repose sur un principe d’opposition entre l’eau et l’huile, mais au-delà du principe et du motif du pochoir, il y a également le principe technique de la perméabilité ou l’imperméabilité à l’encre et de ce qui constitue le pochoir, en papier lorsqu’il est utilisé dans le rapport à une pulvérisation à la bombe, ou en émulsion résistante à l’eau lorsqu’il est sur un écran de sérigraphie pour l’utilisation d’encre solubles à l’eau.

[67Brument, F., Campagnoli, M. (2016). Impression 3D, l’usine du futur, Paris : Dunod, p. 145.

[68Ces procédés peuvent également être dénommés « Laser Cusing » ou « Direct Metal Laser Sintering » (DMLS) selon les brevets industriels qui les protègent. Voir notamment Brument, F., Campagnoli, M. (2016). p. 146.

[69Voir note infra.

[70Lefort, T. (2003), De l’écran à l’œuvre, matérialité et virtualité de l’image et de l’écran, thèse de doctorat, Université Marc Bloch Strasbourg 2 : Strasbourg.

[71Balut, P.-Y., Bruneau, P. (1997). Artistique et archéologie. Paris : Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, p. 281.

[72En référence, et en hommage, aux « Grammaires élémentaires induites » initiées par Hubert GUYARD dans un rapport clinique au langage. Guyard, H. (1987). Le concept d’explication en aphasiologie. Thèse de doctorat, Université Rennes 2.

[73Cela fait suite à des échanges et à un atelier déjà mis en place avec Gilles Le Guennec à l’Université Rennes 2.


Pour citer l'article

Thierry Lefort« « La fabrication à l’ère du numérique » : les imprimantes 3D et les « laboratoires de fabrication » (FabLab) réinventent-ils notre rapport à la fabrication ? », in Tétralogiques, N°24, Processus de patrimonialisation.

URL : https://tetralogiques.fr/spip.php?article128