Attie Duval-Gombert

LIRL ; EA 2241, LAS. Professeur de Sciences du langage, Rennes 2, Université Européenne de Bretagne ; clinicienne aphasiologue, Service de neurologie, CHU Rennes.

Le monde de l’aphasique, le monde de l’atechnique


Les textes qui traitent cliniquement d’atechniques et d’atechnie, le font par référence à la théorie de la médiation, puisque historiquement c’est à elle qu’on doit cette terminologie. Il s’agit dans ces écrits de descriptions explicatives de la façon dont les patients manipulent des outillages plus ou moins sophistiqués, comme l’écrit par exemple. On y note des difficultés de gestualité dans la prise des objets, on décrit les problèmes du mode d’emploi des ustensiles ou des lettres, on note des paratechnies ou des stéréotypies et des alexies-agraphies. Les raisons de ces anomalies se trouvent expliquées par un manque ou un déséquilibre entre les axes et les faces de ce que la théorie de la médiation appelle l’analyse, ou l’abstraction de l’outil.

Cependant ces textes laissent souvent de côté la raison pour laquelle ces patients venaient consulter dans le service d’aphasiologie : les médecins demandaient une consultation lorsqu’ils constataient chez des patients des symptômes de type « manque du mot », ou « utilisation d’un mot pour un autre ».

Voyant les patients à notre tour, nous écartions le diagnostic d’aphasie, et posions celui d’atechnie, au vu d’autres symptômes, et ce faisant nous négligions d’une certaine manière cet aspect linguistique, comme si cette difficulté s’expliquait uniquement par une évidence induite par le diagnostic du trouble atechnique lui-même et comme si elle était incluse, en tant que telle, comme symptôme associé aux autres symptômes de ce trouble. Pour les observateurs que nous étions, il semblait logique que les patients eussent plus de mal à trouver des mots indiquant des objets manufacturés, qu’à trouver les noms d’animaux.

Il est pourtant un aspect dans la manière de désigner [1] de ces patients qui pose question. Ils ont beau « mal » désigner, ils n’ont pas de trouble du langage. Ils ne sont pas aphasiques. Et surtout, dans bien des situations, ils refusent de discuter avec l’interlocuteur de l’éventualité d’une autre désignation meilleure que celle qu’ils donnent. Ils restent sur leur position, ne doutent pas de la véracité de ce qu’ils ont dit, et s’offusquent des propositions qui leur sont faites.

Les questions auxquelles cet article tente de répondre sont ainsi les suivantes : les atechniques désignent « mal » les choses, les objets, alors qu’ils n’ont pas de difficultés de langage par ailleurs. Pourquoi ne supportent-ils pas la contradiction à propos de ce qu’ils disent ? Pour­quoi sont-ils si sûrs d’eux-mêmes dans cette situation de désignation ? Qu’en est-il lorsqu’ils manipulent les objets ? Leurs mots reflètent-ils alors la même certitude ?

Nous présenterons d’abord quelques exemples de cette désignation atechnique, qui nous permettront de poser quelques questions, puis pour pouvoir y répondre, nous retournerons à l’observation de la désignation des aphasiques. Dans un dernier temps, grâce à cet éclairage, en procédant par analogie, nous mettrons à jour certaines des particularités atechniques.

I — Atechnie et désignation

Dans l’exemple suivant il s’agit d’un exercice classique de dénomi­nation d’images : nous montrons un objet ou une image d’objet, le patient dit le nom de la chose présentée.

Patient : M. C., patient atechnique évoqué précédemment dans deux articles publiés dans Tétralogiques [2].

Après un ensemble de « bonnes » réponses, on donne au patient l’image d’un évier dans un meuble sous-évier.

Examinatrice :Patient :
C’est un bac… Un bac à vaisselle.
Uniquement pour la vaisselle ? On ne peut faire rien d’autre avec ? Avec la vaisselle, oui... Il y a l’égouttoir avec !
Un bac pour faire la vaisselle s’appelle ? (Irrité) Écoutez ! Pour moi c’est un bac à vaisselle et c’est tout !
L’examinatrice indique les portes sous l’évier.
« C’est quoi ? » Alors le tout ensemble s’appelle ? C’est des rangements. Un lavabo.
Ah bon ? Un lavabo ?? Ah oui, ça fait partie d’un lavabo. C’est un ensemble, oui.
Mais le lavabo, c’est dans la salle de bains… Non !
L’examinatrice, hésitante :
Le lavabo… C’est dans la salle de bains
…………
(Très sûr de lui) Non, c’est dans la cuisine.
Ah… pourtant… Écoutez, on ne va pas… !… Vous chipotez pour un rien !
L’examinatrice, reprenant les choses en main :
Bon, le robinet, l’eau, l’égouttoir ensemble, ça s’appelle « évier ». Ah non !! Évier veut dire « couler »…. « Un » évier, donc c’est pas « évier » !
Bon, il y a le robinet, l’eau, l’égouttoir, et le bac, ça s’appelle ??? …… J’ai oublié le nom. !Puis il enlève son pull, dit qu’il a très chaud, et se remet au travail. N’est pas à l’aise.
L’examinatrice reprend :
Donc ça, c’est un évier, ça ? Ah !!! Non !!! Évier veut dire « couler ».
C’est quoi alors ?? « Évier » veut dire « couler » ! (s’énerve de plus en plus). Il y a l’eau !
Oui, mais…
L’examinatrice lui montre le verso de l’image, où est écrit : « l’évier ».
Il regarde le mot écrit, et dit  : Ah ! D’accord, mais c’est pas ça ! C’est « évier » mais c’est pas « évier » on ne peut pas dire ça !
On ne doit pas dire ça ? Oh non ! « Évier » veut dire… « eau » !.... Du latin… ! (triomphant) Cela vient du Latin ! Ah ! Là je vous bouche un coin !!
Ah ! ….. D’accord !

Premièrement, nous observons ici un malentendu entre le patient et l’interlocutrice sur ce dont on est en train de discuter. L’examinatrice pense parler de l’objet « évier-sous-évier », de son mode d’emploi donc, sa place dans la maison, le patient lui répond en créant des liens entre les mots, et en les isolant de leurs contextes descriptifs : « un » évier n’est pas « évier », « évier » veut dire « couler », « évier » veut dire « eau ». Il change la discussion sur l’objet dessiné en une discussion sur des questions linguistiques et sémantiques.

Un autre point frappant est la persistance avec laquelle le patient défend ce qu’il a dit initialement, en refusant toute suggestion de modification de notre part, et en argumentant ce refus. En même temps on sent le patient embarrassé, on ne sait plus de quoi il parle : de l’évier ou du lavabo ? Qu’est ce qui se trouve selon lui dans la cuisine ? Il trouve que l’examinatrice exagère, mais à propos de quoi ? Il a chaud, dit qu’il a oublié le nom, mais de quoi ? Il s’énerve de plus en plus ! Et à la fin il est content d’avoir le dernier mot ! Mais le malentendu, comme le malaise subsiste.

Dans Tétralogiques 2 et 3 nous avions présenté les difficultés de ce patient. Il existe également un ensemble d’observations enregistrées qui montrent des réactions similaires, dont l’exemple suivant résume bien la particularité : nous lui demandons de copier les traits d’un visage, travail qu’il fait de façon très approximative. Il produit un ensemble de tracés qui se suivent vaguement en cercle. Lorsque nous lui demandons ce que cela représente, il répond : « un cheval ». Devant notre réaction étonnée, et en montrant l’original à copier, nous lui demandons : « Mais c’est pas plutôt un visage ? » Il répond : « Pour vous c’est peut-être un visage, mais pour moi, c’est un cheval ! »

Nous avons souvent observé ce genre de réponses et de réactions surprenantes chez d’autres patients atechniques. Dans l’exemple suivant il s’agit d’un patient qui est venu consulter surtout pour des difficultés d’écriture, se manifestant par des problèmes de graphisme des lettres et d’orthographe. Il présentait parfois un « mot pour un autre » mais il était difficile à l’époque de nos observations, de considérer ces problèmes comme aphasiques, car nous n’avions pas observé de problèmes de syntaxe et de morphologie. Le manque du mot apparaissait dans des cas bien précis, comme dans des références au calendrier, qu’il ne savait plus utiliser, ou encore pour parler de ses recherches généalogiques. Nous avons surtout remarqué qu’il avait beaucoup de problèmes pour construire des choses en général. C’est ce qui se voit dans l’exemple que nous présentons plus bas, où nous lui demandons de fabriquer une enveloppe à partir d’une feuille A4. De même, alors qu’il n’avait pas de problèmes de lecture à première vue, nous avions observé des difficultés précises dans certaines situations, comme par exemple lorsqu’il s’agissait de lire des séquences de lettres manuscrites, qui se ressemblaient à quelques tracés près (telles que : > brille / bille / bulle / brûle / fille <, ou encore > flanc / blanc < [3]).

Lors des consultations nous avons remarqué des problèmes de dénomination analogues à ceux du patient précédent. Nous observons avec ce nouveau patient le même type de malentendu qu’avec le premier à propos de l’évier. Cela commence dès le début de l’exercice. Après un exercice de dénomination d’images, nous changeons de consigne et de domaine d’intervention : des images, nous passons aux lettres, de la dénomination, nous passons à la reconstruction de l’écrit. L’illustration ci-dessous montre les lettres de départ, graphiées par un ensemble de traits isolés. Nous lui demandons de compléter les traits.

Le patient prend un crayon et passe parfois sur les traits ; parfois il les lie. Il s’arrête sur la boucle en bas à droite du > p <, et la manière dont elle est liée au > i <.

Il dit qu’il s’agit d’un siphon.

Lorsque nous lui demandons de décrire un peu plus ce « siphon », il dit qu’il voit le tuyau qui remonte. Il repasse sur la boucle, et double ensuite tous les traits, au dessus de la boucle du > p <, en se rapprochant alors d’un dessin de tuyau. Il regarde à nouveau et dit : « Je reste là dessus, c’est un siphon ». Lorsque nous lui demandons s’il peut s’agir de lettres, il regarde encore, lève les yeux vers nous, étonné, repasse son doigt sur l’ensemble et dit : « Non, c’est un siphon. Je reste là-dessus ». Lorsque nous lui demandons ce qu’on fait avec le point au dessus du > i <, en le montrant, il reste dans la description du siphon et tout ce qui va avec. Il répond : « c’est le bouchon pour fermer le lavabo ». Et relie le point au tracé du > i <.

Comme dans les exemples précédents, on peut dire ici qu’entre les deux interlocuteurs il y a malentendu sur ce dont on parle. Comme dans le cas précédent, l’examinatrice tente de montrer au patient qu’il se trompe. C’est pourtant la raison de cette démarche erronée qu’il nous faut découvrir. Pourquoi, en effet, ni ce patient ni le précédent ne sont-ils capables eux-mêmes d’envisager qu’ils peuvent se tromper ? Comme pour le patient précédent, pour celui-ci il s’agit bel et bien d’un siphon, qu’il prend pour tel, et non pas comme une combinaison de lettres, un > p < et un > i <. D’ailleurs, même le point sur le > i < devient un élément complémentaire du siphon — ce que le patient met en évidence en reliant ces deux tracés. Ce qui est le fameux point sur le > i < pour l’examinatrice n’a, pour lui, rien à voir avec de l’écriture. Il s’agit d’un dessin à dénommer. En fonction de son idée d’avoir affaire à un siphon, il continue donc sa description, et prend le point comme une partie d’un ensemble tuyauterie-lavabo.

Le patient a une dénomination basée sur une manière de décrire les éléments de ce siphon qui procède par complémentarité d’éléments. Ce qui fait qu’il peut décrire des éléments qui sont en rapport avec le siphon mais qui ne sont pas représentés, puisque dans le graphisme > p <, rien ne peut indiquer le bac du lavabo. Sauf ce petit rond qui ne peut être que le bouchon.

Ce qui devient frappant ici, comme pour le patient précédent, qui prenait un visage pour un cheval et n’en démordait pas, c’est l’entêtement, avec lequel le patient défend la justesse de ce qu’il a dit : il tient en main l’image d’un siphon. Et rien ne peut le faire changer d’avis là-dessus : il s’irrite de notre insistance, qu’il ne comprend pas. Visiblement, nous ne sommes socialement pas d’accord sur le sujet… Malentendu mis en évidence par nos questions, qui témoignent de notre incompréhension, mais deviennent pour le patient source d’énervement. Il ne voit pas, il ne comprend pas ce qui dans sa réponse nous a fait réagir. Il estime avoir donné la bonne réponse. Il est sûr de lui.

L’étonnement de l’observateur face aux réponses du patient et l’incompréhension de ce dernier par rapport aux réactions de l’examinatrice vont à présent être le fil conducteur de notre exposé. Reprenons : les deux patients disent des mots pour d’autres. C’est du moins ce que nous, leurs observateurs, présumons. Mais ni l’un ni l’autre patient ne sont de cet avis : ils le font savoir, chacun à sa manière. Socialement, dans la séance d’observation, il y a malentendu. Les deux protagonistes, examinateur et patient, ne sont pas dans la même réalité, comme nous allons le voir.

Dans leur manière de se positionner par rapport à nous, les patients peuvent cependant juger leur réponse, retourner en arrière, et voir si ce qu’ils ont dit correspond à ce qu’ils ont voulu dire à propos de « la chose à dénommer ». Il y a ainsi un contrôle sur ce qu’ils viennent de dire eux-mêmes. Ce contrôle montre la capacité de la démarche de désignation elle-même (dans le sens de la théorie de la médiation, c’est-à-dire la capacité à prendre du recul par rapport à la situation à dire et par rapport à ce qui en a été dit). Les patients peuvent revenir sur le « pourquoi » de leur réponse. La chose à dire correspond à ce qu’ils en ont compris c’est-à-dire, déduit. Ils sont convaincus d’avoir dit juste. Il s’agit ici d’une démarche dialectique d’explication, grammatico-rhétorique, tout à fait normale. Mais ces patients disent une réalité qui, par ailleurs, les met dans l’embarras. Ainsi, même s’ils ont dit « juste », il subsiste une forme d’incompréhension à propos, non pas cette fois-ci de ce qu’ils ont dit, mais de ce qu’ils auraient dû dire, étant donné les réactions de l’interlocuteur. Ils saisissent que quelque chose ne va pas, mais n’en ont pas conscience : ils ne savent pas ce que c’est. C’est une situation paradoxale, malaisée, sur laquelle ils n’ont pas prise. Ce ne peut être que leur interlocuteur qui doit se tromper, ou trop insister, selon eux. Dans d’autres situations en revanche cet embarras va pouvoir se dire, comme étant une difficulté pour laquelle il n’y a pas de solution : lorsque les patients doivent exploiter et prendre en main des ustensiles, ils feront part de leurs doutes et de leurs incompréhensions, en commentant ce qu’ils sont en train de faire.

Dans l’exemple suivant, qui relate la manière dont le dernier patient se débrouille avec divers ustensiles, nous avons noté aussi les remarques qu’il fait. Elles sont peu nombreuses, il est vrai, mais rendent compte autant de l’embarras du patient, que de la difficulté de l’observatrice elle-même à décrire ce travail. Peut-être le texte serait-il plus « lisible » si le lecteur suivait le déroulement de l’exercice pas à pas, en faisant les mêmes gestes que le patient, in vivo, dans cet exercice dit « de l’enveloppe » ?

Voici la description de l’exercice proposé : devant le patient, à partir d’une feuille rectangulaire A4 nous fabriquons une enveloppe carrée. Pour cela, il faut plier la feuille en rabattant diagonalement un côté plus court vers un côté long, pour trouver le carré, et couper la feuille, pour garder uniquement ce carré. Ensuite il s’agit de plier le carré selon deux diagonales croisées en leur milieu. Puis dépliant le carré, il faut alors diriger les 4 pointes carrées vers le centre, comme pour une enveloppe traditionnelle. Pour faire tenir 3 pointes sur 4, on pose un morceau d’adhésif, qu’il faut couper, et coller sur l’enveloppe de telle manière qu’on puisse encore y glisser quelque chose. Ce sera le bout de papier, resté de côté après avoir fait la première découpe. On écrit quelque chose dessus (ici « Bonjour »), on le plie en deux, et l’introduit dans l’enveloppe. On donne ensuite une feuille A4 au patient, on laisse le modèle construit devant lui, et à lui de fabriquer une enveloppe à son tour, avec le papier, l’adhésif et les ciseaux.

Voici ce qu’il fait : il plie le papier A4 de sorte à en faire un grand carré et coupe le surplus avec des ciseaux. Les ciseaux ne semblent pas très bien couper. C’est parce qu’il ne les tient pas tout à fait droit par rapport au papier. D’ailleurs il commente : « J’aime mieux un cutter ». Il parvient tout de même à couper la feuille avec les ciseaux, en les prenant correctement par les deux bagues du bas, mais en les tenant parallèlement par rapport au papier, et non perpendiculairement : comme on fait avec un cutter.

Il replie le carré pour avoir les 4 coins, sauf qu’il plie d’abord le papier en deux, le pli se trouvant en parallèle avec les bords. Puis il plie la deuxième ligne à 90° par rapport au premier. Commentaire : « C’est là que les difficultés commencent ! » Il ouvre le papier. Deux lignes coupent le carré en quatre petits carrés, et non quatre triangles. Il se pose la question, en regardant l’enveloppe modèle : « Est-ce que j’ai le même résultat ? » Il compare son carré avec le modèle, ouvre la feuille, la remet à plat, cherche des repères, compte les lignes. Il essaie un autre pliage : il pointe un angle vers le centre, mais dépasse ce centre, la feuille est pliée de biais, et la partie couvrante est plus grande que la partie couverte. Il renonce.

Pourtant ses gestes de pliage sont bons, il sait vers quoi il tend, et cherche des repères pour y arriver. Ensuite, il plie bien une pointe vers le milieu du carré. Une deuxième, à côté. Il a ainsi une feuille pointue d’un côté, et toujours droite de l’autre. Il est perdu, met sa feuille bord à bord avec le modèle, compare les deux exemplaires, et dit : « ça s’approche ». Il parvient à plier une troisième pointe vers le centre. Il a devant lui une enveloppe ouverte, avec la quatrième pointe non rabattue. Il prend le scotch, en coupe correctement un bout. Mais ce morceau tourne autour de ses mains. Il voit la bande de papier, préalablement enlevée, à côté de son carré-enveloppe, cherche la bande de papier du modèle, qui se trouve dans l’enveloppe modèle et demande « vous l’avez fait disparaître ? » On lui dit où elle se trouve. Alors seulement, il la voit dans l’enveloppe modèle. Il ne fait cependant rien de sa propre bande de papier.

Il reprend le scotch. Il mesure la longueur du morceau collé sur le modèle. Il dit « c’est un piège là…. » Il place le scotch sur le scotch de l’enveloppe modèle, le décolle, le coupe, revérifie la longueur. Il le colle sur son enveloppe, pour sceller les trois rabats : mais ce faisant, le scotch colle aussi sur le fond de l’enveloppe. Il est donc impossible de glisser quoi que ce soit dans l’enveloppe. Il prend ensuite la bande de papier, la compare à celle du modèle, lit (correctement) « Bonjour », et dit : « Ah, je ne copie pas le ‘Bonjour’ ». Examinatrice : « Comme vous voulez ! » Il décolle le scotch sur son enveloppe, s’étant aperçu qu’elle ne pouvait plus s’ouvrir. Mais ses mains le gênent dans l’exécution de son travail. Il les place de telle manière qu’il ne peut pas mettre son morceau de scotch à l’endroit voulu, même s’il a un constant souci de bien faire. Il prend un nouveau morceau de scotch et le colle sur l’enveloppe ; mais à nouveau, celle-ci ne s’ouvre pas. Deux morceaux de scotch y sont alors collés. Il les enlève et les recolle. Le côté adhésif ne colle plus très bien, mais ça tient quand même. Il prend un nouveau bout de scotch, tire sur le rouleau. Il coupe avec les ciseaux. Comme avant pour couper le papier, les lames ne sont pas posées perpendicu­lairement. L’adhésif colle aux ciseaux. Il arrive à le dégager. Il le met sur les deux autres bouts de scotch déjà collés. Il l’enlève, le place à nouveau. L’enveloppe est toujours « inopérante », son entrée toujours fermée par ce scotch. Il enlève alors ce nouveau morceau, prend une règle, mesure la distance sur le modèle entre le bord et le scotch, fait la même chose sur son enveloppe à lui, prend un crayon, et avec beaucoup de précision, aidé par cette règle, marque sur le rabat inférieur de l’enveloppe l’endroit où il doit coller le scotch et l’y place. Il vérifie que l’ouverture de l’enveloppe est restée utilisable. Cependant, il a mis le scotch trop à gauche, ce qui fait que la pointe du rabat de droite n’est pas attachée aux deux autres. L’enveloppe a donc une très grande ouverture cette fois, celle du quatrième rabat, à laquelle s’ajoute celle produite par le rabat non attaché à cause du positionnement du scotch, et ce malgré les marques apportées au crayon sur l’endroit à coller. Il remarque cette grande ouverture, mais ne fait rien pour changer. Il place la bande de papier dans l’enveloppe, et c’est alors qu’il voit qu’elle n’est toujours pas très utilisable, puisque ce rabat de droite n’est toujours pas attaché. Il coupe un nouveau morceau de scotch, le colle à côté du morceau déjà collé, de sorte que le tout « tienne » cette fois. Après cet épisode, il compare les deux enveloppes, et se montre content du résultat. Il ne semble pas fatigué par tous les essais qu’il a dû faire. Les gestes étaient toujours précis, méticuleux, même si, paradoxalement, les mains gênaient simultanément l’exécution de ce qu’elles étaient en train de produire.

Ce qui nous importe ici c’est la démarche du patient, et comment, dans un deuxième temps, il en parle. Que se soit pour dire ou pour faire, nous observons un souci de bien faire chez le patient [4]. C’est pourquoi nous intéressent ses commentaires qui expriment le doute : « Est-ce que j’ai le même résultat ? ». Il compare : « ça s’approche ». Il cherche un élément de l’enveloppe-modèle, qu’il ne trouve plus : « Vous l’avez fait disparaître ? ». Ou encore : « J’ai un piège là ». Il commente, tout en construisant inlassablement son enveloppe, en variant ses prises et ses actes, sans y arriver tout à fait. C’est une enveloppe, mais une enveloppe bizarre.

Dans la façon de parler du patient nous remarquons deux choses : soit il dit, et il est sûr de ce qu’il dit, même après vérification, et ne comprend pas pourquoi les autres ne sont pas d’accord avec lui ; soit il dit, mais il doute. Dans les deux cas il fait savoir qu’il ne comprend pas tout à fait ce qui se passe ni ce qu’on attend de lui : c’est cela qui nous semble important. C’est une incompréhension qui transparaît dans les deux situations verbales, dont la particularité échappe au patient, bien qu’il ressente une incompréhension vis-à-vis de quelque chose sur quoi il n’a pas prise. La mise en œuvre outillée constatée comme anormale par l’observatrice, et l’incompréhension interlocutive entre l’observatrice et le patient, sont ainsi les deux manifestations sociales (autrement dit « d’expression et de compréhension ») d’un même trouble sous-jacent, mais qui n’est pas propre à la capacité de dire, puisque le malade ne cesse de dire, et d’expliquer ce qu’il vit, c’est-à-dire « son monde », celui qui n’est pas construit comme le nôtre.

Pour mieux saisir ce monde particulier dont l’atechnique fait part, nous devrons retourner à présent à l’observation d’exercices de désignation dans le cas de l’aphasie.

II — Parler et penser « aphasique »

Nos travaux cliniques en référence à la théorie de la médiation, en collaboration avec Hubert Guyard, Marie-Claude le Bot et Christine Le Gac ont montré que les aphasiques ont des difficultés spécifiquement liées à un fonctionnement monoaxial de l’analyse du signe, que ce soit dans la face du signifiant ou dans celle du signifié. Ceci se traduit par un déséquilibre de la garantie réciproque des deux faces, touchant aussi bien la pertinence en traits et phonèmes que la dénotation en sèmes et en mots. Ces difficultés peuvent se révéler ou se mettre en scène dans toutes sortes d’exercices, dont celui de la dénomination d’images ou d’objets.

Traditionnellement, c’est à l’occasion de cet exercice qu’on peut établir un premier diagnostic linguistique sur le type d’aphasie et sur le degré des difficultés. C’est là qu’on va trouver les différentes descriptions, classiques, des façons de parler des patients. On note ainsi dans le cas de l’aphasie de Wernicke : des jargons, des paraphasies phonémiques, phonologiques et ou sémantiques et sémiologiques, des parlers lacunaires, lorsque le « mot juste » manque. Ce manque du mot peut se trouver en cas d’aphasie de Broca, surtout lorsqu’il existe des problèmes d’origine phonologique, qui s’expriment par une sorte d’inhibition pour démarrer le mot, ou par un parler heurté et lent. Mais lorsqu’il s’agit d’un problème purement sémiologique, le patient peut dire correctement le mot correspondant à l’objet ou l’image. Alors, il n’en dit qu’un seul à la fois. Le manque du mot de type Broca se trouve en fait plutôt dans la façon de faire les phrases, appelée « agrammatisme ». L’agrammatisme ne se teste donc pas vraiment à travers l’exercice de dénomination d’images d’objets, même si cet exercice peut servir à faire une distinction entre les deux types d’aphasie. Dans la littérature aphasiologique on distingue également les deux aphasies (depuis la découverte anatomo-clinique faite par Wernicke qui contredit l’observation de Broca) par la présence ou non, de difficultés de compréhension. Ainsi l’aphasique de Broca aurait un trouble touchant surtout l’émission, mais une compréhension intacte, et le Wernicke aurait un trouble surtout de la compréhension. Si déjà cette distinction n’est pas pertinente cliniquement, compte tenu du seul tableau des difficultés d’expression des aphasiques de Wernicke avec leurs paraphasies phonémiques et sémantiques, elle ne l’est pas non plus dans l’aphasie de Broca, où le patient peut montrer spontanément des difficultés de compréhension, qui peuvent se retrouver expérimentale­ment dans des exercices particuliers. C’est par exemple le cas lorsque nous parlons avec ces patients de choses qui sémantiquement, pour nous, se résument à une seule situation, mais qui grammaticalement se divisent en plusieurs mots. C’est le cas dans des exercices de compréhension à partir de certains mots composés, tel « roi de pique » ou « reine de trèfle ». Il est très difficile à ces patients de passer de l’un à l’autre, aussi bien en énonçant qu’en comprenant, car il s’agit de quatre termes différents qui ne correspondent pas à autant de situations. Il leur est cependant tout à fait possible de comprendre la seule différence entre « roi de pique » et « roi de cœur ». Ils répondent alors systématiquement à la consigne de montrer la carte demandée.

A côté de ces observations ponctuelles, nous avons également noté d’autres difficultés de compréhension, connues dans la littérature aphasiologique sous le nom de « surdité verbale » et d’« anosognosie ». Commençons par le premier phénomène, la « surdité verbale ». Ce terme a été surtout utilisé pour décrire les difficultés de compréhension qui semblent toucher le domaine auditif du patient, mais uniquement par rapport à ce que disent leurs interlocuteurs, sans que la reconnaissance d’autres bruits soit touchée. Comme le patient n’est pas sourd, on ne peut pas parler d’une véritable surdité : certains observateurs posent alors le diagnostic d’une « agnosie auditive ». Cependant cette hypothèse est également difficile à maintenir dans le cas de l’aphasie, et ce d’autant moins si on tient compte des références cérébrales des deux tableaux cliniques, et des difficultés spécifiques de chaque trouble, agnosique et aphasique. Quant au terme « d’anosognosie », celui-ci est utilisé dans la littérature pour décrire des difficultés de compréhension survenant dans des cas de jargonaphasie ou des paraphasie de Wernicke. Il s’agit de difficultés de compréhension de la situation même dans laquelle le patient se trouve, une non conscience de son trouble, qui fait qu’il pense parler comme « avant », ou plutôt comme « toujours ». L’interlocuteur doit insister par tous les moyens pour lui faire comprendre que ce qu’il dit n’est pas « bon », et qu’il ne parle plus de la même manière. Le patient pense d’ailleurs que ce n’est pas lui qui ne parle pas normalement, mais son interlocuteur. Celui-ci a donc souvent beaucoup de mal à faire admettre au patient la situation « réelle » de son état. Selon cette hypothèse, à cause de ce manque de conscience de ses difficultés, l’aphasique aurait cette fois « une agnosie » de son propre trouble, comme un « trouble associé » à l’aphasie. Hypothèse à nouveau difficilement tenable. A côté de cette non conscience des difficultés, s’observant surtout dans les premiers temps après la lésion cérébrale, les observateurs notent une troisième forme de non-reconnaissance, de non conscience, qui de nos jours est parfois considérée dans la littérature neuropsychologique comme une forme d’amnésie, touchant la mémoire à court terme. Cela s’observe aussi bien dans l’aphasie de Broca que de Wernicke. Les patients ne semblent pas avoir retenu ce qu’ils viennent de dire eux-mêmes. Cependant, les patients n’ont pas de problèmes amnésiques ailleurs, dans d’autres domaines d’observation. Comme pour les deux terminologies précédentes, nous préférons pour l’instant parler de « non conscience », notion que nous allons analyser à présent.

Une de nos patientes présente une aphasie de Wernicke avec des paraphasies phonémiques et sémantiques (phonologiques et sémiologiques) et une dys-syntaxie. Elle souffre d’une lésion temporo-pariétale gauche. Dans un exercice de dénomination d’images, nous lui avons demandé de dénommer l’image d’une cocotte-minute.

Elle dit : « J’aime pas, j’en ai pas chez moi. C’est une côte, une cotte… une cocotte quelque chose. Ah je vais vous le dire, minute, ça va venir… ! »

L’examinatrice : « Si, c’est bon, vous venez de le dire ! »

La malade, interrogative, regarde l’observatrice sans saisir sa remarque, continue sa recherche et dit : « Cocotte…cocotte quelque chose. » En fonction de cette recherche, l’examinatrice poursuit et dit : « La cuisson est très rapide ». La malade : « Oui, oui, c’est très rapide… C’est une cocotte-minute ! C’est bien ça ! »

La malade sait de quoi elle parle, connaît le mot et sa réalité langagière, c’est-à-dire un mot composé, mais l’élément « minute », même si elle l’a prononcé dans une autre situation, juste avant, n’a jamais été remarqué comme un élément significatif de cette composition qui donnait « cocotte-minute ». Il ne pouvait être isolé ni de l’une (attendez… minute !) ni de l’autre situation (cocotte-minute). Même si l’examinatrice lui fait remarquer qu’elle a dit ce qu’il fallait, elle continue de chercher, comme si elle n’avait pas entendu ce qu’on lui avait dit. Cependant, là où l’examinatrice a repéré le double emploi d’un même mot, jamais la patiente n’a pu imaginer que ce qu’elle avait déjà dit (« attendez-minute »), et ce qu’elle avait à dire (« cocotte-minute ») pouvait se faire par le biais d’une même séquence sonore, pour la « simple » raison qu’elle ne pouvait plus imaginer verbalement « du même », c’est-à-dire de l’identique, n’étant pas capable taxinomique­ment de « sème ». Son déjà dit était déjà du passé, mais d’un autre passé que celui de l’interlocutrice : ses souvenirs renvoyaient uniquement à la situation de recherche de réponse, à la situation de stress dans laquelle elle était. Voilà donc le malentendu entre la réalité de l’examinatrice et celle de la patiente. Si « minute » a pu être un seul et même mot pour l’examinatrice, non seulement au-delà des deux contextes verbaux différents (« cocotte-minute » ; « attendez, minute ») mais aussi et surtout au-delà des deux situations non verbales à dire (son savoir à propos de l’engin représenté sur l’image ; et sa tension dans l’attente de l’arrivée d’une bonne réponse), c’est parce que, contrairement à la patiente, elle est capable d’abstraction logique, c’est-à-dire capable de trier parmi les informations gnosiques perceptives qui arrivent entre ce qui est de valeur verbale, pertinente et dénotative, et ce qui ne l’est pas. Pour l’examinatrice, comme pour tout locuteur normal, ni le savoir sur les choses ni les affects qui les sous-tendent et qui peuvent conditionner la manière de dire et sa tonalité, n’ont de fonction ni de statut verbal. L’examinatrice pouvait entendre le ton de « minute », mais le négliger simultanément pour ne retenir que sa forme verbale, identique à celle de « cocotte-minute ». Pour la patiente en revanche, tout ce qui était sonore, y compris le ton, pouvait informer, et indiquer toutes sortes de situations. Ce qui était mnésiquement stocké, ou/et affectivement géré, pouvait se dire. Ce qu’elle disait coïncidait avec le ton qu’elle employait, ce dont elle parlait avec ce qu’elle savait d’avance. Il y avait fusion, pas d’abstraction. C’est pourquoi elle ne se souvenait plus que du ton de « minute » dans le sens de « attendez ! ». Il n’était pas du tout le même que celui de « cocotte-minute ». Contrairement à ce qu’avait présumé l’examinatrice, la patiente n’avait donc pas dit « la même chose », car il n’y avait pas la même tonalité sonore, le même indice. Elle ne pouvait donc pas référer à quoi que ce soit qui avait été dit dans le même ton que celui de « cocotte-minute », ton qui donnait un autre sens.

Le malentendu vient alors du fait que là où l’examinatrice peut aller au-delà de la présence physique du son, peut faire abstraction du ton, en saisissant le caractère polysémique de « minute » au delà donc du contexte grammatical et sémantique ad hoc, la patiente est incapable de cette abstraction. Elle ne peut se souvenir que de ses états d’âme, de son savoir linguistique et autre, et de son exigence à chercher le nom composé qu’on utilise pour indiquer la marmite qu’elle n’aime pas, nom qu’elle a été sur le point de trouver. Elle ne peut pas se souvenir de tout ce qu’elle a dit pour y arriver, parce qu’il n’y a rien à se souvenir qui serait comparable à ce qu’elle a dit et à ce qu’il y a à dire à nouveau. Il y a donc décalage entre ce que conçoit l’examinatrice et l’approche de la patiente, les deux interlocutrices ne traitant pas de la même « chose ». Ce qui a été imaginé par l’interlocutrice comme un moyen d’aider la patiente — par ce principe abstrait de la polysémie qui lui permettait de saisir deux fois une même séquence « minute » —, ne pouvait pas en être pour la patiente, pour qui seule la situation du moment comptait.

Nous pensons ici à Jean Gagnepain [5] qui mentionne cette non conscience à propos d’un malade qui « pouvait lancer « j’ai oublié mes lunettes », mais qui était incapable de nommer l’objet lui-même, pour la bonne raison que le répéter, c’eût été négliger la différence des situations, le devenir dans lequel nous l’introduisions. Or l’aphasique a besoin de s’agripper à la situation, il ne peut pas s’en empêcher ».

Or c’est bien ce qui se passe avec notre patiente : la situation pour elle était celle qu’elle venait de dire avec son : « minute, attendez », qui n’avait rien à voir avec sa recherche du mot composé « cocotte-minute », qui représentait une toute autre situation.

C’est par la présence autonome de chaque situation à dire que nous voyons apparaître ici ce que Gagnepain a appelé « l’aspect fusionnel de l’aphasie » : « L’aphasique colle à la situation de locution, il veut désespérément dire, mais en lui cette abstraction, cette distance, cette impropriété, ce non-sens ne se fait plus, pour une raison ou une autre par défaillance d’une des faces ou d’un des axes, si bien que le malade ne peut plus produire d’énoncés normaux » [6]. Comme le trouble se manifeste aussi dans le domaine de la compréhension, nous ajouterions volontiers que l’aphasique ne peut pas non plus entendre les énoncés normaux : il entendra autre chose, car élaboré autrement. Notre patiente n’avait pas la même « conscience » que nous de ce qui avait été dit ; elle n’était pas dans le même « monde ».

Dans l’exemple suivant nous observons à nouveau cette démarche fusionnelle de la patiente.

Il s’agit cette fois d’un exercice touchant le travail de catégorisation, de construction d’un champ sémantique, en quelque sorte. Nous lui demandons de nous donner une liste des noms des dieux de l’Olympe, domaine dans lequel elle avait été et reste spécialiste. A côté d’un certain nombre de divinités, elle propose « Delphes ». Elle sait que ce n’est pas un dieu grec, et se demande pourquoi la recherche des noms des divinités lui fait penser à cet endroit. Elle est étonnée et intriguée, car elle sait que cette réponse est en dehors de la question posée. « Pourquoi est-elle arrivée ? » se demande-t-elle. Elle se rend compte qu’elle s’est trompée. Nous observons ce genre de « débordement » dans la catégorisation à chaque fois qu’il s’agit pour elle de créer une catégorie spécifique. La catégorie n’est jamais fermée, s’y rajoutent toujours des mots qui sont dans un rapport de complémentarité avec elle, tel « Delphes ». Ce débordement revient-il à un problème de non-contention d’une liste existante ? Apparemment, non, car la patiente montre elle-même, par sa réaction, que certaines limites à cette liste existent bel et bien. Il s’agit plutôt de l’incapacité à mettre un ordre entre des mots, pour faire justement « de la liste » sous un dénominateur commun identique. La patiente présente bien des inventaires de mots correspondant à des situations précises qu’on peut décrire, mais ces mots ne sont plus dans un rapport de subordination par rapport à un dénominateur commun — ici la variété des divinités grecques —, mais seulement dans un rapport de complémentarité dans l’expérience, c’est-à-dire, une situation de savoir. Même si la patiente sait de quoi on discute ensemble (la mythologie grecque), il s’agit cependant pour elle de sujets successifs. Elle a donc récité, raconté et écrit ce qu’elle savait sur le sujet, dans un certain ordre, savant il est vrai, mais qui était en même temps dans un certain désordre logique. D’où son étonnement après coup — et c’est en cela qu’elle était une patiente remarquable — devant l’apparition de « Delphes » dans cette liste écrite. Sa compétence helléniste lui a permis de juger ses performances. Elle n’a pas pour autant été capable d’y remédier, verbalement, logiquement, par élimination, précisément, de ce terme de l’ensemble de la liste, en fonction d’une cohérence de sa réponse, préalablement requise par rapport à la question posée. C’est en cela aussi que cette patiente était remarquable, car elle pouvait pointer des incongruités dont pourtant la raison d’apparition lui échappait. Elle ressentait un sentiment d’étrangeté à propos de cet ordre illogique qu’elle constatait dans un monde que, par son savoir, elle savait pourtant d’avance délimité et ordonné d’une certaine manière en plusieurs catégories.

Une autre patiente, à qui nous avions demandé de faire une liste de légumes, donnait par écrit la liste suivante : « persil, échalote, persil, ail, saladier, chicorée, endive, céleri ».

Le même malentendu entre les deux interlocutrices apparaît : la patiente ne répond pas à la question posée, tout en y répondant un peu. A nouveau, c’est une situation précise qui est évoquée, avec les termes « persil, échalote, persil, ail », donnant ensuite « saladier, chicorée, endive, céleri ». Il n’y a que l’observateur-interlocuteur qui voit ici le malentendu, car il observe l’écart entre la question posée et la réponse donnée, écart qui, généralement est alors noté quantitativement par : « réponse incomplète ». Pourtant la patiente a pensé donner la bonne réponse, et nous, à l’époque, l’avons laissée dans cette idée, puisqu’elle ne pouvait pas imaginer qu’il puisse en être autrement.

Nous avons observé chez la première patiente le sentiment d’un monde bizarre. Elle se demande pourquoi elle dit des choses auxquelles elle ne s’attend pas. Son savoir préétabli a pu tout à la fois la guider dans la construction de sa réponse, et n’a pu faire que soient mises des limites sémantiques à ce qu’elle avait à dire. Ce qui constituait un élément de plus dans le savoir du classement des dieux de l’Olympe n’a pas pu être sémantiquement exclu au nom d’un principe de cohérence interne propre à la catégorisation, alors que paradoxalement, la patiente savait d’avance que Delphes était inclus dans un ensemble « dieux en Grèce », puisqu’elle n’a pas dit Stonehenge, par exemple. Dans le deuxième exemple, ce sont l’ail, le persil et l’échalote qui ont (r)appelé la présence d’un saladier, dans un savoir « saladistique » où les endives, la chicorée et le céleri avaient leur place, mais pas les choux de Bruxelles (par exemple).

Si la deuxième patiente (observée en phase aiguë d’AVC) n’a pas été consciente du décalage entre la question posée et sa réponse, les aphasiques constatent souvent, comme la première patiente, que quelque chose n’est pas normal ; ils remarquent les réactions des interlocuteurs, et, simultanément, ne savent pas sur quoi intervenir pour améliorer cette situation. Ils ne peuvent rendre compte de leurs difficultés que sous forme de plaintes (« je ne peux pas dire », « je sais mais je ne peux pas »). Leur différence avec les autres (leur handicap) leur apparaît, mais ils ne peuvent imaginer, encore moins expliquer, leurs difficultés, ni revenir dessus pour les corriger. Ils ne peuvent jamais prendre de « recul verbal ». L’entourage familial des patients aphasiques constate souvent que ceux-ci n’aiment pas se trouver en groupe, qu’ils sont gênés et très vite fatigués par les bruits émis par les uns et les autres, par leurs voix, par les bribes de conversations qu’ils captent, et qui, venant de partout, se mélangent entre elles. Ce qui est dit autour d’eux leur devient aussi chaotique que ce qu’ils peuvent en dire eux-mêmes. En fait, ils sont submergés par toutes les informations sonores et sémantiques qui leur arrivent, informations qui doxiquement, affectivement, ont un air connu, mais restent pourtant verbalement non identifiables et indéterminables. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les aphasiques, Wernicke et Broca, entendent de tout sans distinction, au gré du moment. Mais ce sont des séquences sonores non dénotables, ou sans pertinence, renvoyant à ce que les patients reconnaissent comme familier, ou à ce qui les fait réagir affectivement. Dans ces situations les malades se sentent honteux, bêtes, ont peur de passer pour fous, car ils voient les réactions de leurs interlocuteurs à propos de leurs « confusions », voient le décalage entre eux et les autres, et jugent leurs propres performances désordonnées : « Ce que je dis, ce que j’entends, c’est ‘ça’, mais c’est pas ‘ça’ ». Comment faire pour y remédier ? Sur quoi intervenir ? Ces dernières questions ne sont donc pas uniquement des questions de thérapeutes… Comme l’écrit Gagnepain [7] « l’aphasique perd la capacité de structurer sa représentation, mais cela ne l’empêche pas de chercher à dire quelque chose ». Autrement dit d’avoir une représentation gnosique « naturelle », d’indice et de sens, dont il peut faire part.

Ainsi, tout énoncé aphasique dépend de la situation qui le nourrit, le remplit. Aussi bien celui du Wernicke dont nous parlons ici, que du Broca.

Dans les exemples précédents, l’observateur s’étonne, dans le premier cas, de l’oubli, de la disparition de « minute », dans l’autre exemple, c’est la patiente elle-même qui s’étonne de l’apparition de « Delphes ». L’apparition incongrue (pour l’observateur) dans la caté­gorie des légumes du terme « saladier » dans le dernier exemple se fait selon les mêmes critères que pour les autres : l’invasion d’éléments qui réfèrent à, coïncident avec, représentent d’autres situations, qui en font « sens ».

S’il s’agit d’une invasion dans le parler aphasique d’éléments informatifs situationnels, il subsiste néanmoins un aspect d’origine implicite, abstraite, dans ce parler : c’est le fait que ces éléments épars peuvent être générativement « complémentarisables », c’est-à-dire qu’ils peuvent devenir des fragments d’ensembles unitaires qui les englobent. Ainsi, des éléments sonores, connus et reconnus, familiers et rassurants, se collent à d’autres pour faire des paquets, au gré de la situation dans laquelle les patients se trouvent à ce moment précis, et qui plus est, se modélisent en fonction de ce qui vient de se dire. La générativité fonctionne donc normalement, mais elle fragmente et colle, ce qu’elle peut, au gré de la situation.

On ne peut donc plus parler ici de véritables énoncés sémantiques, car ce que disent les patients et ce dont ils parlent, s’influencent, se conditionnent mutuellement, sans qu’il y ait cohérence et cohésion dans ce qu’ils disent. Cela se voit bien dans des paraphasies exubérantes appelées traditionnellement « jargon », où on voit que le patient nourrit son dire également par ce qu’il vient de dire lui-même. Exemple : pour parler d’une clé un patient dit, en manipulant la clé « comme il faut », en la tournant et en imitant son entrée dans la serrure : « c’est un vélo… eh un volant… un volant de… Volvo, un voleur…. de voiture, de voleur un voleur de poules, eh…. de poules, coqs, de poussins, de poulains….. de…. », etc.

Il est intéressant de voir en passant comment cette façon de parler a obtenu son nom de « paraphasie » : elle se caractérisait pour les observateurs neurologues linguistes par une variation infinie d’éléments autour d’autres qui semblaient fixes. « Les patients tournent autour du mot », dit-on encore aujourd’hui dans les milieux des neurosciences. Nous-mêmes avons parlé de « pseudo-paradigmes » [8]. La variation observée n’en est en fait une que pour nous, observateurs : pas pour les malades. Car pour faire varier un élément, encore faut-il que pour celui qui le dit (ici l’aphasique de Wernicke), cet élément ait pu recevoir un statut identitaire, lui permettant de rester identique à lui-même au delà de toute variation ! Le plus important dans notre mot « pseudo-paradigme » était en fait « pseudo ». La paraphasie du Wernicke n’était pas un paradigme, pas un classement sémantique à part entière. La complémentarité a beau être causée par la générativité, il s’agit toujours d’une complémentarité d’éléments déjà prononcés, énoncés, qui envahissent le dire du patient.

Cette invasion du monde perçu se retrouve encore dans la dissolution syntaxique du parler de ces aphasiques de Wernicke, appelée tradition­nellement « dys-syntaxie », où la mise en facteur commun des ensembles unitaires ne se fait pas à partir d’une identité abstraite com­mune, mais à nouveau à partir d’un succédané situationnel, sonore, savant, mnésique, faisant référence à des ensembles unitaires indéterminés. Il n’y a pas de syntagme, ni de cohésion sémantique. « La situation de locuteur s’impose ainsi au patient, ‘naturellement’, sans qu’il puisse y résister. Il en est l’esclave [9]. » Nous ajouterions volontiers : « y compris ce qu’il a dit lui-même pour le dire ». Mais y compris aussi ce que dit son interlocuteur, lorsqu’il veut aider le patient, en construi­sant sa thérapie, ou qu’il veut comprendre le parler du patient, en construisant sa théorie.

Que ce soit pour proposer un exercice ciblé pour un type de patient, ou un test qui cerne le fonctionnement de son raisonnement implicite, le travail du clinicien thérapeute, ou du clinicien théoricien est une re­construction artificielle de la relation entre la situation à dire et ce qui en a été dit. Cette situation à dire semble — pour pasticher l’expression de Ferdinand de Saussure — « superficiellement » identique pour les deux interlocuteurs, l’examinateur et le patient. Elle est en fait différente pour chacun : l’interlocuteur peut donner un statut abstrait à ce qui se dit, le patient ne le peut pas, et reste, quelque soit son type d’aphasie, dans l’univocité de la situation. Au-delà de considérations de réussite ou d’échec, les observateurs, chacun selon la méthodologie de leur disci­pline, mettent ainsi en scène la frontière entre la non-résistance (c’est-à-dire la fusion) et la résistance (c’est-à-dire la non-fusion) à la situation à dire. Chaque type d’examinateur a pu créer ses exercices ou ses tests après le constat préalable des difficultés de chaque groupe de patients et leurs réussites particulières. Ainsi, dans la littérature aphasiologique, nous observons des exercices de dénomination spécifiques pour les aphasiques de Broca et pour les aphasiques de Wernicke, en fonction de leur réussite ou échec dans ces épreuves. Pour les uns, un exercice de dénomination d’objets isolés, tangibles ou représentés en images, pour les autres un exercice de dénomination d’actions à partir d’images. Le rapport entre ce qu’il y a à dire (la situation) et ce que le patient peut en dire est ainsi reproduit à une échelle grammaticale plus circonscrite et systématisée, comme par exemple l’usage de mots isolés, ou celui de phrases avec sujet verbe et objet direct. L’exercice que l’examinateur soumet au patient est donc une création artificielle de la situation à dire. Cette « épreuve » peut tout aussi bien induire le patient en erreur que provoquer sa réussite. L’agrammatique, par exemple, n’a pas de problèmes dans la dénomination d’objets isolés.

La théorie de la médiation postule chez tout être humain une capacité d’abstraction du dire par un raisonnement selon les deux principes que sont la différenciation et la segmentation, et pose cliniquement l’hypothèse d’une concomitance entre les deux parlers aphasiques et ces deux raisonnements logiques, où le Broca garde le principe taxinomique de différenciation, et le Wernicke celui de générativité. Ainsi, dans ce cadre théorique de l’abstraction du langage, nous avons proposé des exercices-tests spécifiques pour les Broca et pour les Wernicke, appelés Grammaires Élémentaires Induites. Ces « minigrammaires » ont montré chez les uns, par exemple les Broca phonologiques, une incapacité générative, par la proposition, entre autres, d’un travail d’opposition sémiologique de mots dont la succession phonologique posait problème au patient, comme « poule-boule-moule » ; elles ont montré chez d’autres, les Wernicke sémiologiques, une incapacité taxinomique, par le biais de variations imposées telles que : « l’aspirateur-l’aspirine… l’aspirale » (en dictée), ou à l’oral : « boucher-bouchère, évier-… évière ».

Même si, dans ce dernier cas, la distinction entre les performances des aphasiques de Broca et de Wernicke correspond à l’hypothèse explicative de deux raisonnements grammaticaux implicites sous-jacents de différenciation et de segmentation, et se reconstruit de façon artificielle, expérimentalement, grâce à des exercices-tests qui s’y réfèrent, dans les deux situations d’observation clinique, que celle-ci soit diagnostique ou explicative, les examinateurs mettent en lumière la frontière entre un raisonnement dialectique et un autre, fusionnel.

Il ne faut donc pas perdre de vue que, même si les patients répondent à ces exercices-tests et y réagissent (ou non), la systématicité observée dans leurs réponses, de type Wernicke ou Broca, n’est pas à confondre avec ce qui est le propre de leur trouble. Le propre du trouble aphasique est de ne pas être dialectique, et de créer ainsi un monde à dire qui change d’un moment à l’autre, au gré des situations. Si donc une systématisation a pu se construire expérimentalement (techniquement), il s’agit, sociologiquement, de la manifestation répétée, reproductible, de la rencontre de deux raisonnements sur la situation à dire, celui, pathologique, du patient, et celui, normal, des observateurs. Selon l’ingéniosité de ces derniers, elle peut donc, de façon expérimentale, se reproduire dans des domaines différents (oral, écrit par exemple) et sous des formes différentes, pourvu qu’on tienne compte de ce malentendu fondamental, qui est l’apparition du moment où l’univocité gnosique symbolique et infinie du patient se confronte à l’ambiguïté de la polysémie de son examinateur.

A la sémantique de l’observateur, qu’il peut techniquement produire, s’oppose la contingence situationnelle du patient. Ce que les patients disent est aussi variable, indéterminé et indéfini, que les variations mul­tiples de cette situation. Ainsi, et par ricochet, pourrait-on dire, cette situation à dire devient elle-même aussi chaotique, « systématique­ment » chaotique même. Car il s’agit d’un monde gnosique, où chaque élément perçu peut être l’indice d’autres qui en deviennent le sens. Mais ce monde ne peut plus s’expliquer, se « causer » logiquement : c’est un monde qui n’a plus de sens déterminé. Ce qui est touché chez le patient, c’est ce que Gagnepain appelle le « verbal », ou le principe de causalité :

« Parce que nous parlons (causons) le monde, nous ne pouvons le concevoir que causé. Je ne sais pas s’il y a un déterminisme dans le monde, mais sans déterminisme, nous sommes incapables de le com­prendre. La causalité est le mode du monde, y compris du monde naturel. Et quand il s’agit de l’homme, le comprendre c’est causaliser la source même de la causalité. Ce qui fait des sciences humaines des sciences complexes : ce sont des sciences au carré. Le principe de causalité est celui qui, tenant à la logique même du langage qui nous permet d’en parler, donne sens au monde. » [10]

Ce principe de causalité qui, normalement, est à l’origine de la prise de distance avec l’immédiat perçu pour le conceptualiser a permis à Gagnepain de poser théoriquement l’hypothèse de la contradiction dialectique qui fait que les deux aspects de ce réinvestissement rhétorique, cette explication du monde, « la sémantique et la phonétique », ne coïncident jamais avec la situation à dire, puisqu’elles tendent toujours à mettre un certain ordre dans ce monde immédiate­ment perçu, régularité qui ne lui correspond jamais tout à fait.

En prenant à présent en compte la fusion aphasique de la situation perçue avec ce que les patients disent, fusion qui supprime donc la rela­tion dialectique au monde, nous ne pouvons plus parler d’un fonction­nement rhétorique « sémantique » ou « phonétique » qui subsisterait chez ces patients. Cela impliquerait en effet que la dialectique fonctionne toujours chez eux, ce qui n’est pas le cas. Pas de rhétorique, donc, pour l’aphasique, ni, par conséquent, de visées scientifique, mythique ou poétique.

Pourtant, chaque type d’aphasiques organise son dire d’une certaine manière. C’est ce qui, avec la référence anatomique aux deux localisations différentes, a été le principal critère diagnostic pour différencier les tableaux linguistiquement. Au parler « fluent » de l’aphasique de Wernicke, s’oppose le parler « non-fluent » du Broca, au jargon, la stéréotypie. Chaque raisonnement survivant permet toujours, chacun à sa manière d’organiser le dire qualitativement ou quantitati­vement. Mais jamais cette mono-axialité ne pourra organiser logiquement le monde à dire, lui donner sens, puisque le dire est soumis aux aléas de la situation du moment, dont le patient ne peut pas s’échapper. Rien de comparable donc entre l’organisation de notre monde et le leur, car paradoxalement tout ou n’importe quoi peut faire sens chez les aphasiques, sauf les mots [11] !

III — Parler et penser atechnique

« Mais à côté [du principe de causalité] il y a le principe de sécu­rité, qui, en raison de notre accès à la dialectique technico-indus­trielle, nous donne, si j’ose dire, confiance dans l’appareillage, l’outillage, et nous permet d’en espérer la pleine efficacité. La sécurité du geste technique, quel que soit le développement industriel au cours de l’histoire, est liée à la rationalité technique inhérente à la manipulation, quel qu’en soit le degré de complexité. Voilà quelque chose qu’on a toujours oublié dans les principes de rationalité, alors qu’on s’est focalisé sur le principe de causalité » [12].

Nous allons partir de cette affirmation de Gagnepain pour compren­dre les attitudes et les réponses particulières des atechniques, en fonc­tion de ce que nous venons de voir dans le cas de l’aphasie.

Nous savons théoriquement qu’à l’abstraction du signe, l’abstraction significative, qui n’est pas le sens visé, correspond celle de l’outil, l’abstraction technique, qui n’est pas le lieu de l’efficacité visée. Le signe est une capacité humaine de s’abstraire de la situation à dire par le biais d’une analyse biaxiale, phonologique et sémiologique, de signifi­cation, pour y revenir en réinvestissant rhétoriquement cette situation à dire, en l’organisant de telle manière que cela lui donne sens, la désigne. De même l’outil est une capacité humaine de s’abstraire de la situation d’intervention par le biais d’une analyse biaxiale, mécanologique et téléologique, de fabrication, pour y revenir en réinvestissant industriel­lement cette situation d’intervention, en l’organisant de telle manière que cela la rende efficace. Par l’abstraction du lien instrumental des moyens et des fins, une dynamique dialectique se met en place, créant des phases qui s’opposent entre elles : l’instrumentation, l’abstraction de l’outil, et la production industrielle.

Comme le rappelle la citation ci-dessus, le signe n’est donc pas assimilable à l’outil, car ce qui est à l’origine de ces abstractions est de nature différente. Pas d’analogie, donc, entre les éléments spécifiques obtenus par les différentes analyses : une lettre n’est pas d’emblée comparable à un phonème, car l’un et l’autre élément sont sortis de leur contexte d’origine, dont la nature est différente. Pas de comparaison, donc, entre les éléments isolés de chaque rationalité, ni en situation normale, ni en situation pathologique, mais une analogie entre les manières dont chacun résout les problèmes que chaque « plan » lui pose. La seule analogie possible entre les plans est celle de l’abstraction, donc de la dialectique.

IV — Analogie du comportement atechnique avec le comporte­ment aphasique

A la lumière de ce que nous avons observé dans le raisonnement aphasique, reprenons maintenant les exemples donnés en début de texte pour établir l’analogie avec l’atechnie.

4.1. La construction de l’enveloppe

Dans cet exercice, ce qui se constate en premier lieu, ce sont les multiples essais et les tâtonnements interminables du patient. Ces manifestations ont été observées chez d’autres atechniques et l’aspect rappelle celui de la paraphasie du Wernicke. Nous avions donné à l’époque le nom de « paratechnie » à ce type de manifestations, comme un élément diagnostique. Mais cela ne suffit pas pour comprendre ce tâtonnement, ces multiples essais. Nous allons nous pencher sur cette paratechnie de la même manière que nous avons analysé la paraphasie des aphasiques de Wernicke ; puis allant au-delà de ces deux situations pathologiques, nous présenterons successivement des raisonnements atechniques analogues dans leur principe aux raisonnements aphasiques, et simultanément différents quant à la nature spécifique propre de chaque rationalité.

a. La complémentarité d’éléments situationnels. L’épisode des pliages et des collages. La construction de l’enveloppe exige le pliage du carré, préalablement découpé. Le patient plie son carré deux fois en deux, et obtient quatre autres carrés. La forme carrée de la feuille lui impose la formation des autres carrés. Il regarde sa feuille, la compare à l’enveloppe. Il se rend compte que quelque chose ne va pas par rapport à ce qui est à faire, dit « c’est là que les difficultés commencent », ouvre le carré, regarde l’enveloppe modèle, se pose une question sur l’efficacité de son travail effectué : « Est-ce que j’ai le même résultat ? » Dans les étapes qui suivent, il compare constamment les plis de l’enveloppe devant lui avec les siens, sans saisir pourquoi et en fonction de quoi il doit les exécuter d’une manière ou d’une autre. Le pliage envahit toute son activité, et le patient ne cesse de comparer sa feuille à celle dont nous avons fait l’enveloppe. Même si ses gestes, ses pliages sont toujours précis — il sait s’y prendre pour plier —, la forme carrée de la feuille l’a empêché de faire autre chose que « du carré », il compare la longueur des plis, la longueur des bords de l’enveloppe, les orientations des plis de l’enveloppe, arrive à une copie partielle, et dit « ça s’approche ». Il combine ainsi des éléments factuels, imposés par la situation : la feuille et les plis, les plis et l’enveloppe modèle, puis les morceaux de scotch sur son enveloppe et celui du modèle, dont la longueur et l’emplacement sont copiés et marqués sur la sienne, à l’aide d’un crayon et d’une règle qu’il trouve sur le bureau. Comme dans le cas de l’aphasie, nous observons l’envahissement de la situation, cette fois-ci non pas à dire, mais à faire, la situation non pas du locuteur, mais du fabricant, de l’ingénieur. Le pliage est un pliage qui n’est pas fait en fonction de ce que le patient pense construire, l’enveloppe. Le pliage n’a pas une fonction d’efficience (comparable à la dénotation), qui en ferait des lignes de construction et des points de repère. Il ne prépare pas une future enveloppe : le patient plie pour plier. Nous voyons ici non seulement la mise ensemble d’éléments imposés par la consigne de l’exercice, mais aussi imposés par la propre activité du patient, comme dans le cas de l’aphasie — par exemple avec la séquence de paraphasie jargonnante « vélo, volant, Volvo, voleur, voleur de poules, de poules de coqs, de poussins, de poulains ». Et comme dans le cas de l’aphasie, on voit apparaître des éléments extérieurs au cadre imposé par l’exercice, comme la règle et le crayon, qui se trouvaient être là, sur le bureau. Comme dans le cas de l’aphasie, nous observons ici l’envahissement de la situation à faire, situation qui ne correspond pas au seul exercice de construction d’une enveloppe, mais à ce que le patient avait opportunément sous la main.

b. Complémentarité d’éléments extérieurs de référence. L’épisode du coupage du rectangle pour en faire un carré. Le patient commence par couper le papier avec les ciseaux, mais il les tient comme s’il s’agissait d’un couteau, les lames parallèlement à la feuille, légèrement de biais. Les ciseaux ne coupent « pas bien ». Le fait de devoir couper le papier pour obtenir deux morceaux à l’aide de ciseaux, renvoie simultanément le patient à l’usage d’un autre instrument, le cutter, et à sa prise spécifique. Même si les ciseaux sont pris en main par leurs deux anneaux, la prise du cutter et son rapport au coupage de la feuille envahit ainsi l’exécution de la tâche, et va orienter le rapport entre la feuille et les lames des ciseaux, entravant, concurrençant en quelque sorte, le geste-ciseaux et l’efficacité de ces derniers. Le patient le dit d’ailleurs lui-même : « j’aime mieux un cutter ». Le cutter, ou plutôt la référence gestuelle à cet ustensile, est, analogiquement, comme « Delphes » et « saladier », un élément non pas inhérent à l’organisation et la programmation de l’exécution (faire une enveloppe, et pour cela faire d’abord un carré à partir d’un rectangle), mais faisant référence à d’autres situations de coupage, provoquant d’autres gestes-parasites, comme c’était le cas de Delphes, qui parasitait la liste de dieux grecs, en renvoyant à d’autres liens que ceux de cette catégorie.

c. Voir sans voir : l’univocité de la situation instrumentale. L’épisode de la petite bande de papier. Le patient voit le deuxième morceau de papier obtenu par la fabrication du carré. Après la construc­tion de l’enveloppe-modèle, nous lui avions montré que ce morceau de papier pouvait se glisser dedans, « comme une lettre », et nous y avions écrit « bonjour », pour souligner cette fonction. Il prend son morceau à lui, et comme pour le travail comparatif avec l’enveloppe, il cherche à l’approcher de celui de l’enveloppe-modèle. Il cherche celui-ci, ne le voit pas, et demande si nous l’avons fait disparaître. On le lui montre, il le sort l’enveloppe, et le lit. Il ne fait cependant rien avec son morceau ; il dit d’ailleurs qu’il ne va pas écrire « bonjour », et laisse sa bande de papier où elle était, en dehors du chantier de l’enveloppe. Nous voyons ici que les deux bandes de papier, celle du modèle et la sienne, n’ont jamais eu le statut, ni la fonction de « lettre » pour lui, tout comme « son » enveloppe n’a jamais été une enveloppe, mais du papier à modeler. Là où nous, examinatrices, nous avions simultanément « vu » deux aspects de l’enveloppe, à savoir ce dont elle était faite, et pourquoi elle était comme elle était, donnant par là implicitement à la bande de papier le statut de lettre, le patient n’y voit, comme dans celle du modèle, que des morceaux de papier, et pas des feuilles à lettre. A la polyergie des observatrices s’oppose l’univocité instrumentale du patient, et là où l’aphasique n’entendait pas un même terme « minute », au-delà de deux situations différentes, l’atechnique ne voyait pas deux situations différentes au-delà d’un même bout de papier, la feuille coupée, et la feuille à lettre. Ainsi le bout de papier était abandonné à côté du chantier, comme le terme « minute » s’était envolé au moment où il avait été dit.

4.2. La dénomination des deux lettres par le terme « siphon »

Après un exercice de dénomination d’images, nous proposons au patient un autre exercice. Nous présentons un couple de lettres manuscrites dont les lignes ont été coupées en morceaux. Il s’agit de reconstruire cet ensemble de lettres en liant les différents traits entre eux. Nous avions pensé à l’époque que cette construction parcellaire n’en empêchait pas la lisibilité. Le patient, lui, en avait une autre approche.

a. La complémentarité comme principe pathologique permanent. Nous demandons au patient de « compléter les tracés ». Il commence à remplir la première partie, correspondant à la lettre > p <, s’arrête à la boucle-liaison avec le > i <. Dit qu’il s’agit d’un siphon. Puis, lorsque nous demandons des précisions, il continue de remplir les espaces entre les tracés du > i <, et continue de compléter, en doublant en parallèle la totalité du tracé d’origine et maintient : « c’est un siphon, je reste là-dessus ». De façon analogue au cas de la construction de l’enveloppe-qui-n’en-était-pas-une, il n’existe pas, pour le patient, un champ d’activité spécifique de « l’écrit ». Là où il ne répond pas à la consigne, c’est qu’il n’a pas complété des lettres, mais des tracés graphiques. Ces tracés se construisaient par rapport à l’exercice préalable de dénomina­tion d’images, et pouvaient se compléter en fonction de ce qu’il avait présumé, dit et vérifié dans ce cadre précis de dénomination. Cette acti­vité s’oppose normalement à d’autres, au dessin notamment, par la cohérence interne de sa programmation, rendant ainsi prévisibles les actes qui y sont inscrits, moyennant un appareillage spécifique, qui permet alors une répartition du travail en secteurs, tout comme, au plan du langage, la catégorisation permet un classement du sens en champs sémantiques. De même que pour la patiente aphasique pour qui il n’y avait plus de catégorie de dieux grecs, mais un inventaire qui ne se limitait pas à eux seuls et concernait des faits parallèles, pour notre patient il n’y avait pas non plus de champ d’activité, qui permettrait de conduire son activité dans un certain sens ; il y avait juste la proposition d’un ensemble de tracés-sur-le-papier, qu’il fallait compléter. De ce point de vue, le patient a donc bien répondu à notre consigne, même s’il avait rajouté plus de traits que nous l’avions prévus ! Mais, si nous avons pensé qu’il en avait fait plus qu’il ne fallait, c’est parce que nous-mêmes nous nous étions placées dans ce cadre préétabli du champ d’activité de l’écrit, qui en restreignait d’avance le nombre de tracés. Et en lui demandant de « compléter les tracés », nous étions allées dans son sens sans nous apercevoir que la mise en complément de fragments pour faire des touts, était juste ce dont il était pathologiquement capable en permanence ! Le patient n’a pu faire cela que parce que, pendant la consultation avec nous, il faisait une seule activité, socialement condi­tionnée par l’endroit où nous nous trouvions. Les différents exercices que nous lui proposions collaient les uns aux autres, se succédaient dans le temps. Il a donc continué son travail en rajoutant des exercices à d’autres. C’est ainsi que la complémentarité entre l’exercice antérieur de dénomination d’images et la consigne du moment de traçage, fait appa­raître au patient un nouvel ensemble unitaire, conditionné par la situation donc. Le patient s’était créé un exercice qui concernait simultanément la dénomination et la construction d’image. La consigne du traçage n’annulait aucunement l’activité précédente de dénomination, mais la complétait. Le patient combinait des éléments conjoncturels entre eux en les intégrant dans des ensembles plus grands, jusqu’à en faire un siphon avec tout ce qui va avec. Les frontières entre l’exercice de dénomination, de lecture et de dessin avaient disparues. Le patient n’était plus capable d’établir des champs d’activité, comme la patiente aphasique n’était plus capable de catégorisation. La mise en scène de l’exercice avec sa consigne, a accentué expérimentalement la capacité de complémentarisation du patient.

b. Quand le dit envahit le faire : de la rhétorique de l’atechnique à l’absence du réinvestissement industriel. Lors de l’exercice, le trouble du patient s’est manifesté par le fait que, quoi que nous disions, il nous a été impossible de le faire changer d’idée sur sa dénomination du siphon. Il ne pouvait pas, n’était pas en mesure d’en changer, car la chose à désigner était liée intrinsèquement et de façon univoque à la fabrication même du « truc tracé ». Le patient avait dit une situation praxique instrumentale, entre moyen et fin. De la même manière, lorsque dans l’exercice-test « GEI » (« l’aspirateur, l’aspirine, la spirale »), nous demandons à des aphasiques de Wernicke de corriger > l’aspirale < en > la spirale <, ils ne peuvent le faire, car ils transcrivent une situation gnosique symbolique, univoque, la séquence sonore [laspir] étant l’indice d’une séquence graphique > l’aspir < qui en est le sens.

En ce sens nous trouvons encore une analogie avec l’aphasie : la non conscience technique du patient par rapport ce qu’il y a à faire. Il n’a pas saisi où nous voulions en venir. Même le fameux « point sur le i », par exemple, ne pouvait être pour lui qu’une partie complémentaire du siphon, le bouchon qui le fermait, mais ne pouvait pas être un élément d’écriture. Dans son explication cependant, tout était cohérent, la désignation par siphon lui permettant d’évoquer tous les éléments qui l’entouraient. Il prenait donc les tracés pour ce qu’il en pensait, et comme il les pensait. Or dire n’est pas faire, et faire n’est pas dire. C’est ce qui s’observe également dans les exemples du premier patient, qui ne discute pas, socialement, sur la validité du choix du terme « cheval » ou « visage », mais sur la validité de son travail de copiste : la construction d’un cheval et non pas d’un visage, alors que socialement il pouvait admettre que chacun dessine, fabrique ce qu’il veut, et le nomme en fonction. La discussion absurde sur la dénomination du bloc-évier, et les manières de reformuler, de résumer ce que dit l’interlocutrice, tout en avançant son désaccord, va aussi dans ce sens. La discussion à propos de la raison de nommer un objet plutôt « bac à vaisselle », « lavabo », ou « évier » est un problème sémantique de désignation, que le patient peut envisager. Mais pour distinguer industriellement l’appareil « lavabo » d’un « bac à vaisselle », ou d’un évier, il faut être en mesure de les inclure techniquement dans une activité implicitement prédélimitée et préordonnée, organisation dont le patient n’est plus capable. C’est ce qui fait que son argumentation pour ne pas désigner l’image présentée par le nom d’évier, passe par des références grammaticales et philologiques, mais pas techniques. Il donne juste une indication de l’usage que l’on fait habituellement de cet appareillage en le nommant : un bac pour faire la vaisselle. Ainsi, de même que dans le cas de l’aphasie, où par l’atteinte de l’abstraction du signe, le réinvestissement rhétorique ne pouvait plus s’exercer, de même nous voyons ici que, par l’atteinte de l’abstraction de l’outil, le réinvestisse­ment industriel n’existe plus non plus. La « fabrication » atechnique est le reflet de la situation, qui praxiquement la permet. Le patient est « surpris d’une besogne d’avance répartie, et dont l’exécution est implicitement programmé par l’existence même de l’assortiment proposé » [13]. Le patient atechnique est aussi besogneux qu’inefficace.

V — Conclusion

Rien de comparable, donc, entre l’organisation de notre monde et le monde des patients cérébrolésés. A notre dynamique dialectique s’oppose la situation fusionnelle.

La dialectique (glosso-) logique nous rend capable, par l’abstraction (le raisonnement biaxial du signe), de ne causer et de ne penser le monde que déterminé, en posant dans le perçu des frontières, qui en permettent une organisation logique déterminée et catégorisée. Le monde logique humain est ainsi implicitement pré-ordonné par le langage qui nous permet d’en parler, ce qui fait que ce que nous disons est dès le départ limité par ce que nous allons dire, et d’exclure simultanément le reste (du monde à dire). Cette sectorisation donne ainsi une prévisibilité de ce qu’il y a à dire par rapport à ce dont on parle.

L’aphasique a perdu une partie de l’abstraction biaxiale, ce qui fait que la relation dialectique elle-même ne peut plus fonctionner. Ce qu’il dit du monde est ce qu’il a perçu, et vice versa. Il ne peut plus savoir ce qui, dans une séquence sonore, est pertinent et dénotable ou pas. La situation perçue du patient envahit le dire (voir l’exemple de « minute »), y compris ce qu’il vient de dire lui-même. La perte de la dialectique logique met le patient dans une position d’entendre et de dire « tout et de tout ». C’est un monde chaotique.

La dialectique technique nous permet de produire, et de voir le monde que fabriqué, construit, en posant dans l’activité praxique des frontières, qui la sectorisent et la répartissent en fonction d’une analyse du « pour faire quoi » en rapport avec l’utilité des moyens. Cette organisation technique donne ainsi une prévisibilité du déroulement de l’activité, et du choix des matériaux et des ustensiles, par rapport au résultat visé. Le monde technique humain, implicitement pré-ordonné, permet d’avoir ainsi « confiance dans l’appareillage » et de ne pas éprouver le besoin de tout avoir sous la main. L’atechnique, par l’atteinte de la capacité d’abstraction, ne peut pas discerner dans la matière entre ce qui est utile et efficient ou pas ; de ce fait, son monde « à faire » devient un fouillis, qui le rend capable de faire tout et de tout, et n’importe comment. Le monde sur lequel il intervient n’est plus qu’opérationnel, qu’instrumental, univoque donc. Et contrairement à l’organisation dialectique du travail qui implique son propre ordonnancement, en le rendant exécutable, celle de l’atechnique le rend circonspect. Il se méfie du fonctionnement de son installation comme de celle des autres, car il ne sait plus sur quoi intervenir efficacement. Le monde de l’atechnique, sur lequel il n’a plus prise, lui glisse entre les mains.

Sans principe de sécurité le monde est un pêle-mêle, sans principe de causalité il est un tohu-bohu.

Bibliographie

Duval-Gombert, Attie, 1976, Les troubles de l’écriture et de la lecture dans des cas d’aphasie, thèse pour le doctorat troisième cycle, Université Rennes 2, non publiée.

Duval-Gombert, Attie, 1985, « Quelles agraphies-alexies ? Des idées reçues aux faits conçus », Tétralogiques, n°2, Rennes, PUR (réédition : Pour une linguistique clinique, 1994, PUR).

Duval-Gombert, Attie, et Guyard, Hubert, 1986, « Du pied de la lettre au pied de nez », Tétralogiques, n°3, Rennes, PUR (réédition : Pour une linguistique clinique, 1994, PUR).

Gagnepain, Jean, 1980, Du Vouloir dire, t.1, Paris, Pergamon Press.

Gagnepain, Jean, 1994, Leçons d’introduction à la théorie de la médiation, Louvain-la-Neuve, Peeters.


Notes

[1La désignation, selon la théorie de la médiation, est le réinvestissement d’une sémiologie et d’une phonologie en une sémantique et une phonétique qui les contredisent.

[2« Quelles agraphies-alexies ? Des idées reçues aux faits conçus », Tétralogiques, n°2, 1985 et « Du pied de la lettre au pied de nez » (en collaboration avec H. Guyard), Tétralogiques, n°3, 1986. Réédition : Pour une linguistique clinique, 1994.

[3Les signes > < encadrent par convention un tracé.

[4Pour les neuropsychologues qui ont examiné le patient, ce souci a été interprété comme une méticulosité exagérée, c’est-à-dire comme une « variable individuelle », liée au caractère obsessionnel du patient avant la maladie et non pas comme une manifestation du trouble. Cependant cette recherche exagérée de précision ne se trouve pas lorsqu’il raconte ses occupations à la maison, ni lorsqu’il dit le nom des choses. La famille ne l’a jamais trouvé obsessionnel non plus.

[5Leçons d’introduction à la théorie de la médiation, p.70.

[6Ibid., p. 71.

[7Ibid., p. 70-71.

[8Les troubles de l’écriture et de la lecture dans des cas d’aphasie, thèse pour le doctorat troisième cycle 1976.

[9J. Gagnepain, Du vouloir dire, t. 1, p. 105.

[10Leçons d’introduction à la théorie de la médiation, p. 46.

[11Dans le sens de « relevant de la glossologie ».

[12Ibid.

[13J. Gagnepain, Du Vouloir dire, t.1, p. 139.


Pour citer l'article

Attie Duval-Gombert« Le monde de l’aphasique, le monde de l’atechnique », in Tétralogiques, N°18, Faire, défaire, refaire le monde. Langage, technique, société (2010).

URL : https://tetralogiques.fr/spip.php?article110