Charles Quimbert

Directeur de l’association Bretagne Culture Diversité. cquimbert chez bcdiv.org

Fest-noz et patrimoine

Résumé / Abstract

Les transformations du fest-noz en Bretagne, de son renouveau dans les années cinquante à son inscription sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2012, sont autant de manifestations d’un processus de patrimonialisation qui est identifié comme relevant spécifiquement du principe qui fait de l’humain un être social. Il apparaît précisément lorsqu’une rupture dans la transmission fait craindre la disparition de l’élément concerné et entraîne une action de sauvegarde, où identité et responsabilité se répondent réciproquement.

Mots-clés
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Cet article doit énormément aux échanges tenus lors de séminaires mensuels, organisés dans le cadre du LIRIS sur le thème du patrimoine. Un merci particulier à Sophie Le Coq, Julie Léonard, Jean-Yves Dartiguenave et Jean-Claude Quentel.

Le fest-noz est-il un élément du patrimoine breton ? Le fait semble indiscutable et se trouve renforcé par l’inscription en 2012 de celui-ci sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité [1]. Derrière l’évidence nous nous attacherons à interroger ces deux notions : qu’est-ce que le fest-noz ? Et surtout, qu’est ce qui fait patrimoine ? L’histoire du fest-noz, de l’élan revivaliste à sa patrimonialisation, servira de terrain d’enquête et donc de lieu de test, d’une conceptualisation du patrimoine qui s’originera dans les définitions classiquement admises dans les domaines juridique, sociologique ou ethnologique. Nous inscrirons ce travail dans une réflexion épistémologique plus large, exposée dans l’avant-propos, proposée par Jean Gagnepain sous le nom de « théorie de la médiation » qui, plus qu’un modèle, propose une méthodologie de travail où l’on cherche notamment à « faire émerger la structure sous-jacente au-delà de la saisie immédiate des données ». A. Duval et J. – C. Quentel précisent : « La théorie de la médiation doit être comprise comme une anthropologie : elle s’attache à rendre compte des processus spécifiques mis en œuvre par l’homme dans les différents domaines de la vie psychique » [2]. Ce sont ces processus que nous tenterons d’identifier au travers des exemples cités.

1. Patrimonialisation : des procédures au processus

1. 1. Du patrimoine, des patrimoines

Une définition classique du patrimoine désigne sous ce terme ce que l’on reçoit en héritage, entendu d’abord dans le domaine privé par legs, étendu par la suite au domaine public. La Révolution Française avec la nationalisation des biens du clergé, puis ceux de la couronne et des émigrés, passe d’un patrimoine familial, transmis de génération en génération, à un patrimoine collectif, autour duquel s’élaborera par la suite le récit national. Ce type de patrimoine se caractérise par le fait d’être un bien public que l’on ne peut vendre. Il sort du domaine marchand et est souvent désigné sous le nom de patrimoine culturel.

Le terme lui-même semble, selon Thibault Le Hégarat, avoir été introduit dès 1791 [3] devant l’Assemblée Nationale. Retraçant l’historique de la notion de patrimoine, l’auteur ne manque pas de souligner que le sens de cette notion se modifie au cours de l’histoire allant des monuments historiques, liés à la notion de patrie et de « haute culture », à des emplois de plus en plus variés au fur et à mesure que s’élargissait son périmètre, notamment à partir des années 1980. Il souligne que « cette préoccupation récurrente à définir le patrimoine est à la fois le signe de la complexité de la notion, et celui de ses mutations rapides » [4].

1. 2. Au processus de patrimonialisation

De fait, il devient difficile de définir le patrimoine par « des corpus d’objets, ou par des valeurs intrinsèques à ceux-ci, tant la notion peut désormais accueillir tous les types » [5]. Cela revient en effet analogiquement à rechercher à définir la mémoire par son contenu, ce qui est une entreprise sans fin et qui exclut de se poser la question du processus qui permet à l’humain de mémoriser. Il en est de même pour la notion de patrimoine : ses différents espaces d’action n’expliquent en rien le, ou les, processus qui se met(tent) en jeu lorsqu’il y a patrimonialisation. Tout comme le culte des morts, par exemple, il nous faut constater qu’il n‘existe pas dans le règne animal et qu’il signe, là, une capacité proprement humaine d’être au monde.

Ce processus, s’il caractérise le fonctionnement humain, comme à d’autres titres le langage ou le désir, ne se confond pas avec les procédures qu’il emprunte pour se manifester. Ainsi, si nous sommes familiers des procédures d’inscription d’un monument à l’inventaire national ou sur une des listes de l’Unesco, nous devons nous demander comment ce même processus opère dans d’autres civilisations ou à d’autres époques. Nous pouvons aussi nous interroger s’il nous est possible de traquer ce processus là où son nom n’apparaît pas « officiellement » [6]. Ainsi, nous serons attentif à la première démarche de « revitalisation » du fest-noz qui a connu, des années cinquante aux années quatre-vingt, un accueil populaire sans cesse croissant.

1. 3. Entre procédure et processus

On emploie, depuis l’essai sur le patrimoine de Jean-Michel Leniaud [7], le terme de patrimonialisation pour désigner la procédure d’appropriation par laquelle un objet qui a perdu sa « valeur d’usage » peut acquérir une « valeur patrimoniale ». « Le patrimoine n’existe pas a priori  ; tout objet est susceptible d’en faire partie quand il a perdu sa valeur d’usage. » Le patrimoine est le résultat d’une décision.

Jean Davallon reprend ce terme en le qualifiant de processus « par lequel un collectif reconnaît le statut de patrimoine à des objets matériels ou immatériels, de sorte que ce collectif se trouve devenir l’héritier de ceux qui les ont produits et qu’à ce titre il a l’obligation de les garder afin de les transmettre » [8].

Il s’agit de bien différencier, au-delà des effets de « faux-amis conceptuels », le processus des procédures qu’il revêt. Ainsi Jean Davallon identifie-t-il six étapes dans la démarche qui mène à la patrimonialisation :

  • la découverte ou la trouvaille ;
  • la certification de l’origine de l’objet ;
  • l’établissement de l’existence du monde d’origine ;
  • la représentation du monde d’origine par l’objet ;
  • la célébration de la trouvaille ;
  • l’obligation de transmettre aux générations futures.

Ces différentes étapes, élaborées pour du patrimoine matériel, constituent un exemple de procédures très généralement parcourues pour qu’un objet soit reconnu patrimonial. Se trouve décrit ici l’aspect politique que revêt inévitablement toute démarche de patrimonialisation : qui nomme, qui expertise, qui a le pouvoir de décision ?

Le processus se cache, lui, dans ce qui a déclenché la procédure. Pour quelles raisons avons-nous mis cette procédure en place ? Tout transfert d’usage est-il une patrimonialisation [9] ? Ne doit-il pas s’ensuivre, comme le préconise Jean Davallon, d’une obligation que nous aurions de le conserver pour « assurer ainsi la continuité de l’humanité entre le passé et le futur » [10] ? D’où nous vient cette obligation ? À notre sens, elle ne se comprend pas comme la simple conséquence de l’ensemble des dispositions mises en place par suite de la reconnaissance de la valeur patrimoniale de l’objet mais elle constitue le but recherché en réponse à la disparition de l’objet, à la mort sociale de celui-ci (son non-usage) que l’on tente de nier.

Il s’ensuit que ce processus peut très bien être à l’œuvre même s’il n’y a pas reconnaissance officielle, même lorsqu’il n’y a pas patrimonialisation. C’est par exemple le cas lors de la naissance de multiples associations à vocation patrimoniale qui fleurissent dans les années soixante-dix : l’une pour restaurer la chapelle du quartier, l’autre pour restaurer le vieux moulin qui risque de s’effondrer. Il n’y a pas acte de patrimonialisation officielle mais s’installe un débat avec les instances publiques pour que tel élément soit restauré ou tout simplement pas abattu lors de la création d’une quatre voies.

C’est aussi le cas lors de la naissance de l’association Dastum en 1972 qui se crée autour de la reconnaissance, par une dizaine de chanteurs et sonneurs de musique traditionnelle de l’époque, de la valeur patrimoniale des fonds qu’ils constituaient par leur propre collecte. Le terme de patrimoine n’apparaît pas dans les premiers statuts de 1972, mais une poignée de musiciens se mobilisent car, pour eux, « il ne s’agissait plus seulement d’apprendre de nouveaux airs pour augmenter notre répertoire... l’urgence de la sauvegarde du patrimoine et sa diffusion devenait de plus en plus important. De l’échange à l’intérieur d’une bande de copains sonneurs-pistards, nous étions arrivés à la prise de conscience d’une urgence de sauvegarde d’un riche patrimoine culturel [11] ». Propos évidemment tenu rétrospectivement.

Ainsi le terme de patrimoine n’apparaît dans les statuts de l’association Dastum qu’en 1982, soit dix ans après sa naissance. En 1972, elle nommait ainsi ses missions : « L’association a pour but la recherche, la conservation, la diffusion de la musique traditionnelle bretonne ». En 1982, l’association renouvelle ses statuts et précise : « La fédération Dastum a pour but de 1. Coordonner les activités des groupements culturels et associations qui collectent et sauvegardent le patrimoine culturel oral de la Bretagne 2. D’œuvrer pour sauvegarder ce patrimoine. »

Le terme de patrimoine immatériel n’est évidemment pas employé mais est préfiguré dans celui de patrimoine oral.

1. 4. Patrimoine et valeur patrimoniale

En France, et sans doute dans tout le monde occidental, cette patrimonialisation officielle se caractérise par « l’élaboration d’un corpus patrimonial qui résulte d’un choix, sanctionné par des institutions légitimes et légitimantes » [12]. C’est le passage, décrit par Jean-Michel Leniaud, de la valeur d’usage à la valeur patrimoniale. Cette notion de valeur se retrouve dans la définition légale donnée dans le code du patrimoine (art. L1) :

« Le patrimoine s’entend, au sens du présent code, de l’ensemble des biens, immobiliers ou mobiliers, relevant de la propriété publique ou privée, qui présentent un intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou technique. Il s’entend également des éléments du patrimoine culturel immatériel, au sens de l’article 2 de la convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, adoptée à Paris le 17 octobre 2003 ».

Une valeur, ici l’intérêt prêté au bien concerné, ne peut être qu’attribuée ; elle n’existe pas intrinsèquement, et il est tentant de chercher à définir ce processus de patrimonialisation comme étant synonyme d’un processus d’attribution de valeurs qui consisterait à dire finalement ce qui représente un intérêt pour l’avenir de, tout ou partie, la société. La liste de ces intérêts possibles semble finalement inépuisable et on aboutit aujourd’hui au « tout patrimoine ». Tout semble se valoir. Ce n’est pourtant pas une incapacité de choisir qui gêne le législateur mais l’arbitrarité de ce choix. Pourquoi celui-ci plus qu’un autre ? Notre méconnaissance de l’avenir nous contraint à tout garder car nous ne pouvons anticiper ce qui fera sens pour les générations à venir [13]. Si nous connaissions notre avenir, alors nous saurions choisir. Dans ce débat, l’argument de la valeur attribuée et celui de la nécessité de garder s’entremêlent sans différenciation, prêtant même à confusion dans l’expression commune « valeur d’usage ».

Sans doute le fait de toujours mêler les deux arguments concourt-il à la difficulté même de définir le processus de patrimonialisation. Nous proposons dans ce travail de mettre l’accent sur l’usage - ou le non usage - de l’objet et non sur la valeur attribuée. Jean Davallon montre bien d’ailleurs qu’un objet, une photo de famille par exemple, auquel on n’a jamais porté attention prend un tout autre sens lors d’un décès car cet objet peut devenir le seul témoin matériel de la personne disparue. Cependant, cette photo va rester dans l’album de famille, ou sera exposée dans la maison, bien après que le deuil aura fait son travail. La peine sera passée mais la photo reste témoignant de l’inscription dans une filiation.

La théorie de la médiation propose de ne pas confondre ces deux ordres de rationalité, l’un définissant l’axiologie - ma capacité éthique à me distancier de mes affects, et donc à opérer des choix -, l’autre définissant la sociologie - ma capacité ethnique à poser un être social, à me définir socialement. Ces deux ordres de rationalité interfèrent dans les définitions habituellement données du patrimoine. Nous tenterons de démontrer ici que ce n’est pas la valeur attribuée à l’objet qui est en cause mais sa possible disparition. Remarquons déjà que la notion de patrimoine, de monuments historiques, a bien été initialement formulée en réponse aux craintes de vandalisme rapportées par l’Abbé Grégoire devant l’Assemblée Nationale le 31 août 1794, et que toute l’histoire du patrimoine semble une longue réponse aux différents dangers « vitaux » recensés.

Au mieux, cette valeur attribuée sert de prétexte à défendre d’autres enjeux. Ce débat s’est invité, par exemple, à l’Unesco lorsqu’il a fallu décider si la culture était une marchandise comme les autres. On a voulu arguer d’une supra-valeur pour défendre une exception française là où il s’agissait de résister au monopole économique détenu par quelques grands groupes internationaux. Quelle que soit la valeur attribuée, il s’agit d’exister, de rester en vie, face à quelques mastodontes qui ne songent au nom du libre-échange qu’à vous faire disparaître.

Nous ne sommes pas non plus dans le registre de la collection motivée chez un particulier par une pulsion qu’il ne peut réfréner. Nous pouvons ici différencier la démarche de l’érudit local qui va collectionner photos, cartes postales, anecdotes, etc. sans jamais chercher à les réinscrire socialement, à les revitaliser. Sa recherche est une fin en soi, teintée de nostalgie, tournée vers le passé alors que la démarche patrimoniale s’inscrit dans un projet.

Plus encore, l’actuelle tendance au « tout patrimoine » montre que ce n’est pas la question du choix qui est en jeu – puisque tout peut faire patrimoine – mais bien « l’obligation de garder pour transmettre » citée plus haut. La capacité de choisir n’est pas en cause mais bien cette obligation de transmission afin que « quelque chose » demeure de cet objet que nous ne voulons pas voir mourir. Quel est donc ce quelque chose ?

Nous nous rapprochons ainsi de la définition proposée par Marcel Gauchet du patrimoine pour qui le patrimoine : « désigne primordialement l’obligation de préserver ce que nous avons reçu du passé afin d’assurer son passage dans le futur » [14]

La valeur patrimoniale n’est donc pas à entendre en termes économique, artistique, architectural ou de rareté, ni même en termes de réponse à une privation de satisfaction, mais bien comme le maintien d’un lien avec le passé pour construire l’avenir, même si, nous le verrons plus loin, cette démarche est portée bien souvent par des « passionnés » elle ne trouve pas son sens social dans cet amour inconsidéré qu’il nous faudra aussi déconstruire.

Précisons qu’il y a bien une valeur attribuée, puisqu’il y a choix et négociation sur ce choix, mais que cette dernière n’est pas définitoire du patrimoine. Au-delà du deuil engendré par la perte, c’est la présence de l’objet lui-même qui est vécue comme nécessaire car cette présence participe du comment je vais me nommer : ceci c’est moi, c’est à moi, c’est à nous. La notion de valeur ne doit pas masquer cette appropriation qui va permettre de nous définir en termes d’appartenance et de filiation. C’est du moins ce que nous allons tenter de démontrer dans les lignes qui suivent.

Nous recherchons à travers la définition du patrimoine ce qui nous contraint à préserver, à sauvegarder - garder vivant -, ce quelque chose que nous voulons transmettre. Nous faisons l’hypothèse que ce processus est une des caractéristiques du social. Comment la disparition d’un usage vient-elle interroger notre identité, définie par nos appartenances, et entraîner une réponse que l’on dit patrimoniale ?

2. Le renouveau du fest-noz dans les années cinquante

2. 1. De la veillée à la salle communale

Qu’est-ce qu’un fest-noz ? La réponse varie suivant l’époque étudiée. Le terme de fest-noz n’est utilisé avant la Seconde Guerre mondiale que dans un petit territoire de Bretagne allant de Châteauneuf-du-Faou à Saint-Nicolas-du-Pélem et de Callac au Nord du Faouët [15]. Il désigne une veillée chantée, dansée qui clôture une journée de travail en commun (battage, arrachage de pommes de terre) :

« Le patron de la ferme où on se trouvait avait organisé le travail mais il avait aussi prévu la nourriture, la boisson... et la détente. C’est lui qui disait, dès le repas du soir terminé : An taoliou mêz (les tables dehors). On sortait les tables et on mettait les bancs autour de la pièce (leur-zi). Le patron allait trouver deux chanteurs - il n’en manquait pas dans l’assistance - pour leur demander de chanter la première danse : c’était un honneur ! » [16]

Ce type de veillées, littéralement de fêtes de nuit, après grands travaux, caractérise en fait le milieu rural jusqu’aux années cinquante et se retrouve communément dans toute la Bretagne, qu’elle soit bretonnante ou gallésante sous divers noms : filaj, filerie, veillée… La singularité du fest-noz de cette partie de la Basse-Bretagne ne réside donc pas dans la spécificité d’une pratique ancienne mais dans le succès que ce terme prendra peu à peu. Il est le lieu où s’exprime l’amour que les bretons vouent à la danse :

« Des jeunes, accourus d’autres villages, ou même d’autres communes, venaient accroître le nombre de veilleurs. Comme toujours, la danse et le jeu corporel tenaient la première place. Et tel était le plaisir, que ceux qui aujourd’hui évoquent ces rassemblements ne songent même plus aux interminables journées de fatigue qui en étaient la rançon. Les arrachages d’automne ne sont plus dans leur mémoire que la saison bénie des festoù-noz, les fêtes de nuit » [17].

L’entre-deux guerres est classiquement décrit comme le moment où s’amorce la profonde mutation du milieu rural, notamment après la crise de 1930 [18]. L’arrivée de la mécanisation va peu à peu diminuer le besoin en main-d’œuvre et aggraver la désertification des campagnes commencée dès la fin du XIXe siècle. Cependant, le nombre de fermes ne diminue pas drastiquement et le maillage bocager se maintient encore [19].

Il en va tout autrement du point de vue culturel et linguistique. Les danses modernes (polka, java, valse…) font leur entrée en force, largement diffusées par les médias, elles sont signes de modernité. L’emploi du breton est réservé aux pairs (le conjoint, les parents, les ouvriers ou patrons avec qui on travaille) alors que le français devient la langue de la vie publique.

Le témoignage de Loeiz Ropars, né en 1921 à Poullaouen, le rapporte largement :

« On se rend compte que dans l’esprit des gens : chanter en breton cela faisait partie de la vie strictement rurale. C’est ça qu’il y avait dans leur esprit. Si tu arrives dans une atmosphère qui sort de cette ambiance totalement rurale, paysanne, alors tu prends tes habits du dimanche et quand tu chantes en public tu te mets à chanter en français. » [20]

Le chant en français devient à la mode, bénéficie de la diffusion radiophonique, et le bal musette clôt tout événement populaire :

« Ce qui a compté énormément, ce sont les médias de l’époque, c’est-à-dire les bals. Tout mariage se terminait par un bal, la fête nationale se terminait par un bal. Dans les médias de l’époque, il faut compter les voitures haut-parleurs, les voitures publicitaires. (…) On entendait à longueur d’année les voitures haut-parleurs qui répétaient un même refrain (…). Avant la guerre, dans les années trente, le kan ha diskan [21], chez nous, était tombé en désuétude, complètement, pas tout à fait complètement… Entre les années vingt et les années trente, j’ai vécu une véritable coupure, très nette. Il y a des gens qui ne veulent pas admettre cela mais c’est une évidence. » [22]

Loeiz Ropars deviendra l’un des principaux acteurs du renouveau du fest-noz dans les années cinquante. Auparavant, avant-guerre, il assiste à des rassemblements militants Bleun Brug de 1932 à Brest ou du Gorsedd des bardes de 1938 et 1939 ou, peu à peu, il va chercher à chanter des airs de danses issus de son pays natal, pays entre autres de la gavotte et du kan ha diskan. Après-guerre, il participe à l’animation de nombreuses fêtes bretonnes qui commencent à fleurir partout.

Loeiz Ropars est passionné de chant et ne peut que constater la diminution de la pratique du kan ha diskan ; c’est du moins par cette analyse qu’il légitime son action. Nous retrouvons là la perte d’usage décrite plus haut comme nécessaire, non pas suffisante, à l’amorce d’une démarche patrimoniale. Il va se lancer dans une multitude d’initiatives pour que chants et langue bretonne se maintiennent. Il ne nous appartient pas ici d’en retracer l’histoire [23] mais de tenter d’en repérer la dynamique.

Loeiz Ropars passe son enfance à Poullaouen sur un petit territoire où il est en contact avec ce qu’il pense être les derniers bons chanteurs. Plus tard, durant l’occupation, il fait des études universitaires à Rennes. Il enseignera le français, le latin et le grec au lycée de Quimper dès 1946. Il reste fasciné par son premier contact, vers l’âge de sept ans, avec le chant traditionnel lors d’un fest-noz qui se déroula chez son grand-père à l’issue d’une journée de travail. Il retrouve ensuite une personne – un mainteneur, dira-t-il – auprès de qui il retrouve ce plaisir de chanter qui ne le quittera plus. Nul doute que ce décalage social - il sort de son milieu pour faire des études universitaires dans une grande ville - va lui permettre de prendre conscience de la spécificité de la culture populaire qu’il a côtoyée dans son enfance et de l’importance qu’elle revêt à ses yeux. Prise de conscience qui sera facilitée par la fréquentation d’un milieu rennais acquis à cette cause.

Pour revaloriser cette pratique, il décide d’organiser un concours de kan ha diskan dans la salle publique de Poullaouen en décembre 1954. La journée sera suivie par près de 600 personnes et est donc un succès. Les années qui suivent confirment cet engouement (1500 personnes en 1955 qui semblent déjà venir de très loin).

« En 1956, c’était un progrès définitif, tout le monde l’a remarqué, les chanteurs avaient retrouvé l’habitude du chant, c’était juste, c’était bien. On est arrivé à notre premier objectif : faire que des gens qui avaient chanté se remettent à chanter et trouvent l’intérêt, la satisfaction des auditeurs et trouvent le plaisir de bien chanter, s’accorder à deux ».

Fort de ces succès, Loeiz Ropars organise ses premiers festoù-noz à Poullaouen - en 1957 - qui connaîtront un très fort succès tant auprès de jeunes stagiaires en langue bretonne que de la population locale. La formule sera reprise avec le même succès dans les communes environnantes.

Parallèlement, Loeiz Ropars invente à Quimper le « bal breton » pour le public citadin. Pour lui, il s’agit de proposer des danses bretonnes « faciles », adaptées à un public de non-spécialistes. La formule là aussi se répandra très vite. En moins de dix ans, des festoù-noz sont organisés dans toute la Bretagne, dépassant largement le territoire où ce nom était connu, faisant fi des différences que souhaitait introduire Loeiz Ropars entre bal breton et fest-noz.

Que nous apprend ce premier exemple quant au processus que nous traquons ?

  • Précisons que Loeiz Ropars n’est pas le seul acteur de ce renouveau. D’autres initiatives similaires ont été prises dans des villages voisins avant de devenir l’offre alternative aux bals musettes puis, beaucoup plus tard, aux boîtes de nuit. Ce succès n’est pas simplement dû à la passion de Loeiz Ropars, qui elle, explique son engagement durable et sans faille, mais bien à l’écho enthousiaste que ces premiers festoù-noz trouvent à la fois auprès d’un jeune public militant et de la population locale.
  • Notons que ce qui pousse Loeiz Ropars à créer ce genre nouveau – fest-noz mod nevez [24] – c’est qu’il est persuadé que l’on va vers une « irrémédiable disparition » de la pratique du kan ha diskan. Il faut impérativement trouver – inventer – un autre contexte pour que cette expression survive. Nous sommes là face à une rupture de la transmission d’un héritage. Cette rupture ne s’explique pas uniquement par l’effet de la révolution économique ; elle se comprend aussi par l’adhésion d’une grande partie de la population à la notion de progrès véhiculée par la langue française et les nouveaux modes de divertissement.
  • Le choix qui est fait n’est pas celui d’un seul homme – son initiative aurait pu s’avérer un échec, il aurait pu passer pour un « illuminé », ce qui ne fût pas le cas – mais celui d’une « communauté ». Nous faisons ici l’hypothèse que nous sommes là en présence de cette fameuse obligation de sauvegarder mentionnée plus haut.
  • Cependant, il n’y a pas, du moins à notre connaissance, d’usage du mot patrimoine pour légitimer ces actions. Tout au plus celui d’héritage semblerait convenir. Ceci correspond historiquement au fait que, dans les années cinquante, le patrimoine est encore, pour beaucoup, assimilé aux monuments historiques. Cela reprend par ailleurs une distinction entre héritage et patrimoine qui nous paraît pertinente [25]. Il y aurait patrimonialisation seulement lorsqu’une discontinuité se glisse dans la transmission.

2. 2. Du décalage nécessaire

En lieu et place de la trouvaille proposée par Jean Davallon pour le patrimoine monumental, nous avons ici un décalage qui permet à la personne qui va porter le projet de prendre conscience d’une possible disparition d’un élément culturel qui est concomitante avec la découverte, ou l’affirmation, que cette dernière constitue une part de sa singularité, de ses appartenances. Il est courant de constater que le sentiment de bretonnitude, d’appartenance à une culture donnée est ravivé chez les personnes ayant migré loin de leur terre natale [26]. Dans le cas de Loeiz Ropars, le décalage est certainement multifactoriel provoqué tout autant par ses études universitaires qui l’éloignent du milieu populaire dans lequel il a grandi, par son séjour à Rennes, que par le fait d’avoir côtoyé, très jeune, des personnes militantes culturelles. Ce décalage, nous semble nécessaire, mais ne constitue pas une condition sine qua non. Il ne suffit pas, à lui seul, pour déclencher le processus de patrimonialisation que nous cherchons à identifier. On le retrouve cependant présent chez nombre d’acteurs du renouveau breton : des fondateurs de Dastum à Donatien Laurent en passant par Alan Stivell [27]. Pour toutes ces personnes, Paris, vécu comme un exil, aura permis cette prise de conscience.

2. 3. La rupture de transmission

C’est cette rupture qui nous fait passer de la notion d’héritage à celle de patrimoine qui va imposer cette obligation de conservation que nous recherchons. Encore faut-il nuancer ici notre propos. De quelle rupture s’agit-il qualitativement ? La plupart des habitants ruraux du Centre Bretagne parlent encore breton en 1950 et savent danser la gavotte par « tradition », certains mêmes peuvent mener à danser en chantant. Tous savent de quoi on parle. La rupture est faite en certains endroits, pas encore effective dans d’autres. La société rurale du Centre Bretagne est en crise. Elle doit renier son héritage, ne plus s’afficher publiquement, pour épouser à la fois le mouvement du progrès et – dans les proches années après-guerre – pour ne pas courir le danger d’être assimilée à un breiz atao [28].

La réponse apportée à tous ces changements est une tentative de garder en vie, un revivalisme : on ne chantera, ni ne dansera plus, à la ferme parce que les temps changent, et l’on substitue aux revendications politiques une réponse « culturelle » voire festive : le fest-noz. Cette réponse, cette initiative est pourtant, bien évidemment, éminemment politique puisqu’elle cherche à s’opposer au « sens de l’histoire » par des actions de revitalisation. Plus, elle constitue une réponse au bal musette ; puisque bal il y a aujourd’hui, celui-ci peut s’appuyer sur la pratique des danses issues de la tradition rurale. Ce revivalisme est bien projeté vers l’avenir et non simple conservation. Le fest-noz de privé devient public, et s’inscrit ainsi dans le débat du moment. Le citoyen du Centre Bretagne des années cinquante va choisir d’aller au fest-noz ou au bal musette, au deux ou à aucun d’entre eux. Nous entrons dans une culture choisie.

2. 4. Les raisons d’un succès : le revivalisme, la revendication d’une appartenance

Il faut noter que l’engouement populaire rencontré autour du renouveau du fest-noz peut se passer allègrement de la puissance publique : point besoin de reconnaissance officielle, ni même de demande de subvention à cette époque. Le fest-noz développera au contraire une économie propre qui fera, quelques années plus tard, les beaux jours des comités des fêtes ou de jumelage et autres amicales et clubs sportifs, de même que, dans un même temps, nombre d’artistes se professionnaliseront. Le fest-noz peu à peu devient un lieu festif où la jeunesse vient faire la fête au contact des autres générations.

Il est intéressant de dresser un rapide tableau des changements observés consécutifs à cette action de « revival ».

Fest-noz mod koz, veillée Fest-noz mod nevez
Lieu Cour de la ferme, ou salle de la maison Salle communale, publique
Entrée Pas de notion d’entrée Entrée payante. Parfois gratuite, dans ce cas on le précise
Public Le fest-noz s’adresse à une petite communauté Le fest-noz s’adresse à un public
Artistes Quasi uniquement des chanteurs Chanteurs puis musiciens (sonneurs) puis, dans les années soixante-dix, des groupes musicaux
Statut des artistes Reconnus par la communauté, pas de statut juridique Amateurs et professionnels
Scène Pas de scène, les chanteurs sont dans la ronde Les chanteurs montent sur scène
Sonorisation Aucune Les chanteurs puis les musiciens sont sonorisés
Publicité Bouche à oreille Affichage, annonces et « bouche à oreille » suivant la renommée de l’événement
Défraiement Aucun [29] Peu à peu chanteurs, sonneurs et musiciens sont défrayés
Économie Aucune Très tôt les entrées et recettes du bar généreront un petit bénéfice qui sera réinvesti dans la réalisation de petits projets.
Mode d’organisation Spontané dans le milieu où il est en usage Acte volontaire
Contenu-déroulement Danses et jeux, animations diverses. On ne pratique que les danses du pays : la gavotte dans l’aire du fest-noz Le fest-noz devient peu à peu un…bal (plus de jeux et animations diverses) où l’on pratique

Note : mod koz : à l’ancienne ; mod nevez : nouveau.

Tout héritier transforme, s’approprie son héritage introduisant un décalage entre l’objet transmis et l’objet approprié. Il y a toujours transformation mais l’action revivaliste joue à la fois sur la forme et le contenu. Le changement est réel qui signifie à la fois le dynamisme de la communauté qui porte l’initiative et le retour impossible à la forme précédente. Cette forme ancienne pourra devenir le Graal de certaines personnes alors que d’autres s’impliqueront pleinement dans la vie de ce mouvement revivaliste.

Face à ce changement qualitatif, sonneurs et chanteurs deviendront en quelque sorte le lien intergénérationnel (ils auront à cœur de se former auprès des anciens) et deviendront les garants du « style » de telle ou telle danse ou tel ou tel terroir. S’ensuivront de nombreuses démarches de collecte qui auront pour but de recueillir cette mémoire populaire qui ne s’est plus transmise. La rupture dans la transmission s’accompagne aussi de nouvelles formes d’apprentissage qui nous éloignent peu à peu de l’imprégnation première. L’élaboration d’un savoir ethnologique, musical, sociétal permet une mise à distance, une analyse quasiment absente auparavant. Nous ne pouvons détailler ici plus avant toutes les transformations induites par ce revivalisme.

Ce succès et ces changements s’accompagnent d’un discours hétérogène où la notion d’appartenance revendiquée est très clairement exprimée. Aller au fest-noz résulte d’un choix qui s’argumente tout autant du rejet des autres formes de divertissement que de l’affirmation d’un attachement à des expressions culturelles singulières, à une identité culturelle : « c’est notre musique, nos chants, notre langue », sans pour autant que ces discours se transforment en de réelles revendications durant les premières années.

Il s’agit cependant bien d’une action politique qui tente de résister aux conséquences du changement de société en cours (exode rural, mutations du monde agricole) et à la disparition de la langue bretonne face au français. Pour certains, il s’agira de faire renaître un discours identitaire sur la Bretagne débarrassé de l’image fascisante auquel il fut associé pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette action mérite-t-elle le nom de patrimonialisation ? À l’évidence non car d’une part le nom n’est pas employé dans l’argumentaire des premiers acteurs de ce renouveau, et, d’autre part, il se passe de toute recherche d’officialisation, de reconnaissance institutionnelle.

Il s’agit plutôt d’une continuité à restaurer, d’un lien à entretenir, des contextes à recréer pour que des éléments spécifiques d’une culture ne se perdent pas. Nous pourrions dire que c’est la première réponse, qualifiée de revivaliste, que l’on apporte quand la rupture n’est pas totale, que l’héritage est encore partiellement présent mais que le contexte où il se manifeste subit de tels changements qu’ils mettent en danger la manifestation elle-même.

Nous pouvons dire que le processus de patrimonialisation était à l’œuvre, sans qu’il y ait eu une démarche de patrimonialisation d’enclenchée. Ce processus se manifeste en réaction à une rupture de transmission par la création d’un nouveau contexte suite à une prise de conscience facilitée par le décalage social ou spatial.

3. Le fest-noz à l’Unesco

3. 1. Fest-noz et patrimoine

Viendra ensuite le contexte des années Stivell, au succès international. La Bretagne entière et sa diaspora, même des personnes très éloignées de toutes causes bretonnes, vont organiser des festoù-noz dans les années soixante-dix. Cela explique sans doute les réponses massives apportées par les bretons dans les sondages sur leur sentiment d’attachement [30]. Le fest-noz va devenir un divertissement et accueille en son sein une diversité de discours. De grandes associations apparaissent dans les années soixante-dix (Dastum en 1972), des grandes manifestations festives s’ancrent durablement dans le calendrier des amateurs de musique bretonne (concours de sonneurs à Gourin qui existe depuis 1956 dont le succès va croissant, Kan ar Bobl à Lorient en 1973, Bogue d’or à Redon en 1975, Monterfil en 1976, Printemps de Châteauneuf en 1976, fête de la Bouèze en 1979, …). Un mouvement culturel est né qui revendique cette fois l’octroi d’aides publiques pour exister.

Les musiciens, pour certains, se sont professionnalisés et revendiquent de vivre de leur musique, des écoles de musique naissent et s’institutionnalisent peu à peu. La musique traditionnelle fait son entrée dans les conservatoires et est reconnue par le Ministère de la Culture et de la Communication [31]. Une économie du disque de musique traditionnelle se met en place. Il est impossible de résumer en quelques mots, en quelques lignes, la force d’un mouvement qui du revivalisme se précipite dans l’institutionnalisation.

À partir des années quatre-vingt d’autres changements vont survenir faisant évoluer peu à peu le fest-noz d’un bal ayant lieu dans la salle communale à une forme scénique, que l’on peut fort bien comparer à tout autre forme de concert, où lumières et sonorisations très puissantes font leur apparition.

Cette seconde période va connaître un creux à la fin des années quatre-vingt et un formidable renouveau les années suivantes dans le sillage du groupe Ar Re Yaouank [32] qui adopte sur scène une attitude qui les font plus ressembler aux stars de la scène internationale qu’aux sonneurs traditionnels, tout en assumant pleinement une musique à danser bretonne. Le succès est considérable. Le début des années quatre-vingt-dix voit se poursuivre une certaine institutionnalisation avec la reconnaissance par le ministère de la culture des Centres de musiques et de danses traditionnelles (CMDT), dont Dastum en Bretagne [33].

De multiples formes du fest-noz vont apparaître progressivement du fest-deiz, organisé par le club de danses des années 2000, aux quelques festoù-noz taille XXL (le festival Yaouank, créé en 1999 à Rennes, rassemble plus de 7000 jeunes) aux plus petits que certains qualifieront de « trads », notamment lorsque la programmation met en scène chanteurs et sonneurs.

Le public concerné est cette fois beaucoup plus nombreux. Il dépasse largement l’échelle régionale. Une grande partie des personnes ainsi touchées n’aura jamais eu de liens directs avec la société rurale qui a vu naître ces pratiques dansées. Le succès rencontré par le revival dans les années soixante-dix peut s’expliquer, bien sûr, par un effet de mode mais il y a plus. En affirmant des singularités fortes, la Bretagne permettait à toute une jeunesse de se recréer des racines, de se procurer une identité par un phénomène de filiation inversée qu’a décrit Jean Pouillon [34].

Par-delà mes origines sociales, je me construis ma propre filiation, je me choisis des « pères ». Tout comme sociologiquement l’enfant doit être reconnu par le père symbolique pour s’inscrire dans la filiation, ce mouvement inversé montre que le jeune adulte en accédant à la Personne a la capacité de reconstruire, de s’arracher de son milieu maternel pour s’inscrire dans une filiation qui répond mieux à sa quête identitaire. Cette reconstruction peut bien sûr s’accompagner d’un imaginaire fleurissant où celtitude et quête arthurienne apparaîtront bien vite au premier plan. Dans ce mouvement, nous faisons nôtre un héritage que nous n’avons pas reçu de nos parents biologiques, nous nous sommes choisi, peu ou prou, une culture d’adoption [35].

Cette double reconnaissance - le père (symbolique) qui reconnaît son fils comme sien en l’inscrivant à l’état-civil par exemple et l’adolescent qui se crée sa culture d’adoption - est toujours présente. Elle agissait bien sûr dès la première époque du revivalisme, mais ici elle est mise en évidence quand elle se désolidarise du milieu maternel [36]. C’est d’ailleurs cette double reconnaissance qui seule explique le succès du fest-noz mod nevez : cela nécessitait la rencontre entre une initiative et un public qui se reconnaît dans ce qu’on lui propose.

C’est dans le cadre d’une nouvelle baisse de fréquentation des festoù-noz, et du désintérêt, au moins apparent, pour les musiques traditionnelles, que l’association Dastum découvre en 2007 la convention sur la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de 2003, adoptée par la France en 2006. Un groupe de travail informel se met en place en 2008 [37] et va produire trois dossiers importants à leurs yeux [38]. Ce groupe s’adresse tout d’abord aux élus bretons (municipaux, départementaux et régionaux) en leur demandant d’adhérer à un « Appel à la reconnaissance du patrimoine culturel immatériel en Bretagne » qui leur demande d’inscrire cette notion dans leurs politiques culturelles. Le groupe ne souhaite pas inscrire, dans un premier temps, un élément du patrimoine culturel breton à l’Unesco, comme les listes le permettent, pour ne pas mettre en valeur un élément plus qu’un autre. Il s’agit pour les auteurs de cet appel d’une demande de reconnaissance.

En effet, contrairement au revival des années cinquante qui s’est construit quasiment indépendamment des politiques publiques, l’institutionnalisation qui s’en est suivie a besoin des aides publiques pour survivre. La musique traditionnelle devient une esthétique parmi d’autres, elle ne se reçoit plus par héritage, ne se transmet plus de manière informelle [39]. Elle s’enseigne dans les associations, a fait son entrée dans les conservatoires. Ce sont ces associations qui demandent des moyens pour accomplir les missions de « collecte, sauvegarde, transmission, enseignement... » qu’elles se sont données.

Il faut bien comprendre que les acteurs de ces musiques ont bien changé : de l’engouement initial, ils sont passés à une professionnalisation qui touche tous les domaines. Cela va de la recherche universitaire (thèse en ethnologie, histoire) à l’expression artistique (interprètes de grande qualité), de la formation musicale aux diplômes d’enseignement délivrés par le ministère de la culture (DE, diplôme d’état et CA, certificat d’aptitude). Du fait de toutes ces formations, le discours des acteurs est beaucoup plus construit et fait preuve d’une connaissance approfondie de leur terrain. Il va sans dire que cohabitent tous les discours bien évidemment mais, face à un public qui recherche le divertissement sans quête aucune de savoir, parallèlement au maintien d’un discours militant dans certains milieux, un autre discours se met en place, argumenté – tout aussi passionné – qui irrigue une partie des cadres de ces musiques. L’« Appel à la reconnaissance » traduit la volonté de ses auteurs à faire reconnaître les musiques traditionnelles, ainsi que tous les domaines où se manifestent le patrimoine immatériel, comme une esthétique artistique à part entière et qui se doit donc d’être soutenue au même titre que les autres formes (classique, jazz, actuelle). Cette reconnaissance, nous l’avons vu, a été amorcée dès les années quatre-vingt [40] mais ne répond pas pleinement aux attentes du milieu associatif.

Ce discours nouveau se réfère à celui de l’Unesco et se marque donc d’un changement de paradigme : là où l’on parlait de culture traditionnelle, de patrimoine oral, on parlera de patrimoine culturel immatériel. Cette notion est juridique, elle fait référence à des textes législatifs internationaux ratifiés par les pays membres, et éthique en ce sens où elle prône l’égale dignité des cultures [41]. La culture d’en haut vaut celle d’en bas, il n’y a pas de sous-culture.

Le terme même de patrimoine immatériel ne parle pas de lui-même et fait figure de repoussoir, prête à la moquerie. C’est pour qu’il soit mieux compris des politiques, des journalistes et à travers eux du plus grand nombre, qu’il fut décidé d’inscrire le fest-noz sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Un autre dossier, portant cette fois sur les complaintes et gwerzioù de Bretagne, fut aussi constitué pour, cette fois, demander une inscription sur la liste de sauvegarde d’urgence de ce même patrimoine. Le ministère de la culture aida le groupe de travail dans la constitution des deux dossiers mais ne présenta que le premier au secrétariat de l’Unesco. La constitution de ces dossiers nécessite de suivre une procédure précise (dossier type, inscription à l’inventaire national, validation du dossier par une commission du ministère, dépôt du dossier au secrétariat de l’Unesco, expertise du dossier). Alors certes une démarche de patrimonialisation est engagée, mais elle n’est pas une fin en soi. Elle vise avant tout à faire reconnaître ces « esthétiques » pour qu’elles soient aidées au même titre qu’une autre et non au nom d’une quelconque authenticité, voire paradoxalement quelle que soit leur valeur patrimoniale.

Ces démarches connurent deux succès :

  • celui de l’inscription du fest-noz sur la liste représentative, qui, on peut le dire six ans après, n’apporta rien directement à la vie du fest-noz (fréquentation, nombre, dynamisme) ou à la vie de la musique traditionnelle ;
  • celui de l’Appel qui reçut 72 signatures de collectivités publiques dont celle de la Région Bretagne qui signa là le début d’un réel engagement.
    La notion de patrimoine immatériel se propage au niveau associatif et devient la référence des politiques publiques vis-à-vis du patrimoine oral aussi bien en Région qu’au niveau national.

3. 2. La revendication d’une reconnaissance

La notion de patrimoine immatériel permet donc la construction d’un nouveau discours pour argumenter une revendication de reconnaissance. Nous passons d’une revendication militante et culturelle des années cinquante à un cadre scientifique (ethnologie), esthétique et juridique dont la notion de patrimoine immatériel est le nom. Là encore, ce passage n’a pas eu lieu spécifiquement lors de la constitution du dossier pour l’inscription du fest-noz ; les deux approches cohabitent depuis le revivalisme décrit dans les années cinquante qui est, par exemple, contemporain des enquêtes de Jean-Michel Guilcher en Basse-Bretagne [42].

La différence entre les deux démarches tient au public visé.

Loeiz Ropars, et tous les acteurs contemporains, visent à sensibiliser la population locale, et principalement les jeunes, à leurs démarches. Il s’agit de se construire une obédience. C’est le succès de l’événement, le fest-noz mod nevez, qui témoigne d’une reconnaissance acquise, au point que l’initiative finira par totalement lui échapper.

Le groupe de travail qui porte le dossier de demande d’inscription du fest-noz ne s’adresse plus au public mais aux élus, à l’institutionnel, en s’appuyant sur l’attachement populaire des Bretons à leur culture, et d’une partie d’entre eux au fest-noz [43]. Il leur demande d’être garants que ce patrimoine ne soit pas laissé pour compte. Cette démarche est en tous points similaire à celle que l’on a pu observer et décrire dans les années quatre-vingt lorsque l’association des « amis de la chapelle Une telle  » montait un dossier pour que la commune, le département ou l’État – par le biais des DRAC – prennent en main le devenir de ladite chapelle, car, n’est-ce pas, « elle fait partie de notre patrimoine ».

La dimension politique est présente dans les deux cas : résistance à un changement de société mêlée à une revendication culturelle, sociale dans l’un [44] ; occasion de contester la distribution des moyens financiers pour revendiquer sa place à part entière, dans l’autre. La patrimonialisation au sens politique du terme n’est pas que résistance au changement. En 2012, elle pose la question de la coexistence d’esthétiques différentes sur un même territoire, des discours que l’on tient sur elles, et de la manière de les administrer.

Du point de vue politique nous retiendrons aussi qu’il peut y avoir procédure (montage de dossiers) ou non.

3. 3. Du processus de patrimonialisation

Nous faisons l’hypothèse que le processus de patrimonialisation est présent dans les deux exemples donnés, même s’il n’y a pas obligatoirement une démarche, une procédure officielle d’entamée, voire lorsque le terme lui- même n’est pas employé.

Dans les deux cas nous retrouvons les critères suivants :

  • la crainte d’une rupture dans la transmission, donc d’une perte d’usage ;
  • la mise en route d’une réponse par des personnes « déplacées », ici par le fait d’avoir fait des études universitaires. Cela peut être aussi du fait d’une migration ;
  • la réponse envisagée (la réaction) cherche à maintenir un usage dans un contexte différent. Il s’agit donc de garder vivant (sauvegarder) une expression en en acceptant les transformations. Ce sont les multiples formes que peuvent prendre les festoù-noz aujourd’hui ; c’est aussi la transformation radicale des années cinquante [45] ;
  • ce patrimoine, ou cet héritage, n’est pas donné d’emblée. Ce sont des personnes qui se mettent en responsabilité d’interroger la disparition possible d’un élément pour le constituer en patrimoine afin de le préserver en le réinscrivant dans un usage.

Ces éléments sont présents dans le processus de patrimonialisation décrit par Jean Davallon, à ceci près que la démarche de patrimonialisation décrite ici n’est pas muséale. La différence tient à la qualité de la rupture qui entraîne ou non une réelle discontinuité dans la transmission et non à l’aspect matériel ou immatériel de l’élément. Dans les exemples cités par Jean Davallon (la grotte Chauvet) l’usage est totalement perdu, il ne reste que des traces, et le conservateur en est réduit à les authentifier, les préserver et les montrer pour les réinscrire dans une filiation. De même, c’est parce que l’on a cru que les danses issues du milieu rural allaient disparaître avec ce dernier que sont nés les groupes folkloriques qui ont eu pour but de représenter ces dernières traditions sur scène. Dans les deux cas, on donne à voir. Il s’agit cependant bien d’un nouvel usage (la visite, le spectacle) avant disparition. La notion de patrimoine immatériel, elle, spécifie qu’il s’agit d’un patrimoine vivant « transmis de génération en génération et qui se recrée en permanence ». Cette notion de re-création caractérise la démarche revivaliste. On tente de réinventer des nouveaux usages qui ne dépendent pas entièrement de l’institutionnel. Le processus de patrimonialisation recouvre l’ensemble des démarches allant de la mise en place d’une exposition dans un musée au revivalisme ; la différence passant politiquement par le mode de prise en charge.

3. 4. Heuristique d’un modèle

La sociologie que propose Jean Gagnepain n’oppose plus l’individu au groupe : « Société n’est point chose mais façon d’exister et le tort est d’identifier le principe et les formations politiquement réalisées ». [46] Dès lors, c’est ce même processus que l’on retrouve chez ces « lanceurs d’alerte ». La responsabilité qu’ils endossent devient leur manière d’être socialement au monde, leur manière de s’inscrire politiquement dans le débat contemporain. L’obligation de sauvegarder, de transmettre est donnée par la société lorsqu’une procédure de patrimonialisation arrive à son terme mais elle est le devoir auquel s’obligent ces « lanceurs d’alerte ». Ils s’inscrivent ainsi d’eux-mêmes dans une chaîne de transmission où après avoir reçu – voire, après être allés chercher de manière volontaire – ils se mettent en devoir de transmettre afin que l’élément perdure, c’est-à-dire ne meure pas.

Le « lanceur d’alerte » s’approprie cette responsabilité, cela devient sa question, non pas qu’il s’y réduise – sauf pathologie – mais qu’elle, parmi d’autres, le détermine. C’est parce qu’il y a eu rupture qu’il se doit de recréer le lien. Cette rupture ne pose d’ailleurs pas question pour tous bien sûr. Elle émerge soit parce que la personne se trouve en responsabilité de par sa fonction sociale (du maire au directeur d’association) mais aussi pour des raisons plus personnelles qui tiennent à la manière dont chacun d’entre nous va s’originer, va se construire non uniquement son roman familial, mais, de façon plus définitoire socialement, sa filiation. Nous sommes tous imprégnés de nos souvenirs d’enfance, de notre héritage culturel et nous sommes condamnés à nous positionner, au moment de l’adolescence, par rapport à lui. Pour s’affirmer – c’est moi, c’est à moi – il faut aussi se séparer, se différencier.

D’autres personnes réagiront cependant de façon similaire à cette rupture et c’est ce qui, politiquement, va faire sens, constituant ainsi une communauté qui n’aura évidemment d’homogénéité que l’apparence. Le rôle que chacun va prendre dans cette communauté peut être différent, allant de simple public à l’initiateur en passant par l’organisateur. Lorsque ce rôle n’est pas officiel, il prend le risque de s’incarner dans une personne – ainsi l’exemple de Loeiz Ropars – qui devient le garant de cette transmission. Du rôle qu’il s’est donné en découle un statut de personne référente. Cela devient « son » affaire et il acquiert ainsi un statut particulier dans cette communauté revivaliste. Ce statut peut être renforcé par l’absence de rémunération et nous retrouvons là toute la question du bénévolat qui peut se confondre parfois avec un apostolat.

Le succès du fest-noz dans les années cinquante peut certainement aussi se comprendre comme le symptôme d’une crise profonde vécue par la société rurale bretonne de l’époque. La langue, la culture ne sont pas des entités objectivables qui « risquent » de disparaître ; elles sont nos manières d’être au monde, elles font partie de nous-mêmes. C’est un peu de ce nous qui meurt.

Le revival, qui témoigne de cette crise, la défense des langues régionales, les procédures de patrimonialisation ne sont que l’actualisation d’un même processus qui, par exemple, a fait naître les monuments historiques d’une autre crise tout aussi majeure : la Révolution Française. Cependant le succès du fest-noz, voire des musiques traditionnelles, a dépassé bien largement la frange de population concernée par la perte de sa culture locale. Bien des jeunes des années soixante-dix ont épousé ce mouvement y trouvant un lieu d’accueil pour bâtir leur avenir dans un « retour aux sources » ou un « vivre au pays », ce dernier fut-il imaginaire. Là aussi il s’agit de rupture mais cette fois non pas subie mais largement provoquée.

Tous cependant s’instituent héritiers, dépositaires de ce savoir, et auront à cœur de transmettre, plus ou moins objectivement, ce qu’ils ont ainsi reçu car dans ce contexte toute inaction me rend complice de la disparition de l’élément. Je deviens co-auteur de son inutilisation, il devient « hors-d’usage ».

Jean Gagnepain a construit un modèle ou chaque ordre de rationalité contient sa propre explication. Le modèle du social, de la Personne, est construit analogiquement à celui du Signe et nous y retrouvons deux faces liées réciproquement l’instituant et l’institué, chaque face trouvant dans l’autre la preuve de la discontinuité observée chez elle.

Ceci est remarquablement illustré par nos exemples, un changement d’identité, de statut, d’appartenance à un groupe, se traduit par un changement de contribution et un changement de responsabilité se marque d’un changement d’identité, d’appartenance social. Dans notre premier exemple, cette analyse ne fonctionne plus car il n’y a plus transmission, personne n’assume cette responsabilité ce qui se traduit conventionnellement par une mort sociale, un non-usage. Sur la face instituante mon groupe d’appartenance (paysans bretons dansant en fin de journée) ne peut plus me définir car il n’existe plus du fait des changements sociaux et de cette non transmission. Dès lors, une situation de crise s’installe et c’est en termes de responsabilité que la réponse va se construire : certaines personnes mettant tout en œuvre pour « revitaliser » ces pratiques condamnées à l’oubli. Cette responsabilisation permet à de nombreuses personnes de s’investir à leur manière (organisateur, public, chanteur, …) définissant sur la face instituante une communauté qui n’existe que de se différencier d’autres modes de divertissement.

La popularité de ce mouvement fait qu’il n’y a pas eu d’entre-soi à craindre pendant de nombreuses années. La chose est moins certaine à partir des années deux mille où l’on voit une baisse régulière de la fréquentation des festoù-noz s’accompagner d’un vieillissement de son public. Le second exemple, là où il y a eu patrimonialisation effective, est une demande de « prise en compte », de reconnaissance de cette esthétique musicale et festive au même titre que d’autres formes reconnues qui ne pourraient survivre sans l’aide publique. La patrimonialisation du fest-noz vient signifier, apparemment paradoxalement, que ce n’est pas parce que c’est une forme héritée du passé qu’elle est intéressante mais, que cette forme est en danger si sa pratique actuelle n’est pas reconnue. C’est la revendication d’un droit à exister socialement qui s’exprime là.

Conclusion 

La question posée en début d’article, le fest-noz est-il un élément du patrimoine breton, n’admet pas une seule réponse. Elle diffère pour chacun suivant la distance (temporelle, spatiale ou de milieu) à laquelle nous nous trouvons de l’élément patrimonial. Dès lors le fest-noz peut faire pleinement partie de la vie sociale pour l’un, être héritage pour le second, ou, encore, être perçu comme un digne représentant du patrimoine breton par le troisième. Dans tous les cas le même processus est à l’œuvre, celui qui fait de l’homme un historien, celui qui le fait s’inscrire dans une filiation. Ceci n’empêche pas que le fest-noz soit inscrit officiellement à l’inventaire national, ce qui rend nos institutions garantes, en quelque sorte, de son devenir. En ce domaine, on le sait, la lettre ne suffit pas, et seul l’écho qu’il trouvera dans les jeunes générations lui permettra, ou non, de poursuivre sa route.

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Notes

[1L’auteur de l’article était directeur de l’association Dastum, association dédiée à la collecte, la sauvegarde et la transmission du patrimoine oral de Bretagne, lorsque celle-ci a coordonné le groupe de travail qui s’est mobilisé pour la constitution du dossier nécessaire pour demander cette inscription.

[2Duval A, Quentel J.C., 2006, « L’autonomie de l’éthique », Revue Le Débat, n°140, pp.106-125.

[3(T.) Le Hégarat, 2015, « Un historique de la notion de patrimoine », <halshs-01232019> p.7.

[4(T.) Le Hégarat, 2015, op.cit., p.6.

[5Ibidem, p. 8.

[6Devons-nous par exemple considérer l’engouement pour le vintage comme une des formes sociales de patrimonialisation qui ne dit pas son nom ou, au contraire, l’en différencier ?

[7Leniaud J.M., 1992, « L’utopie française, essai sur le patrimoine », Paris, Édition Mengès.

[8Davallon J., 2014, « À propos des régimes de patrimonialisation : enjeux et questions », Lisboa, Portugal.

[9On peut d’ailleurs se demander, dans l’exemple que donne Jean-Michel Leniaud d’une fontaine à eau néo-classique transformée en bacs à fleurs, ce qui sous-tend cette réutilisation : patrimonialisation ou recyclage ?

[10Davallon J., 2002, « Comment se fabrique le patrimoine », Sciences Humaines, hors-série n°36.

[11Pierre Crépillon, 2017, Propos cité dans Livret CD Dastum Pays Montagne.

[12Le Hégarat, 2015, op.cit., p. 9.

[13Gauchet M., 2017, L’avènement de la démocratie, Tome IV, Le nouveau monde, Paris, Gallimard.

[14Gauchet M., 2017, op.cit.

[15Postic F., 1993, « Aux origines du fest-noz », Ar Men, n°93, pp.12-23.

[16Ibidem, p. 14.

[17Guilcher J.M., 1995, La tradition populaire de danse en Basse-Bretagne, Coop-Breizh / Chasse-Marée-Ar Men, p.18.

[18Canévet C., 2012, « Agriculture et paysannerie de 1914 à 1945 », Toute l’histoire de Bretagne, des origines à nos jours, Morlaix, Skol Vreizh, pp. 603-608.

[19Cornette J., 2014, Histoire illustrée de la Bretagne et des Bretons, Paris, Seuil.

[20Loeiz Ropars. Interviewé par Christophe Le Menn. Erwan Sparfel et Awen Plougoulm, 2007. https://www.youtube.com/watch?v=Q5g619cx62Y

[21Technique de chant à répondre avec tuilage, spécifique des chants du Centre-Bretagne.

[22Loeiz Ropars, 2007, op. cit.

[23C’est le travail effectué par F. Postic (1993) dans son article déjà cité « Aux origines du Fest-Noz ».

[24Fest-noz nouveau

[25Gaelle Violo, 2017, Transmettre la langue bretonne. Regard d’une ethnologue, Centre de recherche bretonne et celtique, Brest, collection Thèses, p.135. Pour l’auteure, la langue est perçue comme un patrimoine chez les personnes où « l’interruption et le regain de transmission se sont imposés au fil des générations » et comme un héritage lorsqu’il y a eu continuité dans la transmission.

[26Qu’il soit permis de citer ici, en même temps que de lui rendre hommage, l’exemple d’Ernest Ahhipah, que nombre de Rennais et de Bretons ont bien connu. C’est en vivant en Bretagne qu’il découvre sa culture ivoirienne dont il deviendra l’un des principaux acteurs et représentants.

[27Alan Stivell est un artiste breton (harpiste et chanteur) qui va connaître un succès international à partir de son concert à l’Olympia de février 1972. Le disque qui suit se vend à plus de deux millions d’exemplaires, un véritable engouement naît pour la musique bretonne. Ce succès est au départ de ce que l’on nommera la vague celtique, voire de la world music. L’image de la musique bretonne et du fest-noz s’en trouve radicalement changée.

[28Terme qui désigne un militant breton d’extrême droite ayant sévi pendant la Seconde Guerre mondiale et ayant gravement noirci la légitimité de toute revendication politique.

[29Aucun en ce qui concerne les veillées. Il n’en est pas de même lors des mariages où généralement les sonneurs étaient bien rémunérés. La notion de rémunération n’ayant pas la même signification avant et après la Seconde Guerre mondiale.

[30Dans un sondage réalisé en 2013 par TMO pour Bretagne Culture Diversité, 86,5 % des habitants de la Bretagne se disent attachés à la Bretagne http://bcd.bzh/DOC/DIGEST-sondage.pdf

[31Gasnault F., 2015, « Les confédérations bretonnes contre ’l’État culturel’. Naissance, vie et mort du conservatoire régional des musiques et danses traditionnelles de Lorient (1978-1988) », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, tome XCIII, pp. 166-188.

[32Ar Re Yaouank (les jeunes) est un groupe de fest-noz qui naît en 1986 et connaît un très grand succès au début des années quatre-vingt-dix. Son énergie, sa qualité musicale et son « son » rock va attirer toute une génération dans les salles de fest-noz. Il y a un avant et un après Ar Re Yaouank.

[33Gasnault F., 2014, « Les rapports entre la direction de la musique et les associations de musiques et danses traditionnelles : un processus de légitimation inabouti (années 1970 – années 1990) », Carnet de recherches du Comité d’histoire du ministère de la Culture sur les politiques, les institutions et les pratiques culturelles, http://chmcc.hypotheses.org/428

[34S’interrogeant sur ce qu’est la tradition, Jean Pouillon, cité par Gérard Lenglud, dit qu’elle résulte « d’un point de vue » sur le passé. Elle institue une « filiation inversée » que Gérard Lenclud développe ainsi : « Ce n’est pas le passé qui produit le présent, mais le présent qui façonne son passé. La tradition est un procès en reconnaissance de paternité ». Lenglud G., 1987, « La tradition n’est plus ce qu’elle était … Sur la notion de “tradition” et de “société traditionnelle” en ethnologie », Terrain, °9, pp. 110-123.

[35Cette adoption ne concerne évidemment pas que le phénomène fest-noz que nous décrivons ici. On le retrouve dans toutes les formes musicales et caractérise plus généralement la quête identitaire de l’adolescence.

[36Pour Jean Gagnepain, c’est cette capacité que chaque homme a de s’originer qui fait de chacun de nous le premier homme. Nous sommes l’auteur de notre propre histoire.

[37Pour suivre pas à pas l’histoire de cette procédure : Léonard J., 2018, Des cours de fermes à l’Unesco - La patrimonialisation du fest-noz en Bretagne, thèse de sociologie, sous la direction du professeure Tiphaine Barthélémy, Université Picardie Jules Verne, Amiens .

[38Ces trois dossiers sont les suivants : l’appel à la reconnaissance du patrimoine culturel immatériel en Bretagne ; le dossier demandant l’inscription du fest-noz sur la Liste représentative ; le dossier « complaintes et gwerzioù » demandant l’inscription de cette pratique sur la Liste de sauvegarde d’urgence.

[39Encore faudrait-il relativiser cette affirmation. En effet, nombre d’enfants des sonneurs et chanteurs du revival ont été bercés par cette musique du fait des choix musicaux de leurs parents. Ils s’en sont imprégnés comme tout enfant s’imprègne de son environnement maternel.

[40Notamment avec la naissance de la notion de patrimoine ethnologique et de la mission ethnologique (1980) au Ministère de la Culture, actuel DPRPS.

[41L’Unesco conditionne cette égale dignité à une conformité « aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, ainsi qu’à l’exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus, et d’un développement durable », Convention de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (article 2).

[42Guilcher J. - M., 1995, op.cit.

[43Mise en place d’une pétition qui a reçu près de 8000 signatures. La pétition n’est plus en ligne aujourd’hui. Elle a été remise au Ministère de la Culture lors du dépôt du dossier « fest-noz ».

[44Aspect militant de Loeiz Ropars du Bleun Brug (défense des intérêts des petits paysans) à la cause écologique.

[45Loeiz Ropars disait à ce propos : « Nous, nous avons créé un fest-noz en somme nouveau, en faisant appel aux gens qui pratiquaient le fest-noz traditionnel. Nous avons fait un fest-noz nouveau pourquoi : parce qu’au lieu de le faire à la campagne pour clôturer une journée de travail commun, on le fait au bourg et où dans une salle de danses, c’est ça qui était absolument… en somme, personne ne nous a fait cette remarque-là. Il y a eu autant d’adaptation à la vie moderne que de tradition dans le fest-noz du renouveau ».

[46Gagnepain J., 1991, Du vouloir dire. Traité d’épistémologie des sciences humaines, II, De la Personne. De la norme, Paris, Livre et communication, p. 23.


Pour citer l'article

Charles Quimbert« Fest-noz et patrimoine », in Tétralogiques, N°24, Processus de patrimonialisation.

URL : http://tetralogiques.fr/spip.php?article132